Tramway. A combien ça roule ?

Le fonctionnement du tram de Casablanca ne peut se faire sans les subventions de l’Etat et des communes. Zoom sur le modèle économique d’un moyen de transport appelé à révolutionner la mobilité au sein de la métropole.

Six mois nous séparent de l’inauguration de la première ligne du tramway casablancais, prévue le 12 décembre 2012. Les Bidaouis n’ont qu’un seul vœu : en finir avec les bouchons et embouteillages, encore plus nombreux que d’habitude dans la métropole depuis le lancement de ce grand chantier long de 31 kilomètres. Le maître d’ouvrage se montre rassurant en ce qui concerne les délais et promet de livrer à temps ce projet de 6,4 milliards de dirhams. “A ce jour et après adjudication de tous les marchés, le budget définitif est arrêté à 5,9 milliards de dirhams, soit une économie réalisée de 500 millions de dirhams”, affirme Youssef Draiss, directeur de Casablanca Transport. Le financement s’est fait en grande partie via des fonds propres (4 milliards de dirhams), mais également grâce à un emprunt concessionnel auprès de la France, garanti par l’Etat, pour l’acquisition du matériel roulant (1,65 milliard). Le complément provient d’un autre emprunt : 250 millions de dirhams accordés par l’Agence française de développement et garanti par la Commune urbaine, l’actionnaire majoritaire de Casablanca Transport.

Le mystère de la tarification

Si aucun problème ne s’est posé pour financer le projet, la question de la tarification du service, elle, n’est pas encore tranchée de manière définitive. “L’étude en cours de finalisation a révélé que le prix que les gens sont prêts à débourser varie en fonction de leur catégorie socioprofessionnelle”, note Youssef Draiss. En clair, les usagers des bus veulent un tarif équivalent au prix du ticket de bus. De leur côté, les habitués des petits taxis ou encore les femmes cadres souhaitent un prix plus élevé pour distinguer le tram des autres transports en commun (dont l’image est ternie par le manque de sécurité et d’hygiène). In fine, le prix que la majorité des Casablancais sont prêts à payer serait plafonné à 5,5 dirhams. Or, le prix dit d’équilibre, censé couvrir l’investissement et les charges d’exploitation, est estimé à 7 dirhams. En appliquant ce dernier tarif, le tramway de Rabat a pu drainer à ses débuts un trafic journalier limité à 30 000 passagers, alors qu’on tablait sur un objectif de 172 000. Le concessionnaire n’a d’ailleurs pas tardé à réagir puisqu’il a fini par baisser le prix du ticket de 7 à 6 dirhams.

Le gestionnaire du tram casablancais, en l’occurrence la Régie autonome des transports parisiens (la fameuse RATP), chef de file d’un consortium associant CDG et M’dina Bus, doit être particulièrement attentif à deux principaux postes de dépenses. D’une part, les coûts fixes de l’exploitation : connus et généralement incompressibles, ceux-ci englobent les charges du personnel (600 emplois directs prévus), le coût de l’énergie, de l’entretien et de la maintenance. D’autre part, il y a les frais financiers liés aux emprunts. Le prix à appliquer, ajoute Youssef Draiss, doit également tenir compte de la fréquentation espérée car, dit-il, “les Casablancais sont très sensibles aux tarifs. Si on augmente le prix d’un dirham, on risque de perdre une fréquentation importante. Si importante que nous ne pourrons plus retrouver les recettes générées avec l’ancien tarif”.

Sensible d’un point de vue politique et social, à cause du faible pouvoir d’achat des habitants de certains quartiers desservis, le prix définitif ne saurait dépasser le seuil de 6 dirhams. Par conséquent, les recettes des ventes de billets et d’abonnements ne suffiront pas à assurer l’équilibre du tramway. Et ce ne sera surtout pas une exception casablancaise. “Les tarifs étant encadrés pour ne pas exclure une bonne partie de la population, la plupart des réseaux de transport en commun sont structurellement déficitaires”, souligne Lemghari Essakel, PDG de la Société du tramway de Rabat-Salé.

