Liban. Voyage au bout de l’enfer

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30 000 syriens se sont réfugiés au pays du Cèdre, depuis le début des évènements qui ont secoué la Syrie. Reportage auprès de ces exilés aux conditions de vie plus que précaires.

Ce vendredi après-midi, après les pluies diluviennes de la veille, le bidonville de Hay Al Tanak dans la ville de Tripoli ressemble à une gigantesque flaque d’eau où les enfants pataugent, au milieu des poules et des détritus. Les toits en tôle ondulée ont été recouverts d’amas de pierres et de pneus, et des bâches en plastique ont été étendues à la hâte pour éviter les inondations. Depuis quelques mois, des dizaines de réfugiés syriens se sont installés dans ce quartier, aux côtés des familles libanaises déshéritées qui y vivent.

Fatima, son mari et ses cinq enfants ont débarqué il y a un mois de la région de Tartous, sur la côte syrienne. “La situation était devenue intenable. Les snipers étant postés sur les toits dans plusieurs quartiers, on ne pouvait plus sortir. Il n’y avait plus d’eau, ni d’électricité, ni de téléphone”, soupire Fatima. La famille n’a pas eu d’autre choix que de louer un lugubre deux pièces à Hay Al Tanak, pour 200 dollars par mois. “Nous avons à peine de quoi manger et des vêtements de rechange. Nous buvons l’eau du tuyau dans la cour, même si elle est insalubre”.

Asile ou calvaire ?

A quelques blocs du taudis de Fatima, la famille d’Oum Mohammad s’est installée derrière une marbrerie. “Nous risquons d’être mis à la porte, nous n’avons pas  payé le loyer depuis deux mois”, s’inquiète cette mère de famille de 35 ans. “Des organisations nous aident de temps à autre, mais cela ne suffit pas. Nous ne mangeons pratiquement que du riz et des pâtes. Depuis deux jours, je remplis le biberon de ma fille avec du thé, car le lait coûte trop cher.” Ahmed, son mari, ne trouve aucun travail au Liban. “Je vends parfois du café, mais cela ne me permet pas de gagner les 20 dollars par jour nécessaires pour faire vivre mes quatre enfants”, explique-t-il. La famille, qui habitait près du quartier d’Al Bayada, à Homs, n’envisage pas d’y retourner pour l’instant. “Notre maison a été détruite. Dans la famille de mon cousin, quatre personnes ont été tuées il y a deux semaines dans le bombardement de leur domicile”, raconte Oum Mohammad.

Tous les réfugiés le répètent, leur priorité est de pouvoir financer un logement. Contrairement à la Turquie, il n’existe pas au Liban de camps de tentes humanitaires. “On ne veut pas stigmatiser les réfugiés, mais installer des camps pose des problèmes sécuritaires et renforce les risques d’abus sexuels”, soutient Dana Sleiman, responsable de la communication au Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR), qui vient en aide à près de 10 000 réfugiés, en coopération avec le Haut comité de secours —un organisme gouvernemental libanais— et différents partenaires.

Ménager Bachar…

En fait, les enjeux sont surtout politiques. Le Hezbollah et ses alliés au gouvernement refusent l’installation de camps afin de ne pas froisser le régime de Bachar Al Assad. Du coup, une grande partie des réfugiés sont hébergés chez des Libanais, dans la région de Wadi Khaled, frontalière avec la Syrie. Souvent, ils ont de la famille éloignée au pays du Cèdre. Mais à Tripoli, deuxième plus grande ville du Liban, à 20 kilomètres de la frontière, ils arrivent en territoire inconnu. Ce sont des associations caritatives libanaises — pour la plupart islamiques — qui ont dans un premier temps aidé à financer les loyers. Elles se sont regroupées dès avril 2011 au sein d’une coalition de 28 ONG. “Des dizaines de familles viennent s’enregistrer chaque semaine dans nos locaux, nous sommes dépassés. Nous comptabilisons 10 000 réfugiés dans Tripoli et ses banlieues”, explique Ahmed Moustapha Mohammad, directeur d’Al Bachaer, l’une des associations du réseau. “Nos ressources nous permettent uniquement de fournir des cartons de nourriture une à deux fois par mois, des couvertures et des consultations gratuites”.

