Road to Kaboul, actuellement en salles, est une comédie qui rompt avec le genre tel qu’il est pratiqué habituellement au Maroc. Un premier film intéressant
Pour beaucoup de cinéphiles, l’appellation “comédie marocaine” devrait être accompagnée de la mention “produit dangereux, à fuir comme la peste”. Il faut pourtant se méfier. A force d’être gavés de produits à l’humour aussi indigeste que Les Bandits ou Un Marocain à Paris, les habitants du plus beau pays du monde ont fini par développer une réaction allergique d’un genre particulier : l’intolérance à la “hmoudia”, principale caractéristique d’un certain humour made in Morocco. Le premier film de Brahim Chkiri est une petite exception, qui peut nous réconcilier avec le rire. Le soir de l’avant-première de Road to Kaboul, le public dans la salle du Lynx, à Casablanca, a ri aux éclats. Et nous aussi !
Alors, comment ce jeune réalisateur a-t-il réussi, là où tant d’autres ont échoué ? Un miracle, diront les mauvaises langues. Ou encore un one-shot qui ne se reproduira pas, la chance du débutant en somme. On verra bien… Ce qui est sûr, c’est que Brahim Chkiri s’en tient à ce qu’il sait faire, sans plus : filmer une intrigue simple mais efficace, avec un joli casting et des personnages hauts en couleur, à l’humour décalé, en abordant des thématiques qui parlent au plus grand nombre.
Arnaques et botanique
Le pitch : c’est l’histoire de quatre copains, tous chômeurs, qui rêvent d’une vie meilleure. Hmida, Messoud, Ali et Mbarek veulent s’exiler ailleurs, plus précisément à Amsterdam, là où “l’herbe” est plus verte. Comprenez, là où il y a du travail, du chichon et des filles à portée de main, en toute légalité. Pour arriver à cet Eldorado, ils confient leur destinée à Lharag (campé par l’excellent Aziz Dadas), un escroc patenté qui leur promet monts et merveilles. Mais, suite à un concours de circonstances, l’un d’entre eux se retrouve non pas en Hollande mais… en Afghanistan. Ses amis décident alors de partir à sa recherche. Et vogue la galère.
A partir de là, les choses vont prendre une tournure délirante. Sur leur route, nos quatre Bidaouis dans le vent croisent des personnages pour le moins loufoques, à l’instar de ce gérant (très, très) gay d’un hôtel de Kaboul ou encore l’acteur Saïd Bey (dans son propre rôle), qui affirme jouer “dans une comédie écrite par les Américains depuis le 11 septembre 2001, et l’affaire marche très bien”. Lorsqu’ils retrouvent enfin leur ami, ils croient être arrivés au bout de leurs peines, jusqu’à ce qu’ils découvrent que Hmida, fils de Fettouma la chouafa (voyante), est devenu… mollah et expert ès haschich au pays des Talibans. Rien que ça.
Rocambolesque, c’est le mot. Road to Kaboul offre au spectateur un cocktail de 112 minutes de rire et de plaisir sans prise de tête. Voilà qui n’est pas mal.
Kaboul près de chez vous
Pourtant, le pari n’était pas gagné d’avance. Pas moins de trois mois de tournage, un an et demi de post-production et un budget de plusieurs millions de dirhams ont été nécessaires pour la concrétisation du projet. Pour financer son premier long-métrage, Brahim Chkiri, 43 ans, que l’on a d’abord connu avec l’écurie de la Film Industry de Nabil Ayouch, n’a pas fait appel à l’avance sur recettes du CCM. Il s’est tourné vers un producteur indépendant, Mohamed Rezqui, avec lequel il avait travaillé auparavant sur des projets pour la télévision. “Quand j’ai lu le scénario et la construction dramaturgique du film, j’ ai décelé un vrai potentiel commercial et ça a suffi pour me convaincre de me lancer dans cette aventure”, affirme Rezqui, sans prétention.
Une partie du film a été tournée à Casablanca et l’autre dans le sud du Maroc. “Nous avons fait des repérages dans la région de Tata. La lumière et l’architecture sont époustouflantes, on se croirait à Tora-Bora”, souligne le réalisateur, pince-sans-rire. Il faut dire que le rendu est plus vrai que nature, les paysages et habitations environnantes donnant l’impression d’être réellement en Afghanistan. Le tournage s’est déroulé dans des conditions extrêmes, les températures atteignant jusqu’à 50 degrés à l’ombre. “Nous avons travaillé dans un environnement très dur et désertique avec de fortes températures, du matériel qui tombait en panne…”, raconte Brahim Chkiri. Dur, dur, aussi bien pour l’équipe que pour les comédiens.
Beat Generation
Road to Kaboul est servi par une belle brochette de jeunes acteurs (et la participation de Mohamed Benbrahim en guest-star), qui incarnent à leur manière cette nouvelle génération de Marocains qui s’assument tels qu’ils sont. Leur jeu, juste, libre et sans fioritures, tranche avec ce qu’on a l’habitude de voir. Que ce soit Rabii Kati (“El Oustad”, la tête pensante du groupe), Younès Bouab (le très débrouillard roi du chichon), Amine Naji (le Geek recherché par le FBI) ou Rafik Boubker (alias Hmida), les comédiens sont crédibles dans leurs rôles. Mais la véritable révélation de ce long-métrage est incontestablement Aziz Dadas (Lharag), qui crève l’écran dans le rôle de l’escroc expert en visas, qui accompagne nos harraga en herbe dans leur voyage en Afghanistan. “C’est le personnage du truand qu’on déteste foncièrement, mais pour qui on finit par avoir une certaine tendresse parce qu’il est drôle dans son vice”, explique Brahim Chkiri. Evidemment.
Sorti le 25 avril, ce premier film, qui a obtenu une mention spéciale au dernier Festival national de Tanger, devrait s’inscrire parmi les succès publics de l’année.
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