Conso. L’âge d’or de la glace

Lancée en 2000, l’enseigne Venezia Ice, qui compte pas moins de 28 cafés-glaciers, est devenu un incontournable du paysage urbain marocain. Histoire d’un concept qui fait fureur dans tout le pays.

C’est au siège du groupe, situé à deux pas du Twin Center à Casablanca, que nous rencontrons Sghir Bougrine, le PDG de Venezia Ice. L’endroit, dont le design minimaliste mélange bois et inox, reflète l’esprit d’efficacité qui anime le créateur de la marque. D’ailleurs, c’est le patron en personne qui nous accueille et nous conduit à son bureau, le plus simplement du monde. On est bien loin du protocole grandiloquent des businessmen de l’ancienne école. Des fenêtres de son bureau, la vue est imprenable sur le quartier commerçant chic et branché de la métropole : le carrefour Zerktouni-Massira Al Khadra. Cette même place où Sghir Bougrine a eu l’audace d’ouvrir son premier café-glacier, en 2000, au moment où tous le prenaient pour un fou. Car, à l’époque, le pari était risqué, le goût des Marocains pour les crèmes glacées se limitant à la “vanille” de leur enfance. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et déguster une glace chez Venezia Ice est presque devenu une habitude pour de nombreux citadins.

I have a dream…

Né en 1962 à Derb Soltane, Sghir Bougrine est un élève doué. Après un bac option sciences maths, il est sélectionné pour une classe de maths sup’ dans un lycée parisien. Une chance pour ce garçon aux origines modestes. “Je suis arrivé à Paris en 1985 pour faire une prépa aux grandes écoles d’ingénieurs. Seulement, j’ai dû jeter l’éponge en cours de route car mes ressources financières étaient limitées”, se souvient-il. Il décide alors de rentrer au bercail.

Un an après, l’occasion de partir à nouveau en Europe se présente. Direction Amsterdam cette fois-ci, où il poursuit des études de management tout en travaillant dans une multinationale de distribution agroalimentaire. Bien qu’il ait débuté comme simple employé, Bougrine va gravir les échelons jusqu’à atteindre le top management de la société. Mais au fil du temps, l’idée de revenir au pays et lancer sa propre affaire est de plus en plus pressante. En 1996, il suit une formation dans l’industrie de la glace tout en multipliant les voyages en Italie, la grande Mecque des artisans-glaciers. Puis, fin 1997, Sghir Bougrine plie bagages et rentre à Casablanca. “Pendant toutes ces années que j’ai passées aux Pays-Bas, j’ai toujours refusé de me marier afin de ne pas me créer des attaches qui auraient pu m’empêcher de rentrer définitivement quand je le voudrais”, se rappelle-t-il. Une fois sur place, il commence d’abord par créer Stargel, une société d’import et de distribution de produits liés à la pâtisserie et aux glaces. Puis il s’associe avec sa sœur pour lancer le Beverly, un premier café-glacier situé sur le boulevard Moulay Youssef. La réussite est immédiate. Cette expérience sera l’occasion pour lui de mûrir son concept et de trouver les clefs pour révolutionner les codes de consommation de l’ice cream au Maroc.

Même pas froid aux yeux

Début 1999, Sghir Bougrine parvient à décrocher le financement d’un projet de café-glacier en plein cœur du Maârif. “Le quartier commençait à peine à décoller. Mais j’ai quand même dû débourser 4 millions de dirhams pour acheter le local, ce qui était énorme, surtout que l’investissement total ne dépassait pas les 9 millions de dirhams”, souligne notre homme. Pour rompre avec le kitsch ambiant et repenser les canons du métier, il travaille l’identité visuelle des lieux et innove en optant pour un présentoir pour les glaces et les pâtisseries d’une longueur de sept mètres. Il soigne également la qualité du service en choisissant de recruter un personnel jeune et dynamique. Et pour séduire la clientèle casablancaise, il crée une carte avec de nombreux parfums inconnus jusqu’alors du grand public. En juillet 2000, le premier café-glacier Venezia Ice ouvre ses portes dans la capitale économique, sous une température caniculaire. Un coup de pouce du destin qui fera de l’endroit un des hauts lieux de la branchitude à Casablanca. “Au début, je fabriquais moi-même les glaces dans le laboratoire de l’établissement, avant de former trois personnes au métier. Depuis, elles sont devenues des piliers de la boîte”, affirme cet homme d’affaires qui n’a jamais hésité à mettre la main à la pâte. Quelques mois plus tard, les commandes des hôtels, restaurants et même de certains traiteurs commencent à pleuvoir.

De glaces qui font boom

Pour faire face à la demande croissante, Sghir Bougrine investit 20 millions de dirhams en 2002 dans la construction d’un vaste laboratoire de production (d’une capacité de deux millions de litres par an) et de stockage dans la zone industrielle de Nouaceur. Et, pour mieux faire connaître la marque, il implante des chariots pour vendre ses glaces dans les stations balnéaires durant la saison estivale. Le succès est fulgurant, ce qui permettra l’ouverture du deuxième Venezia Ice à Marrakech, en 2003. Suivra un troisième à Agadir : “C’était le 12 mars 2004, le jour de l’anniversaire de ma femme”, confie Bougrine avec une pointe de tendresse dans la voix. Puis ce sera au tour de Rabat, Tanger, Tétouan et Meknès.

Ce déploiement dans les villes du royaume s’est fait aussi bien à travers des unités propres que par le biais de franchises. Aujourd’hui, il existe vingt-huit cafés Venezia Ice, disséminés dans tout le pays. “Les négociations pour le lancement de la marque au  Maghreb, au Sénégal et au Moyen-Orient sont bien avancées”, nous confie Bougrine. Venezia Ice s’inscrit aussi dans l’air du temps en accompagnant le boom des centres commerciaux, marinas et malls en tout genre. Ainsi, en 2010, l’enseigne s’allie au géant canadien MTY pour se lancer dans le Food Courting, qui permet aux produits de la marque d’être inclus dans le menu de ces spots de restauration rapide. Après la réussite du concept au centre commercial Al Mazar de Marrakech, Sghir Bougrine part à la conquête de la Marina de Saïdia et du Morocco Mall à Casablanca.

Mais Venezia Ice, ce n’est pas uniquement de la glace. La marque dispose également d’une gamme de pâtisseries qui contribue à près de 45 % de son chiffre d’affaires. “Notre fierté est d’avoir réussi à rendre populaire le gâteau glacé, qui est devenu un incontournable dans les restaurants et dans les cérémonies de mariage”, décrète le businessman. Avant de conclure : “Durant les cinq prochaines années, nous prévoyons un réseau de 50 points de vente”. Sacré Bougrine ! 

 

Franchise. Combien ça coûte ?

La consommation de glace au Maroc a connu une croissance phénoménale durant cette dernière décennie, et atteint pas moins d’un million de litres par an. “Depuis quelques années, les Marocains en dégustent été comme hiver, ce qui est une révolution dans les modes de consommation”, souligne Sghir Bougrine. Ce succès a suscité l’intérêt de nombreux investisseurs qui se sont rués sur la marque. Afin d’obtenir la franchise, il faut débourser un droit d’entrée  minimum de 200 000 DH pour un local de 50 à 60 m2 dans un centre commercial. Pour des superficies plus grandes, le prix est calculé au mètre carré et se situe entre 2000 et 2500 DH le mètre en fonction de l’emplacement et de la ville, pour un contrat renouvelable de huit ans. Mais la franchise s’avère un excellent investissement. Pour le moment, c’est Casablanca, Agadir et Rabat qui réalisent les meilleurs scores de rentabilité alors que, paradoxalement, Marrakech s’inscrit dans la catégorie des mauvais élèves. “Dans la ville ocre, il y a trop de concepts de glaciers qui ont été lancés en un temps relativement court. La clientèle n’a donc pas suivi”, explique Bougrine, dont la marque est par ailleurs enregistrée en Europe et en Amérique du Nord. L’entrepreneur — qui est à la tête de la Fédération marocaine de la franchise— ambitionne déjà de dynamiser l’enseigne Venezia Ice à l’étranger.

 

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