Bye bye les festivals ?

A bout de souffle. Après le festival de Casablanca, c’est au tour de L’Boulevard, du Tremplin et du Moonfest Takerkoust d’être déprogrammés. Retour sur ces annulations en série, qui mettent à nu la précarité du domaine de la culture et de l’évènementiel au Maroc.

“Casablanca, la plus grande ville du Maroc, est officiellement culturellement sinistrée” affirme Momo Merhari, cofondateur du festival L’Boulevard, qui existe depuis plus de quatorze ans. Cette année, la capitale économique a été privée de deux de ses plus grandes manifestations culturelles : L’Boulevard donc, qui devait se tenir en mai, puis en septembre, et le festival de Casablanca. En 2012, plusieurs autres festivals prévus dans d’autres villes n’ont également pas eu lieu. Le festival Mer et désert à Dakhla, le festival de Safi, ainsi que le Moonfest Takerkoust. Une situation sans précédent, qui plonge tout un secteur dans le doute. Les professionnels du domaine, les artistes ainsi que le public s’interrogent les raisons de ces annulations. Crise financière ? Situation politique ? Ou fin d’une mode des festivals qui aura duré une dizaine d’années ?

 

Aïe mes sponsors…

La crise qui frappe l’économie internationale depuis ces deux dernières années serait-elle en train de toucher le Maroc ? Oui, explique José Kamal, le cofondateur du festival de Dakhla. “Depuis déjà 6 mois, les organisateurs sentent que les sponsors sont touchés par la crise, et qu’ils ne sont pas prêts à débloquer autant d’argent qu’avant dans des évènements culturels”, affirme t-il. Une impression confirmée par Hamza Chaoui, directeur de la stratégie chez Big Ideas, qui a déjà travaillé sur plusieurs dossiers sponsoring ces dernières années : “En effet, il y a une crise, c’est indéniable, les annonceurs allouent de moins en moins de budgets au sponsoring. Ils préfèrent se concentrer sur les solutions de communication classiques assurant un retour sur investissement quasi immédiat, comme la publicité à la télévision”.

Même s’ils débloquent moins d’argent, les sponsors ont toujours autant d’exigences envers les organisateurs. Le meilleur exemple ? Le cas de l’Association l’EAC-l’Boulvart. Pour organiser une édition de L’Boulevard, l’association a besoin de 3 millions de dirhams chaque année, et 1,5 million pour le Tremplin, un budget minuscule en comparaison de celui du festival de Casablanca (28 millions), et surtout de Mawazine (59,5 millions). Mais ils ont refusé les offres reçues ces derniers mois, parce qu’elles allaient “dénaturer l’image du festival”. “Nous tenons à notre indépendance, et refusons d’être cannibalisés par un sponsor pour quelques milliers de dirhams de plus”, explique Momo Merhari, dont l’association se concentre pour le moment sur les activités du Boultek, le centre de musique actuelle situé au Technopark de Casablanca, financé par les chèques royaux donnés par Mohammed VI, en 2009 et 2010.

 

Politique culturelle défaillante

Si L’Boulevard est l’un des seuls festivals à ne pas recevoir pour le moment d’argent de l’Etat, la très grande majorité en dépend. C’est le cas des festivals de Casablanca, de Dakhla ou encore du Moonfest Takerkoust. Mais il est impossible d’organiser un évènement avec exclusivement des fonds publics. “L’année dernière, la Direction générale des collectivités locales nous a versé 350 000 dirhams, sur un budget total d’un million de dirhams. Malheureusement, cela n’a pas été suffisant, et nous traînons toujours un déficit de 280 000 dirhams”, explique Sofia Alami, directrice du festival Moonfest Takerkoust, qui n’a pas été reconduit cette année. “Il est grand temps de commencer à se poser des questions sur la politique culturelle au Maroc”, explique Hicham Bahou, cofondateur de L’Boulevard. “Ce ne sont pas les modèles économiques des festivals qui sont défaillants, c’est la politique culturelle du pays.  Et il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas le ministère de la Culture qui peut sauver la situation vu son maigre budget. Mais c’est son rôle, en concertation avec les acteurs culturels et la société civile, d’ouvrir le débat et de proposer des solutions”, poursuit le militant culturel. Neila Tazi, la fondatrice du Festival Gnaoua d’Essaouira, dont l’édition 2012 a été un réel succès (voir encadré), n’en pense pas moins : “Nos décideurs politiques, tant au niveau gouvernemental que régional et local, devraient évaluer la pertinence, la qualité et l’impact des projets culturels, la façon d’épauler les porteurs de projets, de rassurer et fédérer les opérateurs privés. Ils devraient mettre en avant les exemples d’événements qui ont été des leviers de développement pour des quartiers, des villes ou des régions et créer des cadres favorables pour les pérenniser et en encourager d’autres”.

