La production cinématographique nationale ne cesse de croître mais les salles de cinéma disparaissent. Pour suivre le rythme des sorties de plus en plus fréquentes des films marocains, les exploitants devront surmonter de nombreux obstacles. Zoom.
2011 est une année faste pour le cinéma marocain. C’est la première fois que le Festival de Tanger dépasse la barre des 20 longs métrages. Autant de films qui sont censés aller à la rencontre du public. Encore faut-il trouver des salles pour les projeter. Le nombre de cinémas au Maroc continue de se réduire : à peine une soixantaine aujourd’hui, soit trois fois moins qu’il y a dix ans. Alors, si le Maroc peut se vanter actuellement d’avoir doublé sa production nationale au cours de la dernière décennie, le défi désormais consiste à multiplier le nombre de salles pour ne pas pénaliser l’effort d’encouragement de la production.
Cannibalisation des films marocains
D’autant que la situation paradoxale dans laquelle se trouve le cinéma marocain risque d’entraîner une sorte de cannibalisation des films marocains. C’est ce que confirme le distributeur Najib Benkirane : “Cette année, il y aura des embouteillages monstres concernant la sortie des films marocains. Un film chasse l’autre et forcément cela n’est pas bon pour nous”. Deux raisons évidentes à cela. D’abord les salles ne pourront pas laisser les films dans la durée – surtout lorsqu’elles sont à écran unique. Et puis la concurrence va forcément s’intensifier puisque le public aura plus de choix. Le phénomène a déjà pris corps ces dernières semaines. Pour remédier à cette situation, David Frauciel, directeur du Mégarama Casablanca, a décidé d’instaurer, pour les prochaines sorties, un écart de deux semaines entre un film et le suivant. Cela, afin de réduire la concurrence directe. “Les films pourront se chevaucher mais ils auront au moins une période d’exclusivité”, explique-t-il. Une méthode qu’il n’est pas le seul à appliquer. “D’autres salles à écran unique ont choisi le même procédé”, affirme Mohamed Alaoui, distributeur. En théorie, organiser, sur une année, la sortie d’environ 25 films ne devrait pas être compliqué.
Mais la réalité est tout autre. “Il existe une période de pointe entre février et mai où la plupart des producteurs tapent à votre porte afin de diffuser leur film”, explique Mohamed Layadi, directeur de la salle Le Colisée à Marrakech. A cela s’ajoute le manque d’organisation entre les professionnels du secteur. “Les exploitants de salles ne se concertent pas entre eux concernant les sorties. Chacun négocie avec le distributeur la date de diffusion et s’arrange comme il le peut”, ajoute le propriétaire du Colisée. Au final, tous les acteurs doivent se plier au jeu de l’offre et de la demande. Y compris les distributeurs. Durée écourtée, concurrence accrue, problèmes de piratage, disparition des salles, le domaine de la distribution se voit confronté à de nombreux obstacles. C’est pourquoi le paysage cinématographique ne compte plus que 5 à 7 distributeurs importants contre une quarantaine par le passé. “La distribution est devenue le maillon faible du secteur pour une raison simple : le nombre de salles a drastiquement diminué”, déplore Najib Benkirane.
Concurrence déloyale ?
C’est l’arrivée des multiplexes dans le paysage cinématographique national qui a changé la donne du marché. En effet aujourd’hui, Mégarama se retrouve en situation de quasi-monopole avec ses 23 écrans. Sa Société représente, à elle seule, 60% du chiffre d’affaires de l’exploitation des salles de cinéma. Une position dominante qui ne réjouit pas forcément tout le monde. Mohamed Layadi s’insurge contre la politique d’exclusivité imposée par le multiplexe. “Grâce à leur importance sur le marché, les dirigeants de cette entreprise peuvent obtenir l’exclusivité sur de nombreux films. Une requête qu’un distributeur cohérent ne peut pas refuser s’il souhaite rentabiliser son produit. Du coup, les salles traditionnelles doivent se plier aux décisions du Mégarama et projeter les films plusieurs semaines après leurs sorties”.
