Le président sortant du patronat laisse derrière lui une Confédération divisée et toujours en manque de représentativité. Solde de tout compte.
“Je suis fier de mon bilan”. Le président sortant de la CGEM, Mohamed Horani, prononce cette phrase et préfère garder le silence pour, dit-il, “ne pas perturber la campagne” de la candidate unique, Meriem Bensalah. Au moins jusqu’au jour de l’élection prévue le 16 mai 2012. On sent un brin de déception dans sa voix et cela se comprend. L’homme qui s’est présenté aux élections de 2009 au nom d’une filiale de l’ONA s’attendait à un consensus autour de sa réélection. Mais c’était sans compter sur l’effet de surprise déclenché par l’héritière Bensalah. Et au lieu de se jeter dans la bataille électorale, Horani a annoncé son retrait, sous prétexte de vouloir céder la place à la gent féminine. “Je ne peux que me réjouir qu’une femme marocaine se porte candidate à la présidence. Non seulement je n’ai plus aucune raison de me présenter, mais je la soutiens”, lit-on dans la déclaration qu’il a diffusée mercredi 25 avril.
Une Confédération déficitaire
Sous le mandat de l’enfant de Derb Soltane, la CGEM a dû composer avec deux gouvernements et surtout avec une grave crise économique et sociale. Du coup, les exploits de l’équipe sortante se font particulièrement rares. “L’implication du patronat dans le cadre du comité de veille stratégique a permis de sauver des milliers d’emplois dans les secteurs du textile-habillement et de l’automobile”, reconnaît néanmoins Hammad Kessal, ancien président de la fédération des PME-PMI. On notera également à l’actif de cette équipe le courage d’accepter une hausse du SMIG (+15%), la réforme des statuts et les accords de modération sociale signés avec les syndicats. Ou encore l’activisme affiché pour défendre le projet de loi limitant les délais de paiement à un maximum de 90 jours, qui fut longtemps revendiqué par les dirigeants des PME.
Horani a eu également l’audace d’entamer l’assainissement des comptes de la centrale patronale. Pas moins de 460 entreprises membres, celles qui n’étaient pas à jour de leurs cotisations, ont été radiées. Dont plus de la moitié sont issues de la région du Grand Casablanca. Cette opération de “toilettage” lui a coûté cher : une provision de 25 millions de DH suivie d’une perte nette comptable de 5,6 millions de DH à fin 2010, une première dans les annales d’une Confédération en mal de représentativité. Les derniers chiffres annoncés font état de 2442 adhérents qui devraient drainer quelque 31 millions de dirhams de cotisations au budget de l’exercice 2011. “Ce montant est assez dérisoire face à l’ampleur des besoins de la CGEM pour accomplir sa mission”, estime un membre du conseil d’administration. Le financement, voire la capacité à mobiliser les fonds, reste la bête noire de Horani.
Alors que sous le mandat de son prédécesseur, Moulay Hafid Elalamy, le problème ne s’est jamais posé, grâce précisément aux dons collectés par la “Fondation CGEM pour l’entreprise”. A lui seul, l’ancien président y a versé 4,5 millions de DH à travers sa holding Saham. Son colistier de l’époque, Mohamed Chaïbi, a contribué de son côté à hauteur de 5 millions de DH, via l’Association professionnelle des cimentiers (APC) dont il est le président. Au total, de 2006 à 2009, la Fondation a fait office de “bras armé” en mobilisant une somme de 38 millions de DH et qui a servi, entre autres, au financement du nouveau siège social. Outre Saham et l’APC, les autres donateurs ont pour noms : Akwa, Addoha, CDG, Maroc Telecom, OCP et SNI. Qu’est-ce qui a alors changé au point de pousser certains groupes à cesser de soutenir la Fondation ? Un premier élément de réponse est à chercher dans les circonstances qui ont conduit Horani à prendre les rênes du patronat marocain.
Le candidat du Palais
Nous sommes en décembre 2008. Cinq mois avant les élections, Elalamy annonce son intention de ne pas renouveler son mandat. “Etre président, c’est essoufflant. Mais cela ne veut pas dire que je vais disparaître du décor”, disait-il en substance. Son vice-président et non moins ami, Mohamed Chaïbi, décide de se porter candidat en binôme avec Youssef Alaoui, le jeune ex-président de la fédération de l’aviculture (repreneur de Cicalim, ancienne filiale de l’ONA). Tout a été prévu pour mener une belle campagne : un slogan “Ensemble et engagés”, un site Web, un centre d’appels, des rencontres avec la presse, etc. Et voilà Horani qui vient bousculer leur agenda. Sa candidature de dernière minute a pris de court le microcosme patronal, qui y a vu une sorte d’ingérence du Makhzen économique dans les affaires de la Confédération.