Un équilibre fragile

L’exploitation d’un tram coûte en moyenne 75 dirhams pour chaque kilomètre parcouru. En prenant l’exemple de la capitale, les rames parcourent annuellement 1,6 million de kilomètres, engendrant une charge d’exploitation globale de l’ordre de 120 millions de dirhams. Il faut compter ensuite les dépenses liées au suivi de la délégation du service public (10 MDH), aux frais financiers des prêts (45 MDH), aux dotations pour amortissement (100 MDH). “Pour se rapprocher de l’équilibre, nous devons réaliser au moins 200 à 220 millions de dirhams de chiffre d’affaires, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui”, reconnaît Lemghari Essakel. Si les rames du Français Alstom continuent à sillonner les artères de Rabat-Salé, c’est surtout grâce aux subventions des communes des deux villes, une enveloppe de 45 millions de dirhams rien que pour l’année 2012. Ainsi, la commune de Casablanca ne dérogera pas à la règle et sera obligée de mettre la main à la poche.

Mais pour assurer une pérennité financière au tramway bidaoui, des voix commencent à s’élever, réclamant des mécanismes appropriés, comme cela se fait sous d’autres cieux. Pour nous en tenir à l’exemple français, une taxe spéciale, dite “Versement transport (VT)”, est exclusivement dédiée au développement des transports en commun. Le produit de cette taxe sert à financer environ la moitié des dépenses d’investissement et de fonctionnement. Prélevé sur la masse salariale des entreprises employant plus de neuf personnes, le taux du VT varie de 0,9%, notamment dans les villes de moins de 100 000 habitants, jusqu’à 2,6% à Paris et dans le département des Hauts-de-Seine. Mieux encore, dans d’autres pays, ce sont des taxes sur les télécommunications qui financent le secteur des transports en commun.

Le financement de la première ligne du tramway de Casablanca reste assez exceptionnel. L’Etat et la commune urbaine ont payé le prix fort et ne s’attendent pas à un retour sur leur investissement. En revanche, il n’est pas sûr, nous confie cet élu au Conseil de la ville, que le même schéma de financement soit reproduit lors des autres projets prévus par le Plan de déplacement urbain (trois nouvelles lignes de tram, une ligne de RER). “Cela fait l’objet de discussions avec les instances compétentes. Plusieurs scénarios seront examinés afin de pouvoir entamer une nouvelle phase début 2013”, rassure le DG de Casablanca Transport, non sans optimisme. Pour la suite, on verra…

 

Bus-Tramway. Un ticket unique

Le contrat d’exploitation remporté par le consortium présidé par la RATP s’étale sur une durée de 5 ans. L’objectif, nous explique Youssef Draiss, est de profiter de cette période pour mettre de l’ordre dans le secteur des transports en commun. “D’ici là, nous devons être en mesure de mettre en place un véritable modèle d’exploitation intégrant à la fois les bus et le tramway”, ajoute-t-il. Mais en attendant 2017, il n’est pas exclu d’introduire un billet unique tram-bus dès décembre prochain. Les négociations entre Casablanca Transport et M’dina Bus sont actuellement à un stade avancé, apprend-on auprès des deux parties. Il ne reste plus qu’à trouver un terrain d’entente sur le partage des recettes communes. “La billetterie unique est techniquement facile à réaliser. Mais elle suppose un accord politique préalable entre les deux parties”, estime Lemghari Essakel, qui nous rappelle au passage l’épisode dramatique de Stareo, l’ancien gestionnaire du réseau d’autobus à Rabat. Au bout de deux ans d’exploitation, la filiale de Veolia s’est vu résilier son contrat de 15 ans, suite à une perte cumulée de 630 millions de dirhams.

 

Inforgraphie :

Budget du tramway de Casablanca (en millions de dirhams)

  • Emprunts : 2400
  • Budget général de l’Etat : 1200
  • Direction générale des collectivités locales : 1500
  • Commune urbaine de Casablanca : 850
  • Fonds Hassan II : 400
  • Autres (Région, Préfecture, CDG, ONCF, BCP) : 60
  • Total : 6,4 milliards de dirham

Source : Casablanca Transport

 

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