Pour le directeur du Mégarama de Casablanca, le problème se pose différemment. “Nous ne voulons pas automatiquement l’exclusivité des films. Mais si une salle qui se trouve près de nous diffuse le même film et vend son ticket à moitié prix, nous ne sommes pas forcément d’accord”. De leur côté, certains distributeurs sont contraints de distribuer de manière limitée. “On ne peut pas faire sortir le film dans toutes les salles au même moment car on ne dispose pas d’assez de copies. Avant, je sortais un film sur 20 copies, maintenant je les ai réduites à 5”, explique Najib Benkirane qui nous précise qu’une bobine de 1h30 coûte dans les 25 000 dirhams.
Vers un code de déontologie
Aujourd’hui, le monde du cinéma marocain ne dispose d’aucune définition claire du rôle de chaque acteur. Certains réalisateurs sont producteurs, d’autres producteurs sont distributeurs qui peuvent, eux-mêmes, être exploitants de salles. Alors comment s’y retrouver ou même s’entendre ? “Cette situation ne posait aucun problème par le passé, mais aujourd’hui certains se plaignent de ce manque de définition”, commente Noureddine Saïl, directeur du Centre cinématographique marocain (CCM). Alors, pour tenter de trouver des solutions, le CCM a décidé en juillet dernier de créer une commission incluant des exploitants de salles. L’objectif est notamment de créer un code de déontologie. “Je trouve que le premier jet du code de déontologie est très intéressant. Il n’a pas encore été validé car les discussions sont toujours en cours. Certains amendements doivent être modifiés et d’autres ajoutés”, explique le directeur du CCM.
Pour certains professionnels, il serait peut-être plus efficace de faire intervenir l’Etat afin d’adapter la réglementation à la situation actuelle. Ce qui n’est pas l’avis du directeur du CCM : “Il est préférable que les professionnels du cinéma trouvent un terrain d’entente. S’ils n’y arrivent pas, on pourra alors penser à une intervention de l’Etat”. Toujours selon Noureddine Saïl, “la priorité aujourd’hui est d’accorder le maximum d’aide à la construction des multiplexes. Plusieurs sont d’ailleurs déjà programmés comme à Rabat, Agadir et Tanger. Un soutien est également nécessaire aux salles existantes qui voudraient investir afin de diviser leur salle en 3 ou 4. Si le nombre de salles augmente, le marché se régulera de lui-même”. Finalement, l’une des seules choses sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est qu’il faut plus de salles de cinéma !
Exploitation. Ce que ça rapporte… En 2011, quelque 38 films battant pavillon marocain sont sortis dans les salles. Ils ont réalisé des recettes guichets dépassant les 10 millions de dirhams, soit 18% des recettes globales encaissées dans tous les cinémas du Maroc. Le film Nhar Tzad Tfa Dow, à la tête du box-office national, a réalisé à lui seul le quart de ce chiffre (2,5 millions de dirhams de recettes pour plus 75 000 entrées). Ces recettes guichets, après déduction des taxes (qui peuvent aller jusqu’à 15%) sont partagées entre les exploitants et les producteurs. Bien entendu, ce partage passe par la société de distribution qui se charge de placer les films en salle et qui prélève une commission sur la part du producteur allant de 15 à 25%. “Ce taux varie en fonction de la prestation offerte, nous explique un distributeur. Si on fournit un effort financier plus important dans la promotion du film, il est normal qu’on exige une commission plus élevée”. Mais le partage à 50/50 entre exploitants et producteurs n’est valable que durant la première semaine de projection. Plus le film reste en salle, plus la part du propriétaire du cinéma va en baissant. C’est sans doute pour cela que les exploitants préfèrent changer leurs affiches dès la 2ème ou 3ème semaine sachant qu’il y a de plus en plus de films en concurrence. |
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