Mohamed Horani s’est présenté en tant qu’administrateur fraîchement recruté par Arkos, une filiale de l’ONA. Sa propre entreprise spécialisée dans la monétique, HPS, ne répondait pas alors à l’exigence de trois années d’adhésion à la CGEM. Il choisit comme colistier Mohamed Tamer, connu pour entretenir des relations conflictuelles avec le bureau syndical du personnel de son usine de textile Bogart. On connaît la suite de l’histoire. Après une réunion houleuse du conseil d’administration de la CGEM, le duo Chaïbi-Alaoui se retire de la course ! Officiellement pour “des raisons personnelles”, officieusement pour éviter la confrontation avec le candidat du Palais.
Le 21 mai 2009, soit le jour de l’élection, en présence du secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane (sic), le président fraîchement élu reçoit les félicitations de ses pairs à grands coups d’embrassades. Mais au fond de lui-même, il devait se poser la question : qui se cache derrière les 35 bulletins nuls et 746 votes blancs ? Parmi les 283 dirigeants présents ce jeudi après-midi à l’assemblée élective, quels sont ceux qui ne l’ont pas soutenu ?
Les deux clans se reconnaissent et le feront savoir. Plusieurs membres de la dream team qui avait épaulé Elalamy, principalement les grosses fortunes, déserteront le siège de la CGEM. Pour le nouveau président, la rupture ne fait que commencer et, dès le départ, le ton est donné. Entérinant la stratégie de son prédécesseur et son fameux “Livre blanc”, Horani s’inspire du slogan de sa campagne “Oser et innover” et produit sa propre “Vision 2020”.
Un blason à redorer
“Il n’a fait que reprendre les stratégies sectorielles d’ores et déjà signées avec le gouvernement. Il a manqué d’innovation en matière d’emploi, de climat des affaires”, estime un ancien président de fédération. Horani a voulu en finir avec le cliché d’une “instance de réclamation”, voire une “chambre d’enregistrement de doléances”. Il finit par donner une image docile à un patronat qui accepte ce qu’on lui donne sans rechigner. Ses promesses sont restées lettre morte : la réforme de la TVA, la baisse de l’IS, l’indemnité pour perte d’emploi, le crédit impôt recherche, le droit de grève, etc.
De 2009 à 2012, la CGEM a perdu aussi de son rayonnement international. “En période de crise, elle aurait pu gagner à se rapprocher des centres de décision à Bruxelles, Riyad et Washington”, souligne Hammad Kessal. De la même manière qu’elle aurait pu gagner en adhésion et en légitimité sur la scène nationale. Car même si Horani a pu décrocher huit sièges au profit des employeurs à la deuxième chambre du parlement, tous ne reviendront pas forcément à la CGEM. Mais lui au moins sait qu’il va garder le sien au Conseil économique et social, où il a été coopté en tant qu’expert…
CGEM-HPS. Du prestige au vertige Etre patron des patrons n’arrange pas toujours les affaires de sa propre entreprise. Le président sortant de la CGEM en sait quelque chose. Ingénieur diplômé de l’Insea, ancien DG de l’opérateur monétique S2M, Mohamed Horani est arrivé à voler de ses propres ailes en co-fondant HPS. Lors de son introduction en Bourse en 2006, c’était l’apogée de cette entreprise qui comptait déjà ses clients dans une quarantaine de pays, 126 millions de DH de chiffre d’affaires et 27 millions de DH de bénéfices. Six ans plus tard, alors que son président s’apprête à quitter la CGEM, HPS émet un profit warning sur ses résultats 2011 en révélant une perte de 47 millions de DH. Une chute qui n’est pas sans rappeler l’incident qui s’est produit l’été dernier, le jour où le gendarme du marché a diffusé un communiqué rappelant au management les deux réserves exprimées par Ernst & Young Maroc, commissaire aux comptes de HPS. Un, le résultat 2010 serait “surestimé” du moment qu’il a intégré le montant d’une vente de licence pour lequel le contrat n’était pas encore signé (25 millions de DH). Deux, des créances ou factures anciennes, jugées risquées, qui n’ont pas été provisionnées (23 millions de DH). Ironie du sort, l’une des deux factures douteuses revient à la Banque centrale de Libye. Mais pour y voir plus clair, il a fallu attendre le sort du régime Kadhafi. Ne dit-on pas que les mauvaises nouvelles ne viennent jamais seules ? |
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