Transport maritime. Touché coulé

Le Maroc peine à développer un transport “passagers” capable de rivaliser avec la concurrence étrangère. Autopsie d’un secteur à l’agonie.

Les déboires financiers de la compagnie maritime Comarit–Comanav ont révélé au grand jour un constat amer : l’armement marocain tangue. Il manque cruellement de compétitivité et pâtit d’un coût de revient nettement plus élevé que celui supporté par les concurrents étrangers. Pour s’en convaincre, il suffit de revenir à l’appel d’offres du ministère du Transport, lancé début mars 2012, pour l’exploitation des deux lignes suspendues au lendemain de la saisie des navires de Comarit (le Tanger Med-Sète et le Nador-Sète). Aucun candidat marocain n’avait alors soumissionné, et c’est finalement l’Italien Grande Nave Veloce (GNV) qui avait remporté le deal. Ajoutons à cela le fait que, sur la ligne Tanger Med – Algésiras, parmi les 9 ferries inscrits dans le “plan de flotte” de l’opération Transit 2012, seulement trois navires battent pavillon marocain (dont deux appartenant à l’entreprise du commandant Karia, IMTC, le troisième revient à FRS Maroc). De même, les quatre lignes de longue distance au départ de Tanger, desservant Barcelone, Gênes, Sète et Livourne, sont aujourd’hui exploitées par les deux Italiens GNV et Grimaldi… Comment expliquer l’absence de navires marocains sur ces lignes, pourtant très prisées par les investisseurs internationaux pour leur rentabilité ?

Avis de tempête
Depuis la libéralisation du secteur en 2007, pour devenir armateur au Maroc, plusieurs critères sont exigés : un certain niveau de professionnalisme et de savoir-faire, la conformité du navire aux normes techniques internationales, puis une autorisation de l’administration portuaire qui fixe les horaires de service, le quai d’accostage, etc. L’investisseur doit aussi s’acquitter d’une caution de 10 millions de dirhams lorsqu’il exploite telle ou telle ligne pendant les douze mois de l’année. Lorsqu’il s’agit d’un service saisonnier de six mois, le montant de cette caution ne dépasse pas les 3 millions de dirhams. Mais le caractère saisonnier du trafic “passagers” pousse généralement les armateurs à se convertir au fret en dehors de la saison estivale. Mais rares sont ceux qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. En effet, la flotte marocaine, fret et passagers, est passée de 43 navires en 2005 à 30 en 2011. Et  son chiffre d’affaires a baissé de 25% entre 2009 et 2010 pour se situer à 3,5 milliards de dirhams, alors qu’au même moment, les armateurs étrangers ont pu augmenter leurs recettes de 16%, à 14 milliards de dirhams.
A bâbord, le ministère du Transport ne souhaite endosser aucune responsabilité quant au “naufrage” de la flotte marocaine. “Conformément aux accords bilatéraux que nous avons signés avec certains pays de l’UE, nous veillons à assurer un partage équilibré du trafic sur l’ensemble des lignes. Mais cette fois-ci, avec la crise traversée par la Comarit, nous avons dû gérer une situation difficile”, explique un responsable. Pourtant, le cabinet de conseil anglais “Drewry Shipping Consultants” sollicité par le département de tutelle du temps de Karim Ghellab, pour mener une étude stratégique et institutionnelle, avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Drewry a ainsi constaté que les coûts d’assurance pour les navires marocains étaient supérieurs de 20 à 30% à ceux supportés par les concurrents internationaux. Ledit cabinet avait alors recommandé que les armateurs locaux puissent “choisir leur assureur indépendamment de leur lieu de domiciliation”. Interpellé sur cette question, le ministère des Finances, à travers la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS), a répondu que les armateurs marocains ont toute latitude “de contracter une assurance à l’étranger lorsque la couverture du risque en question n’est pas garantie par les assureurs marocains”. C’est le cas justement de l’assurance “corps et machines”, qui couvre les navires contre les dommages et pertes en tous genres. Au Maroc, elle fait l’objet d’un appel d’offres international, et dès que le tarif est fixé, chaque armateur conclut un contrat avec une compagnie locale (Sanad et Axa Maroc sont très actives sur ce segment). Problème, les courtiers d’assurance sont commissionnés au passage, ce qui engendre un surcoût pour nos armateurs.

Dumping or not dumping ?
Autre problème qui taraude les membres du Comité central des armateurs marocains : la fiscalité. Et pour cause, les navires étrangers ne paient aucun impôt au Trésor marocain quelle que soit la taille de l’entreprise et quel que soit le montant de son bénéfice. La plupart sont domiciliées dans des pavillons dits “de complaisance”, une sorte de paradis fiscaux du commerce maritime international (les plus connus sont le Panama et le Liberia). Les opérateurs marocains, eux, réclament une taxe au tonnage à l’instar de plusieurs pays, notamment ceux de l’UE, d’où est originaire une bonne partie de la flotte étrangère active dans les eaux territoriales du royaume. Ce dispositif fiscal consiste à imposer les entreprises non pas en fonction des bénéfices qu’elles réalisent, mais plutôt en fonction du tonnage des navires qu’elles exploitent. Un dossier épineux pour le gouvernement Benkirane, appelé à instaurer une concurrence saine entre les opérateurs locaux et étrangers. Un appel d’offres pour une nouvelle étude sur le secteur sera lancé dans les semaines qui viennent par l’équipage de Aziz Rabbah. A suivre…

 

Polémique. Entre ciel et mer

Les armateurs marocains ne décolèrent pas depuis que la Loi de Finances 2011 a exonéré les loueurs étrangers d’avions du paiement de l’impôt sur les sociétés. Habituellement, il est fixé à 10% (sous forme de retenue à la source) pour l’usage d’équipements conformément à l’article 15 du Code général des impôts. Exemple, si la RAM affrète un avion auprès d’Air France à destination de Jeddah au prix d’un million de dirhams, la compagnie française serait exonérée du paiement de l’IS correspondant au produit généré par cette transaction (soit 100 000 dirhams). Le Comité central des armateurs marocains (CCAM) estime qu’il y a là deux poids deux mesures, et revendique à son tour un traitement similaire. Surtout que les transporteurs maritimes ont souvent recours, eux aussi, à la location de navires auprès des compagnies étrangères. De son côté, le ministère des Finances campe sur sa position, la preuve par la Loi de Finances 2012 qui maintient le statu quo. Aux yeux du département de Nizar Baraka, le navire n’est pas assimilé à un équipement susceptible de faire bénéficier son loueur étranger d’une exonération d’IS. Résultat, le marché de l’affrètement de navires est quasi inexistant au Maroc, constate El Mostafa Fakhir, secrétaire général du CCAM .

 

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