 

Intermittences du spectacle

Mais la difficulté à lever des fonds n’est pas l’unique raison de l’annulation des festivals cette année. “Le festival de Casablanca n’a pas été annulé pour des raisons financières. Les autorités ont décidé de ne pas l’organiser à cause des travaux qui ont lieu dans toute la ville, car ils auraient empêché son bon déroulement”, affirme Ali Hajji, l’un des organisateurs. Les travaux, en particulier ceux du Tramway de Casa qui bloquent actuellement tout le centre-ville et où est normalement montée la scène Rachidi, l’une des plus importantes de l’évènement, seraient la principale raison de l’annulation. De quoi couper court aux rumeurs qui affirment qu’il y a des conflits entre les autorités de la ville et les organisateurs, ou encore, celles plus alarmistes affirmant que la ville, la région de Casablanca et la préfecture n’ont plus d’argent pour financer la moitié du plus grand évènement culturel de la capitale économique du Maroc. Du côté du festival de Dakhla, c’est, d’après José Kamal, “la tenue des élections législatives qui a empêché le festival de tenir son calendrier normal”. Pas étonnant lorsqu’on sait que 30 % du festival est financé par la ville et la région de Dakhla, ainsi que par l’Association pour le développement culturel et social de Oued Eddahab. “Les élus étaient concentrés sur la campagne électorale plutôt que sur l’organisation et le financement de l’évènement”, poursuit-il. Ce sont également les élections qui ont perturbé, selon Sofia Alami, l’organisation du Moonfest Takerkoust. “Plusieurs élus de la région ont changé, ainsi que le gouverneur. Il faut donc reprendre tout dès le début, essayer de convaincre de nouvelles personnes de l’importance du festival. Et sans garantie d’avoir des fonds publics, il nous était impossible de continuer”, confie l’organisatrice. Ces annulations en série sont donc l’occasion de tirer la sonnette d’alarme sur la précarité du domaine culturel. Lors du dernier discours du trône, Mohammed VI a pour la première fois mentionné l’importance de la culture au Maroc, en déclarant “qu’elle constitue de nos jours un levier fondamental pour la création, l’innovation, le ressourcement spirituel”. Un signe avant-coureur de la mise en place d’une véritable politique culturelle au Maroc ? Croisons les doigts…

 

Pendant ce temps… Ceux qui restent

2012 a prouvé que les plus grands festivals du pays étaient sans aucun doute le festival Mawazine à Rabat, le festival Timitar d’Agadir, et le Festival Gnaoua d’Essaouira. Ils ont été maintenus, avec une programmation de qualité, et ont connu un véritable succès. Leur point commun ? Le fait qu’ils soient tous les trois soutenus par des personnalités politiques du royaume : Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi, Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture, et André Azoulay, conseiller de Mohammed VI. Ces festivals ont-ils, comme beaucoup le pensent, entraîné la chute des petits et moyens festivals, en concentrant tout l’argent des sponsors et des fonds publics ? Pas vraiment, puisque Mawazine, par exemple, ne touche plus de fonds publics depuis l’an dernier, et que le Festival d’Essaouira a quasiment les mêmes sponsors depuis 1998. “Ce n’est pas du tout ce que l’on reproche aux gros festivals. Ils ont chacun un modèle économique différent, et des sponsors particuliers. Le problème, c’est qu’ils ont créé une inflation dans le domaine. Etant donné qu’ils ne négocient pas avec les prestataires de services ou les artistes, les prix ont parfois été multipliés par 6 en quelques années !”, précise Momo Merhari.

 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer