La Cour des comptes, qui vient de publier un rapport accablant sur la gestion de la chose publique, s’appuie sur un budget de 115 millions de dirhams et un effectif de 259 magistrats-enquêteurs. Cela fait beaucoup, ou pas assez ?
C’est désormais un rendez-vous inscrit dans les agendas des décideurs. Le rapport de la Cour des comptes dresse chaque année le bilan de la gestion des organismes publics et, surtout, distribue les bonnets d’âne aux mauvais élèves. La dernière livraison s’est fait beaucoup attendre.
Certains pariaient même qu’il n’y aurait pas de rapport 2009, vu le tollé que celui de l’année précédente avait soulevé. Mais c’était sans compter sur l’obstination des magistrats de la haute juridiction. “La publication du rapport de la Cour est devenue obligatoire. On ne peut pas rater le rendez-vous”, rappelle un magistrat.
Erigée en institution constitutionnelle en 1996, la Cour des comptes n’a pas souvent défrayé la chronique. Mais depuis deux ans, l’institution s’est mise au devant de la scène en publiant des rapports d’une virulence surprenante. Ce qui n’a pas été du goût de nombre de patrons d’établissements publics.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes a émis 61 avis, basés sur les 130 missions de contrôle de gestion effectuées durant l’année 2008. 130 missions, c’est beaucoup ou c’est peu ? “Il est vrai qu’il y a environ 500 établissements à auditer, mais on fait ce qu’on peut”, lâche un cadre de la Cour des comptes. L’institution souffre en effet d’un manque de moyens humains et matériels, qui ne l’a pourtant pas empêchée de devenir la bête noire des patrons des établissements publics.
Mission (presque) impossible
Assainir la gestion des deniers publics, tel est le rôle assigné à la Cour des comptes depuis sa création en 1979. Une mission difficile. Un défi. La haute institution de contrôle doit assister le parlement et le gouvernement dans leur volonté d’assainir les finances des institutions publiques. En 1998, la notion de gouvernance a fait son apparition, avec le gouvernement de l’Alternance, qui a initié un ambitieux programme de réformes qui visait à renflouer l’ensemble des secteurs vitaux de la vie politique et économique du pays. Les attributions de la Cour des comptes ont été ainsi élargies et ses compétences au niveau des collectivités locales ont été confiées à des cours régionales des comptes.
Départements ministériels, entreprises et établissements publics, collectivités locales, certaines sociétés concessionnaires de service public, associations…en principe, tous les établissements peuvent être audités par les magistrats de la Cour. En principe seulement, car bon nombre d’établissements restent à l’abri des enquêteurs. “Le comité des programmes désigne les établissements après les propositions des présidents des chambres. Vu le manque de moyens, l’audit se fait par rotation, mais la priorité va aux organismes qui gèrent des ressources importantes”, explique un magistrat de la Cour. Le Premier ministre est également habilité à faire des propositions d’établissements à auditer. Mais la primature n’a que rarement fait usage de cette prérogative. Il n’empêche, certains établissements, comme les Forces armées royales ou la direction de la Défense par exemple, demeurent intouchables. “Normalement, ces institutions peuvent être contrôlées, mais vu leur caractère sécuritaire, une autorisation préalable du Premier ministre est nécessaire”, précise notre source.
Comment ça marche ?
Contrairement à l’IGF (Inspection générale des finances), dont le contrôle n’est pas systématique et n’est activé qu’à la demande du gouvernement, la Cour des comptes a des compétences très larges et peut s’autosaisir. Elle intervient annuellement pour s’assurer de la bonne gestion des dépenses publiques des ordonnateurs.
Au vu du programme des travaux de la Cour, le président de la première chambre désigne les conseillers qui procèdent au contrôle de la gestion des organismes sélectionnés. Des conseillers qui ont les coudées franches puisqu’ils sont habilités à se faire communiquer tous documents ou pièces justificatives susceptibles de les renseigner sur la gestion de ces organismes et à procéder à l’audition des personnes dont ils estiment le témoignage nécessaire. Le conseiller rapporteur communique ses observations aux responsables des organismes concernés. Ces derniers peuvent formuler leurs commentaires dans un délai de deux mois (rapport contradictoire). Passé ce délai, le conseiller rapporteur établit son rapport, lequel est délibéré en présence de cinq membres, dont le président de la chambre et le conseiller rapporteur. “La procédure contradictoire donne lieu parfois à des réponses hilarantes. Pris en flagrant délit, les responsables ne trouvent rien à dire pour justifier leurs ‘bêtises’”, affirme un magistrat de la Cour.
Les décisions de la chambre sont prises à la majorité des voix. Le conseiller rapporteur prépare un projet de rapport particulier, qui est soumis à la délibération de la chambre. Il est ensuite soumis au Premier ministre, au ministre des Finances et au ministre de tutelle concerné, lesquels peuvent formuler leurs observations et exprimer leurs avis dans un délai fixé par le premier président et qui ne peut excéder un mois.
Le circuit ne s’arrête pas là : ces rapports, accompagnés des avis et commentaires reçus, sont ensuite transmis au comité des programmes et des rapports en vue de leur insertion, le cas échéant, au rapport annuel de la Cour et au rapport sur l’exécution de la Loi de Finances.
Insuffisances
Si un organe aussi sensible que la Cour des comptes n’a pas toujours autant fait parler de lui, c’est que la lourdeur et la lenteur des procédures l’ont toujours lesté. En matière de discipline budgétaire et financière, les textes prévoient que la Cour doit être saisie par le Parquet général de sa propre initiative ou à l’initiative des présidents des deux chambres du parlement, du Premier ministre, du ministre des Finances ou d’un autre ministre pour les faits relevés à la charge des fonctionnaires et agents placés sous leur autorité.
Sur le plan humain, l’effectif de 432 personnes, dont 259 magistrats, demeure bien insuffisant pour assurer la célérité du travail de la Cour. La dernière Loi de Finances lui a alloué 50 postes budgétaires, “mais cela reste insuffisant”, indique un magistrat de la Cour, qui ajoute : “Bientôt nous entamerons un grand chantier qui est celui de la déclaration de patrimoine. Avec les ressources actuelles de la Cour, la mission ne sera pas de tout repos”.
Même constat pour les moyens financiers. Les crédits qui sont accordés aux juridictions financières ont certes été revus à la hausse, passant de 104 millions en 2007 à 115 millions de dirhams en 2008, mais restent en dessous des ambitions des magistrats-enquêteurs.
Et après…
Les responsables épinglés par le rapport de la Cour des comptes seront-ils traduits devant la justice ? C’est la question que se pose l’opinion publique. La juridiction financière ne contrôle que les deniers publics et le pénal n’est pas de son ressort. “Pour passer au pénal, le procureur général de la Cour doit établir la mauvaise foi des responsables en cause, ce qui n’est pas toujours facile”, explique un magistrat de la Cour. Néanmoins, le rapport de la Cour a acquis, au fil des années, une notoriété morale. Remis au roi, il met à nu les responsables des établissements publics. De plus, le rapport interpelle les ministères de tutelle, et par ricochet le gouvernement, sur la gestion des deniers publics. “C’est aussi une question de culture. Les responsables n’ont pas encore la culture du contrôle. Mais il faut dire que la Cour n’en est qu’à son deuxième gros rapport”, nuance un responsable de l’institution. En tout cas, poursuit-il, la Cour a fait son travail. La balle est dans le camp du gouvernement. La moralisation de la vie publique restera-t-elle un vœu pieux ?
Communication. Fini le temps du mutisme ! |
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