Politique. Les Bleus contre-attaquent

Salaheddine Mezouar, qui vient d’être reconduit à la présidence du RNI, souhaite donner un nouveau souffle au parti de la colombe en le positionnant comme une alternative aux islamistes. Explications.

Du 27 au 29 avril, Salaheddine Mezouar s’est démené comme un diable pour “gérer” le 5ème congrès national du RNI, parti fondé en 1977 par Ahmed Osmane, alors beau-frère de Hassan II. Pari réussi : ce conclave a réuni pas moins de 3000 congressistes et l’ancien ministre des Finances a été réélu, haut la main, pour un deuxième (vrai) mandat. L’ancien président Mostafa Mansouri, évincé en janvier 2010, et l’ex-ministre des droits de l’Homme, Mohamed Aujjar, ayant retiré leurs candidatures, la route était toute tracée pour Salaheddine Mezouar. Le jeune avocat Rachid Sassi, seul challenger de Mezouar, ne faisait pas vraiment le poids.

Passé le cap de ce rendez-vous, qualifié de crucial pour la pérennité du RNI, ce parti aura plusieurs défis à relever. Habitué au pouvoir —en 35 ans d’existence, il a toujours fait partie des gouvernements successifs—, le groupe des Bleus se retrouve pour la première fois dans l’opposition, à l’étroit, et doit tracer sa propre voie. Pour Salaheddine Mezouar, le plus dur reste à faire.

Virage moderniste

“Projet démocrate, moderniste et progressiste”, est une phrase qui a été beaucoup répétée dans les discours du RNI lors de son congrès. Cela rappelle exactement le discours du PAM au moment de sa création. Une coïncidence ? “Nous avons aujourd’hui notre propre identité et nous mettons le citoyen au centre de toutes nos actions. Nous sommes pour un pays prospère, ouvert et sécurisé”, répond Chafik Rachadi, membre de la direction sortante et chef du groupe parlementaire du RNI. Notre interlocuteur rappelle les fondamentaux, revus et corrigés, de ce parti d’obédience libérale : une justice performante et une bonne gouvernance. Alors, plutôt proche de la gauche ou de la droite ? “La question ne se pose pas pour nous. Ce qui prime, c’est l’intérêt du pays, affirme un dirigeant du parti. Cependant, nous serons toujours du côté des forces vives qui défendent la démocratie, la liberté et le progrès”.

Parti de “réserve”

D’ailleurs, ce sont ces valeurs qui ont fait l’ossature de l’allocution du président du parti à l’ouverture du congrès, mais sans s’attaquer frontalement au PJD, comme c’était le cas lors de la campagne électorale. “Le choix du thème ‘Pour un Maroc de confiance et d’initiative’ pour notre congrès n’est pas fortuit”, renchérit Chafik Rachadi, pour qui le RNI doit pleinement jouer son rôle pour redonner de la crédibilité à l’action politique, notamment auprès des jeunes dans le Maroc de l’après-Printemps arabe. L’objectif inavoué est de toujours se positionner comme alternative dans le cas d’un éventuel remaniement gouvernemental qui mettrait fin au règne du PJD. Ou tout au moins prendre la place d’un Istiqlal ou d’un PPS, s’ils deviennent trop encombrants pour l’actuelle coalition de Benkirane.  Et surtout comme une soupape de sécurité pour le régime. “Tout ce qui a été avancé n’a aucun fondement, mais le RNI sera toujours là au service du pays”, réplique, de manière laconique, un dirigeant RNI.

Mais les faits sont têtus. Il y a quelques semaines, Salaheddine Mezouar lui-même avait déclaré, lors d’un meeting à Meknès, que son parti était “prêt” si on faisait appel à lui. Et Benkirane ne semble pas indifférent aux signaux lancés par le patron des Bleus. Le Chef du gouvernement a répondu favorablement à l’invitation de ce dernier à venir assister au congrès du RNI, où il a été accueilli avec les égards dus à un “frère”, comme le dira Salaheddine Mezouar dans son discours d’ouverture. Mieux : la hache de guerre semble définitivement enterrée entre les deux partis qui ne se livrent plus aux joutes verbales auxquelles ils nous avaient habitués pendant la campagne électorale.

