Habitat. L’brarek font de la résistance

A 7 mois de l’échéance du programme “Villes sans bidonvilles”, plus de 500 000 Marocains vivent encore dans des taudis. Etat des lieux.

Tout a commencé en juillet 2004, lorsque Mohammed VI a lancé le programme “Villes sans bidonvilles”. Objectif : faire disparaître complètement les baraques et autres habitations de fortune du paysage urbain. Sauf que les ambitions étaient pour le moins grandioses : 85 villes visées, 1 750 000 personnes concernées, 1000 bidonvilles identifiés. Et, malgré les moyens énormes attribués à ce projet —25 milliards de dirhams, soit 15 fois le budget annuel global du département de l’Habitat—, le délai de réalisation, fixé à fin 2012, semble dès le départ intenable. “C’est impossible de faire disparaître en 8 ans un problème vieux de presque un siècle : certains bidonvilles à Casablanca datent du début des années 1920”, nous explique cet urbaniste.

Business parallèle

Aujourd’hui, à moins de 7 mois de la deadline, le niveau d’avancement du programme est très loin des objectifs fixés initialement. Les derniers chiffres du ministère de l’Habitat font état d’un taux de réalisation de 70%. Cependant, il est à noter que ce taux inclut des ménages qui sont encore en cours de transfert, voire simplement prévus dans un plan de recasement ; en d’autres termes, ce sont des familles qui vivent toujours dans les bidonvilles. En réalité, le nombre de ménages effectivement transférés ne dépasse pas 178 000, soit à peine la moitié des 348 000 ménages identifiés au lancement du programme. D’autre part, aucune des agglomérations les plus problématiques —comme Casablanca, qui concentre un tiers des bidonvilles du pays, Rabat ou Marrakech— ne figure dans la liste des 44 villes ayant acquis le label “Villes sans bidonvilles”.

Pour venir à bout des bidonvilles, il aurait sans doute fallu procéder comme pour une hémorragie, en commençant par stopper leur prolifération. Pour Fatna Chihab, directrice de l’habitat social et des affaires foncières au sein du ministère de l’Habitat, “l’arrivée de nouveaux ménages dans les bidonvilles est la cause principale du retard enregistré par le programme, le phénomène est plutôt généralisé mais se concentre en grande partie dans l’axe Casablanca – Kénitra”. En 2011, malgré des efforts de contrôle renforcés (allant jusqu’à utiliser des images satellites), 22 000 baraques ont été construites dans l’illégalité la plus totale. Et, depuis le début du programme “Villes sans bidonvilles”, 400 000 individus supplémentaires se sont installés de manière fixe dans les bidonvilles, ce qui équivaut à une hausse jamais enregistrée auparavant.

Certes, cette augmentation est directement corrélée à l’exode rural et à une démographie en perpétuelle croissance, mais pas seulement. Selon un haut responsable d’Al Omrane, la société publique chargée du relogement des bidonvillois, “le record observé durant ces huit dernières années est causé par la cupidité de certaines personnes qui viennent s’installer dans les bidonvilles, non pas par besoin mais pour profiter de l’aide de l’Etat”. Ainsi, certains citoyens disposant d’un logement en dur viendraient momentanément s’installer dans des baraques de leurs proches afin de pouvoir bénéficier des subventions publiques. Résultat, il n’est pas rare que pour un seul taudis, le ministère se retrouve avec deux ou trois demandes de logement ou de lots de terrain. Cette situation a même donné naissance à une sorte de marché parallèle dans certains bidonvilles, où le prix moyen d’une baraque avoisine les 65 000 dirhams et peut parfois grimper jusqu’à… 120 000 ! Et cela semble aller de mal en pis, puisque “le nombre de baraques augmente considérablement à l’approche de chaque élection législative ou communale”, nous a confié une source au ministère qui suit de très près le dossier.

Pénurie de foncier

Mais la prolifération des constructions anarchiques n’est pas la seule cause de l’échec du programme Villes sans bidonvilles. D’autres contraintes ont eu pour effet de retarder ce plan. Ainsi, la pénurie du foncier urbanisable, qui touche beaucoup les grandes villes où le foncier public est de plus en plus rare, contribue à bloquer la situation. D’autant que, même lorsqu’il est identifié, la procédure pour le mobiliser est lente et complexe. “Les procédures peuvent prendre plusieurs années et les collectivités locales ne s’impliquent pas assez pour simplifier les choses”, explique un cadre au sein du ministère de l’Habitat. Alors, pourquoi ne pas utiliser le foncier privé ? “C’est beaucoup trop cher, les prix des terrains privés sont 15 fois plus élevés que ceux de l’Etat, et ces valeurs ne cessent d’augmenter au fil du temps”, poursuit notre source.

Autre problème rencontré dans l’exécution du programme : la réticence des bidonvillois à changer de cadre de vie. Le scénario est devenu classique : à chaque opération de démolition de baraques, on ne compte plus le nombre de bénéficiaires du programme qui ne veulent tout simplement pas quitter leur logement et vont jusqu’à entrer en conflit avec les forces de l’ordre. Pour justifier leur refus, certains évoquent une offre non adaptée aux besoins de leurs ménages, certains logements sociaux ne prévoyant que deux pièces pour toute une famille. Pour d’autres, quitter son bidonville, c’est s’exiler loin de son quotidien et de son lieu de travail. Une dizaine de milliers d’appartements finis et de lots de terrain viabilisés sont ainsi vides et attendent toujours leurs futurs occupants. Bilal, père de famille et habitant un douar à Marrakech, nous confie : “J’ai refusé de quitter ma berraka parce qu’ils veulent nous reloger à Tamansourt, qui est à 20 km de l’atelier où je travaille. Qui va payer les frais de transport ?” Finalement, il est peu probable que le programme soit achevé dans les temps. Mais l’arrivée à échéance sera peut-être l’occasion pour la nouvelle équipe gouvernementale en charge du dossier depuis quelques mois de dresser un bilan et, qui sait, d’adopter une stratégie plus réaliste pour la prochaine période. 

 

Focus. Des hommes et des ruines

D’après le ministère de l’Habitat, “les ménages habitants des bâtiments menaçants ruine sont encore plus démunis que les bidonvillois”. En effet, bien qu’ils partagent pratiquement les mêmes conditions déplorables d’hygiène et de salubrité, les résidents des ces logements se distinguent de ceux vivants dans les bidonvilles par une funeste caractéristique : leurs maisons peuvent devenir leurs tombes. Des effondrements de ces constructions se produisent presque tous les mois. Le dernier, qui a eu lieu le 17 mai dans la médina de Casablanca, a coûté la vie à 4 personnes. Le plus inquiétant, c’est que le nombre de ces logements est estimé à 144 000 ; et ce chiffre serait très en dessous de la réalité, d’après une source au ministère de l’Habitat. Par exemple, dans la médina de la métropole, plus des trois-quarts des maisons ont plus d’un demi-siècle. Pour faire face au phénomène, un programme d’intervention, doté de 1,35 milliard de dirhams, a été mis en place depuis 2003. Mais à fin 2011, seules 86 opérations ont été réalisées dans une vingtaine de médinas du Maroc. Comme quoi, là encore, le plus gros reste à faire.

 

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