Casablanca, Marrakech, Tanger… toutes les villes marocaines et leurs périphéries croulent sous les déchets de construction. Zoom sur une bombe à retardement écologique.
Sept millions de tonnes. C’est la quantité de déchets que produit, chaque année, le secteur du bâtiment et des travaux publics au Maroc. C’est plus que tous les déchets ménagers (6,5 millions de tonnes) ou encore les déchets industriels (1,5 million de tonnes). Si en théorie toute personne produisant des déchets est responsable de leur élimination, dans la pratique, les opérateurs du BTP se contentent de les décharger en pleine nature. Ni vu, ni connu, en toute impunité. Pourtant la réglementation est bel et bien là. La loi relative à la gestion des déchets et à leur élimination, adoptée en décembre 2006, définit les déchets de construction et les classe en trois catégories selon leur niveau de dangerosité. Ainsi, 70 % des rejets des chantiers sont dit inertes, c’est-à-dire qu’ils ne produisent pas de réactions physiques ou chimiques tels que le béton, les briques ou les céramiques. Le reste est réparti entre déchets non inertes (mais non dangereux) et déchets dangereux. Et chaque type de déchets doit aller dans une décharge spécifique. Si les ordures ménagères sont destinées aux décharges de classe 1, les détritus inertes ou non dangereux doivent être placés dans les décharges de classe 2. Quant aux rejets dangereux, ils sont à disposer dans les décharges de classe 3.
Une loi inapplicable
Sur le papier, le processus est bien établi. Mais en réalité, au Maroc, il n’existe toujours pas de décharges de classe 2 ni de classe 3. Aussi, tous les déchets de construction sont tout bonnement déversés aléatoirement. C’est ainsi que l’on croise d’énormes amas de détritus aux abords des routes, à la lisière des rivières et parfois même en plein centre urbain. Et les conséquences sont catastrophiques sur l’environnement : déshydratation des sols, déséquilibre de l’écosystème, etc. L’absence d’un secteur industriel pour le stockage, le recyclage et le traitement de ces déchets rend impossible l’application de cette loi, qui prévoit pourtant des sanctions plutôt dissuasives : une amende comprise entre 10 000 et 2 millions de dirhams, voire un emprisonnement de 6 à 24 mois pour “quiconque, en dehors des endroits désignés à cet effet, dépose, jette ou enfouit des déchets considérés dangereux ou procède à leur stockage, traitement, élimination ou incinération”. Ces sanctions ne sont quasiment jamais appliquées sur le terrain, comme nous le confirme ce juriste, avec un brin d’ironie: “Si on appliquait cet article à la lettre, tous les promoteurs se retrouveraient derrières les barreaux”.
Le phénomène est en effet généralisé et touche tout le secteur. “Ne nous méprenons pas, il n’y a pas que les petits entrepreneurs qui se libèrent de leurs déchets en toute impunité, tout le monde le fait, même les plus grandes entreprises”, souligne Hassan Chouaouta, président de l’Association marocaine des experts en gestion des déchets et en environnement. En effet, dans les grands chantiers, les déchets sont censés être triés in situ afin de séparer les produits dangereux comme l’amiante, le plâtre, le goudron ou le plomb des autres déchets inertes ou non dangereux. Mais dans les faits, cela n’est effectué que très rarement. Dans les petits chantiers gérés par des entrepreneurs ou par les propriétaires eux-mêmes, ces derniers ne font qu’enlever les déchets de devant chez eux sans jamais se soucier de leur destination. “Sur les chantiers où j’ai travaillé, c’étaient les petites sociétés sous-traitantes qui s’occupaient des déchets. Parfois elles les dissimulaient sur place entre deux cloisons”, nous confie cet ancien ingénieur en génie civil d’un groupe de construction. Dans presque tous les cas, les opérations de nettoyage des chantiers sont déléguées à des camionneurs ou aux kerwilate (charrettes). Un entrepreneur de la région de Marrakech nous explique que “pour se débarrasser des déchets à moindre coût, il suffit de faire appel à un camion de 3 mètres cubes de capacité. Moyennant 200 à 400 dirhams selon l’emplacement du chantier, il vous en débarrasse”. Le camionneur se contente généralement de les décharger dans des terrains vagues à la sortie de la ville. Parfois, il arrive même qu’il les déverse à l’intérieur des centres urbains, dans des terrains loués à cet effet.
Problème de salubrité publique
De plus, même quand les constructeurs sont parfois scrupuleux et soucieux de la protection de l’environnement, l’inexistence de décharges spécialisées dans les déchets dangereux leur complique la tâche. La loi, en vigueur depuis 2006, prévoyait que dans un délai maximum de 5 ans, chaque région devait mettre en place un plan directeur de gestion des déchets, y compris ceux des chantiers. Or, 7 ans plus tard, “aucun plan régional n’a été déposé et chacun se débarrasse de ses déchets comme il le peut, ou plutôt là où il le peut”, souligne Hassan Chouaouta. Selon le département de l’Environnement, seule la région de Rabat a prévu la création de la première décharge marocaine de classe 2, afin de recevoir quelque 200 000 tonnes de déchets de construction par an… Autant dire que c’est une goute d’eau dans un océan de détritus !
Pour remédier à cette situation, les associations de protection de l’environnement montent au créneau. Mehdi Laimina, président de l’association Attahadi, nous explique, avec une colère à peine contenue, que “ce fléau touche tous les projets, même ceux des logements sociaux et des rénovations des vieux quartiers. C’est pour cette raison qu’on se retrouve avec des décharges sauvages en plein air, comme à Casablanca où cette situation a atteint un seuil critique”. Le ministère de l’Environnement, de son côté, est conscient des retombées catastrophiques de cette défaillance. “La mauvaise collecte des déchets de construction et la présence de dépotoirs au sein des zones urbaines et périurbaines entraînent des risques environnementaux et des problèmes de salubrité publique, de même qu’elles entravent le développement des activités économiques et touristiques en dégradant la qualité de la vie des populations”, souligne Khadija Sansar, conseillère du ministre de l’Environnement. Cependant, le ministère de tutelle promet la création d’un centre pour l’élimination écologique de tous les déchets dangereux du secteur du BTP. Il devrait voir le jour en 2013… Inchallah !
Déchets. Des kilos et des mètres carrés Les opérations de construction, de démolition ou de rénovation dégagent des quantités considérables de déchets. Pour la réalisation de logements collectifs comme les immeubles, il faut compter en moyenne 5 à 6 kilogrammes de rebut par mètre carré. Par exemple, un appartement de 100 m2 produit plus d’une demi-tonne de déchets lors de son édification. Pour les maisons individuelles (villas ou maisons traditionnelles marocaines), ce ratio est encore plus élevé, puisqu’il atteint 8 kg par mètre carré. “La brique d’or” du plus gros pollueur revient néanmoins aux opérations de démolition, avec 0,5 à 1,2 tonne de déchets par mètre carré détruit. Il est donc plus qu’urgent de suivre ces actions de très près car, dans les années à venir, elles seront amenées à se multiplier à cause du vieillissement du parc immobilier, qu’il faudra rénover tôt ou tard. |
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