Un peu plus de 100 jours après la formation du gouvernement, les partis tentent de se repositionner dans le nouvel échiquier politique. Et le mieux placé pour dicter sa loi, ou du moins s’imposer en arbitre, est le RNI. “Dans un an ou à mi-mandat de ce gouvernement, on a l’intime conviction qu’on fera appel à nous. En attendant, nous travaillons à ne pas perdre notre visibilité”, souligne un jeune cadre du parti. Historiquement, le RNI, depuis sa création, a toujours joué ce rôle de “parti de réserve”. Après la déroute du Mouvement populaire et du FDIC (Front pour la défense des institutions constitutionnelles d’Ahmed Réda Guédira), le régime avait sorti de son chapeau le RNI. Hassan II en avait même choisi le nom et le président, Ahmed Osmane, son beau frère…

L’union fait la force

Sévèrement critiqué par quelques congressistes sur la décision, prise de manière unilatérale, de rallier les rangs de l’opposition, Salaheddine Mezouar a rappelé que c’était le choix qu’imposaient la conjoncture et les urnes. Et surtout l’esprit de la nouvelle Constitution. Sauf que cette opposition, a-t-il clarifié, sera concrète et non pas formelle. “La nouvelle Constitution a été claire sur la place qu’elle octroie à l’opposition. Nous serons attentifs à la qualité du travail législatif, mais il ne faut pas compter sur nous pour faire de l’opposition pour l’opposition. Ce serait verser dans la démagogie”, explique un membre de la direction sortante.

L’opposition d’accord, mais avec qui ? Le G8, alliance créée à la veille des élections du 25 novembre, est définitivement morte et enterrée. Mais le RNI regarde toujours du côté du PAM, son principal allié. “La concertation continue et continuera entre nos deux formations, surtout au sein du parlement”, indique ce député RNI, qui n’exclut pas d’autres formes de coordination lors des échéances électorales à venir. En attendant, la direction du RNI cherche à renouveler ses structures. Premier signe de ce changement, le parti a modifié la dénomination de sa direction, qui devient “bureau politique” au lieu de “bureau exécutif”, et le nombre de ses membres (30 au lieu de 35). Le comité central (800 personnes) prend le nom de conseil national. De plus, le parti des Bleus est la première formation politique à instaurer des conseils régionaux dirigés par des présidents élus. “Nous anticipons déjà sur le projet de régionalisation, pour lequel nous ferons les ajustements nécessaires au moment opportun”, explique un dirigeant du parti de la colombe.

En définitive, les prochaines échéances communales et régionales seront un nouveau test pour le parti de Mezouar pour confirmer sa place d’acteur politique incontournable. Et les alliances qui naîtront au lendemain de ces élections peuvent bien réserver des surprises…

 

Défi. Faire du neuf avec du vieux…

Des mécontents, il y en a eu beaucoup lors du 5ème congrès du RNI. La cause ? Les vieux réflexes qui refusent de mourir. La liste des 800 membres du conseil national, préparée au niveau des régions, a été votée par les congressistes sans que les noms soient lus, comme le veut la loi. Le rapport financier a été validé de la même manière, sans que le moindre chiffre ne soit avancé. Mieux, Salaheddine Mezouar est intervenu en personne pour imposer un amendement aux statuts : les membres du bureau politique ne sont plus obligés de justifier de deux mandats au sein du conseil national. L’objectif est de réserver une place aux proches et amis, comme Moncef Belkhayat et Amina Benkhadra, deux anciens ministres du gouvernement El Fassi. Mais il y a eu tout de même des points positifs lors de ce rassemblement : pour l’élection du président, Rachid Sassi, le challenger de Mezouar, a exigé et obtenu l’installation d’urnes transparentes…

 

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