Les Marocains sont fascinés par le vagin

 

Smyet bak ?

Abderrahman Zitane.

 

Smyet mok ?

Lhajja Amina.

 

Nimirou d’la carte ?

EC 17906.

 

Vous avez décidé de rentrer dans la postérité par l’anatomie féminine ?

(Rires) Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que la réaction des médias est vraiment étonnante. D’habitude, lorsque je mets en scène une nouvelle pièce, les journalistes qui viennent à la conférence de presse consacrent à mon travail un entrefilet, quelques lignes, tout au plus. Il faut croire que le vagin est devenu une valeur artistique refuge.

 

Donc Dialy, c’est le jackpot ?

C’est normal, le sujet énerve, intrigue et agace. Et, en même temps, il attire comme un aimant. Il y a une fascination “primitive” pour le vagin. Il faut savoir que nous n’avons donné que deux représentations et la version finale n’est pas encore achevée. Nous voulons en faire un texte dynamique, pour pouvoir interagir avec le public.

 

Racontez-nous l’adaptation des Monologues du vagin à la sauce marocaine…

C’est un projet lancé en 2011. Il s’agit de contrecarrer autrement ce que subissent les femmes (viols, harcèlement sexuel, etc.) en braquant les projecteurs de manière tendre et humoristique sur leur intimité. Pour cela, nous avons questionné des dizaines de femmes. Et ce qui en est ressorti est extraordinaire : il y a au moins 25 mots différents pour désigner le vagin dans le langage quotidien.

 

Quel est le nom le plus bizarre que vous ayez listé?

C’est Sram. J’ai découvert après que ça voulait dire l9adouss (bouche d’égout). C’est dégradant et ça donne à la femme un “statut” d’objet sale. Cela dit, cette histoire de noms n’est qu’une partie du spectacle qui permet de raconter des histoires drôles et d’autres qui le sont moins.

 

Quelle est l’histoire qui vous a le plus marquée ?

Certains entretiens étaient très émouvants. Il m’est arrivé de pleurer, surtout quand une femme vous raconte que lors de sa nuit de noces, son mari l’a étouffée avec un oreiller pour la dépuceler violemment. C’est d’une barbarie insoutenable.

 

Vous ne risquez pas ainsi de montrer les hommes comme des brutes assoiffées de sexe ?

Pas du tout. Il s’agit d’une tentative d’éradiquer la hogra qu’exercent certains hommes sur les femmes et de promouvoir le respect entre les deux sexes. Je suis sidérée par le manque d’éducation chez les gens qui s’insultent dans la rue en utilisant les différentes appellations du vagin. Pourquoi on ne ferait pas comme cet Etat américain qui impose une amende pour punir les personnes qui s’injurient dans les lieux publics ? A 5 dirhams l’insulte, on pourra facilement renflouer la Caisse de compensation…

 

Qui rit le plus durant le spectacle, les femmes ou les hommes ?

A priori, ce sont les femmes. Plaisanter de choses qu’elles vivent au quotidien comme une humiliation est une sorte d’exutoire. C’est l’éternelle malice féminine !

 

Quel est le profil type de vos spectateurs ?

Le public était très hétéroclite. Il y avait des jeunes et des moins jeunes, des femmes voilées et d’autres pas. C’est très révélateur de ce désir de briser les tabous qui se met en place chez les Marocains, en dehors des clivages idéologiques.

 

Est-ce que la pièce peut être regardée en couple ?

Oui. C’est même une forme de thérapie conjugale (rires).

 

Certains de vos confrères ont réagi avec virulence. Quelle lecture faites-vous de leurs réactions ?

Ce ne sont pas de véritables critiques à mes yeux, puisque ces artistes qui ont attaqué notre troupe n’ont pour la plupart même pas vu le spectacle. Ces personnes ont besoin d’exister en relayant un discours creux et moralisateur, alors qu’ils ne produisent rien depuis des années. Cela dit, une création qui ne déclenche pas un débat, une (r)évolution, n’est pas digne d’intérêt.

 

Pensez-vous que le Printemps arabe a stimulé la créativité des artistes ?

Ce qui s’est produit durant cette période est bouleversant. Mais jusqu’à présent, au Maroc, aucune œuvre mettant en scène ces événements n’a vu le jour. Je pense que nos artistes ont besoin de décryptages, de contributions d’intellectuels pour nourrir leurs réflexions et offrir des créations pertinentes au public. Et ça devient urgent, d’autant que la jeunesse marocaine est avide de changement. Elle n’en peut plus de l’immobilisme ambiant.

 

Que pensez-vous des partisans de l’art propre ?

Ils se trompent de combat. Mais si on adopte leur logique, on est aussi en droit d’exiger des rues propres, des hôpitaux propres, une politique propre, un pays propre… Et j’en passe. Notre mentalité a besoin plus que jamais de propreté. D’ailleurs, j’invite les nostalgiques du patrimoine culturel propre à relire la littérature érotique arabo-musulmane pour se rendre compte de la liberté de création qui existait il y a des siècles.

 

Pensez-vous que l’arrivée du PJD au gouvernement ait eu des incidences sur la marge d’expression ?

Honnêtement, je n’ai rien vu ni entendu qui laisse penser qu’on est dans un environnement hostile à la création. Et si ça change, la société civile est assez outillée pour monter au créneau et exiger le respect des libertés.

 

Ne craignez-vous pas qu’une fatwa soit lancée contre Dialy ?

C’est un concept qui n’existe pas réellement au Maroc. Il y a juste des gens qui donnent leur point de vue. C’est le cas de Cheikh Zemzmi, dont l’idée de halaliser les relations sexuelles d’un homme avec sa femme décédée donne des frissons dans le dos. D’un autre côté, il a frôlé l’avant-gardisme en proposant l’usage des carottes comme sextoys. Il a parlé de sexe bio sans le savoir (rires).

 

Vous avez prévu des représentations spéciales pour les femmes voilées ?

Je ne suis pas contre, si les circonstances l’exigent. Pour l’instant, aucune distinction n’est faite dans le public et la pièce sera jouée, à partir de la rentrée, dans tous les Instituts français du Maroc.

 

Mais là, vous enfoncez des portes ouvertes ?

Pas vraiment, car nous comptons aussi tourner avec la pièce dans d’autres espaces. Notamment dans les petites villes, pour toucher un maximum de gens et pas seulement les élites instruites. Je serais très heureuse si les femmes dans les campagnes pouvaient regarder le spectacle. Je pense même le traduire en amazigh.

 

Après le vagin, vous mettrez en scène des “Monologues du pénis” ?

(Rires) Je crois que c’est aux hommes d’écrire et de monter un tel spectacle, avec leur propre sensibilité masculine. En ce qui me concerne, mon combat se focalise sur la femme pour l’instant.

 

Antécédents :

 

  • 1967. Naissance à Nador
  • 1989. Est reçue au concours de l’ISADAC
  • 1994. Met en scène sa première pièce, Querelles
  • 2000. Devient directrice du théâtre l’Aquarium, à Rabat
  • 2012. Monte Dialy, une adaptation des célèbres Monologues du vagin, d’Eve Ensler.

 

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