Les organisations islamiques reçoivent, certes, des dons d’associations européennes ou du Golfe, mais les fonds manquent. Pourquoi alors l’UNHCR n’aide-t-il pas davantage de réfugiés ? L’organisme, qui coopère étroitement avec le gouvernement libanais, marche  sur des œufs. Il n’a pu obtenir qu’en février l’autorisation d’enregistrer les réfugiés dans la région de Tripoli. Ces derniers, méfiants, ne se signalent pas systématiquement au UNHCR, de peur que leurs noms ne soient transmis au gouvernement libanais, puis à Damas.

Avec le prolongement de la crise, la diaspora syrienne se mobilise aussi. Depuis décembre, le “Haut comité de secours syrien” —une organisation basée à Istanbul, liée à l’Armée syrienne libre— affirme apporter une aide humanitaire à près de 3000 personnes au Liban. Il gère surtout la convalescence des blessés ayant fui la Syrie.

Les oubliés de la révolution

C’est à Abou Samra, une banlieue tranquille qui surplombe Tripoli, que le “Haut comité de secours syrien” a établi l’un de ses QG au Liban. L’organisation, fondée par Ahmad El Sabuni, un Syrien expatrié en Arabie Saoudite, a loué à un ancien lieutenant de l’armée libanaise deux étages d’un centre de physiothérapie dans le complexe de Dar El Zahra. Les dix-sept chambres sont sommaires. Des murs jaunis, certains lits en bois, aucune télévision, un personnel médical fantôme, trois à quatre blessés par chambre. Ici, on fait avec les moyens du bord. “Nous avons accueilli 300 blessés depuis quatre mois. Nous avons une équipe de vingt personnes le long de la frontière, qui récupère au Liban les blessés exfiltrés par l’Armée syrienne libre. Nous faisons aussi passer du matériel médical en Syrie”,  affirme un jeune homme qui se fait appeler Abou Yasser. Les blessés les plus graves sont d’abord conduits à l’hôpital gouvernemental de Tripoli, où les soins intensifs sont couverts par le Haut comité de secours libanais. Ils sont ensuite pris en charge gratuitement à Dar El Zahra.

Khaled, 32 ans, est arrivé à Abou Samra il y a un mois et demi. C’est un rescapé de Bab Amr, à Homs. Pendant plus de trois mois, il a évacué les blessés dans les rues. Un matin de février, alors qu’il pénétrait dans une maison détruite pour secourir une femme aux jambes arrachées par une bombe, le bâtiment est touché par un second obus. Les éclats pénètrent dans sa gorge, et ricochent dans son bras. “J’ai été amené dans une maison à Homs, où des médecins ont stoppé l’hémorragie. Ensuite, j’ai été transporté par l’Armée syrienne libre jusqu’à la frontière”, raconte Khaled, le bras enroulé dans une écharpe.  “Dès que j’irai mieux, je veux retourner en Syrie, je me sens inutile ici. Je n’ai pas peur”, assène-t-il, le regard dur. Et qu’attend-il du plan Annan ? La réponse est cinglante. “Nous ne voulons plus rien de personne, le monde entier nous a abandonnés. Nous avons seulement confiance en Dieu. Ou la victoire, ou la mort”.

 

Eclairage. L’ambiguïté du gouvernement libanais

Délicate position pour le Liban. Si le Premier ministre est un sunnite qui ne peut rester insensible à la cause des réfugiés syriens, la majorité des membres du gouvernement sont affiliés au Courant patriotique libre (CPL) du général chrétien Aoun et à son allié, le Hezbollah, resté un fidèle soutien du régime syrien. C’est donc le Haut comité de secours, un organisme d’urgence relevant directement du Chef du gouvernement, qui finance l’aide alimentaire aux réfugiés enregistrés par l’UNHCR et les soins intensifs des blessés. C’est par ce même biais que le Premier ministre avait financé la contribution libanaise au Tribunal spécial pour le Liban en 2011, contre l’avis du reste du gouvernement. Mais ce comité est également une structure interministérielle et doit sans cesse faire des compromis. Il désigne ainsi les réfugiés par le terme de “déplacés” et n’a pas donné son aval pour venir en aide à la nouvelle vague de 8000 réfugiés, arrivés depuis deux mois dans la plaine de la Bekaa, région contrôlée par le Hezbollah. Le gouvernement libanais refuse aussi le droit de circuler aux nombreux réfugiés entrés au Liban par les points de passage illégaux. Ils sont confinés dans la zone frontalière de Wadi Khaled, qui regroupe 22 villages. S’ils tentent de sortir de ce périmètre, ils se font arrêter aux barrages militaires.

 

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