Le travail d’élaboration de la loi organique, consacrant l’amazigh comme langue nationale, a déjà démarré par le recueil des propositions des différentes ONG. Round up des doléances.
Lundi 30 avril, en plein cœur du parlement, la députée RNI Fatima Chahou (alias Raïssa Tabaâmrant) a lancé un pavé dans la mare en s’adressant au ministre istiqlalien de l’Education nationale en amazigh. Une première dans l’histoire de l’hémicycle. Cela rappelle au gouvernement Benkirane qu’il est très attendu sur la question de la langue amazighe : il s’agit de donner corps à l’article 5 de la Constitution, en adoptant une loi organique qui consacre la place de l’amazigh comme langue officielle, au même titre que l’arabe.
La consultation est déjà ouverte à ce propos entre l’Exécutif et les ONG, qui ont déposé leurs mémorandums au ministère des Relations avec le parlement et la société civile. A l’instar de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) et de l’Observatoire amazigh des droits et des libertés (OADL) qui ont déjà présenté leurs revendications. Et, sans surprise, ce sont les secteurs de l’enseignement, de l’administration et des médias qui sont au centre des propositions de toutes ces entités.
Enseignement obligatoire
Pour l’IRCAM et l’OADL, dirigé par le chercheur Ahmed Assid, il faut généraliser et rendre obligatoire l’enseignement de la langue amazighe à tous les niveaux de la scolarité, même dans les universités et les grandes écoles. Une revendication que partage le réseau Azetta pour la citoyenneté, un collectif réunissant près de 200 ONG. Ils appellent aussi à la création, au sein du ministère de l’Education nationale, d’une direction centrale pour superviser ce processus et veiller à la formation des cadres nécessaires à sa réalisation. “C’est une opération qui nécessitera de gros moyens, mais qui aidera aussi à la création d’emplois et nous fera rompre avec de longues années d’attentisme”, souligne Ahmed Assid.
Autre élément sur lequel les ONG semblent intransigeantes : l’enseignement de la langue amazighe devra s’appuyer sur l’usage de l’alphabet tifinagh, d’autant que la polémique entre les défenseurs des différents alphabets (tifinagh, arabe, latin) a été tranché en 2003 en faveur du tifinagh, par Mohammed VI himself. En parallèle, ce processus devra s’accompagner d’un travail de normalisation pour en arriver à une seule langue, sans complètement marginaliser les expressions locales ou régionales. L’IRCAM va même jusqu’à proposer une nouvelle matière dans les programmes scolaires : “la culture régionale”, afin de préserver la diversité du patrimoine amazigh.
Plus de visibilité
“L’amazigh doit être une composante de l’identité visuelle du pays”, écrit l’OADL dans son mémorandum. Concrètement, à quoi cette revendication renvoie-t-elle ? Cela signifie tout simplement que les noms des administrations et des établissements publics doivent être écrits —et bien visibles— en langue amazighe. Mais pas seulement. Les citoyens doivent aussi pouvoir demander et obtenir différents documents rédigés dans cette langue, bénéficier des services d’un interprète devant la justice et même choisir l’option “amazigh” en appelant un répondeur automatique… Et, pour résumer, être compris et pouvoir comprendre ce qu’on leur dit dans toute administration publique. “Pour les documents administratifs, de premières expériences vont être lancées incessamment”, nous explique une source au ministère des Relations avec le parlement et la société civile. Dirigé par Lahbib Choubani (PJD), ce département a déjà initié un premier pas dans ce sens. En avril dernier, il a émis un avis informant les ONG qu’elles peuvent correspondre avec lui, au choix, dans l’une des deux langues officielles : l’arabe ou l’amazigh. Et depuis début mai, les fonctionnaires de ce ministère ont même la possibilité de présenter des arrêts de travail ou leurs certificats de maladie écrits en amazigh.
Concernant l’aspect “visuel”, désormais les panneaux de signalisation —dans les périmètres urbains et en dehors des villes— devront comprendre une inscription en amazigh. “Auparavant, des présidents de communes, dans le Rif par exemple, avaient été interdits de prendre une telle décision puisque l’arabe était la seule langue officielle. Aujourd’hui, la loi suprême a résolu le problème”, affirme le responsable d’une ONG amazighe. Quant aux prénoms, ils sont l’une des exigences majeures des organismes, à l’instar de l’OADL qui demande, dans son mémorandum, la levée de toutes les interdictions.
Parité dans les médias
L’OADL comme l’IRCAM demandent que le pôle audiovisuel public soit doté d’une direction centrale qui chapeauterait tout le travail des télévisions et radios amazighes. Par ailleurs, ces deux structures souhaitent que ces médias soient dotés des moyens nécessaires (humains et matériels) pour s’acquitter de leur mission. Ainsi, l’Observatoire d’Ahmed Assid propose que le quota de 30 % de programmation en langue amazighe sur les chaînes du pôle public soit respecté. La chaîne amazighe, elle, devra passer à une diffusion terrestre pour pouvoir être visionnée dans tout le pays et non pas que via satellite, comme c’est le cas actuellement. “Nous voulons des médias publics qui parlent aux Marocains de la composante amazighe de leur société, mais loin des clichés et du folklore”, insiste un militant associatif amazigh. De plus, l’OADL exige que la programmation en langue amazighe puisse avoir sa part de prime time sur les télés publiques.
De son côté, Azetta —le plus grand collectif associatif amazigh du Maroc— opte pour une approche plus “radicale”. “Nous allons carrément soumettre un projet de loi organique pour mieux faciliter la tâche au gouvernement”, explique Ahmed Arehmouch, le président de ce réseau. Pour cela, Azetta a dépêché des délégations en Belgique, en Suisse et même en Irak afin d’étudier l’expérience de ces pays dans la gestion de leur multilinguisme. En attendant leur retour, le collectif a fait appel à un groupe d’experts et de juristes pour travailler sur ses propositions. A suivre.
Loi organique. Un processus laborieux Où en est le gouvernement concernant la loi organique sur la langue amazighe ? “Contrairement à ce qui a été avancé, ce n’est pas pour bientôt”, répond une source gouvernementale. Par contre, l’Exécutif, via le Secrétariat général du gouvernement (SGG), apporte les dernières retouches à un planning et une méthodologie qui impliquent plusieurs départements ministériels (Communication, Justice, Culture, Intérieur…). “Il s’agit d’un long processus qui sera précédé d’un large débat national”, ajoute notre source. La loi organique et une pléiade de décrets d’application doivent d’abord passer par le Conseil des ministres avant d’arriver au parlement. Les ONG amazighes pourront alors compter sur les groupes parlementaires qui ont épousé la “cause amazighe” depuis longtemps et qui ont défendu son officialisation lors de la révision de la Constitution : le PAM, le MP, le RNI, l’USFP et le PPS. Mais avant d’en arriver là, le chemin est encore long… |
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