Après la cession par la SNI de 54% du capital du leader national du secteur des huiles, les nouveaux actionnaires de Lesieur se devaient d’offrir une voie de sortie aux petits porteurs. Mais seuls les institutionnels marocains devront passer à la caisse. Contours et zones d’ombre d’une OPA taillée sur mesure.
Ce que la SNI veut, la SNI l’obtient… sur le marché financier. Bien évidemment, ce n’est pas un scoop. Faire la liste de toutes les opérations boursières menées par le holding royal où les brèches juridiques -d’une législation boursière gruyère- ont été habilement exploitées reviendrait à récapituler l’histoire de la Bourse de Casablanca de ce début de 21ème siècle. Depuis l’Offre publique de rachat de Financière Diwan en 1999 jusqu’au retrait de SNI et ONA en 2010, quasiment toutes les grosses transactions impliquant le conglomérat appartenant à la famille royale ont apporté leur lot d’innovation. Et la dernière Offre publique d’achat (OPA) – qui s’ouvre le 27 mars – sur les actions de Lesieur ne déroge pas à la règle. Effectivement, tout le montage de cette OPA a été pensé de manière à permettre à la SNI de réaliser son désengagement de Lesieur selon les modalités qu’elle a décidées.
Cherche partenaire idéal
Tout commence en 2010. En marge du big-bang boursier (la fusion SNI – ONA), les managers du holding royal dévoilent une liste d’entreprises dans lesquelles ils envisagent de réduire leur participation. Lesieur – Cristal est dans le lot de ces compagnies agroalimentaires qui ont longtemps gavé en dividendes le conglomérat, mais dont il est désormais temps de se soulager. On parle alors uniquement d’une Offre publique de vente (OPV) qui permettrait à la SNI de réduire son contrôle de 75% à moins de 30%. Quinze mois plus tard, alors que le Printemps arabe avait déjà soufflé sur le royaume, on présente au marché boursier un nouveau scénario de désengagement. Il n’est plus question pour le groupe royal de garder la moindre action dans le capital du leader national (60% des parts de marché) du secteur de l’huile, cette denrée alimentaire incontournable dans le panier de la ménagère et dont le prix a tendance à flamber ces dernières années. Mais il est indispensable de trouver à la mariée Lesieur un fiancé avec un pedigree respectable, un partenaire industriel de référence.
En juillet 2011, un protocole d’accord est alors signé entre la SNI et Sofiprotéol -un groupe français contrôlé par les opérateurs de la filière des oléagineux- pour la cession de 41% de Lesieur contre la somme de 1,3 milliard de dirhams. “Nous aurions pu tout vendre d’un coup et même à un prix plus cher à d’autres opérateurs étrangers qui ont manifesté de l’intérêt, nous explique Aymane Taud, directeur à la SNI. Mais nous tenions à ce que des investisseurs institutionnels marocains soient impliqués dans la gouvernance de Lesieur et à élargir aussi le flottant en Bourse (titres non détenus par des actionnaires stratégiques) en lançant une OPV pour vendre le reste de notre participation au grand public”.
Sofiprotéol semble donc avoir été le seul à accepter de telles exigences. Par quel miracle se serait-il laissé convaincre d’un deal aussi contraignant ? Philippe Tillous-Borde, directeur général de Sofiprotéol, reste assez évasif. “Cette répartition du capital permet à des acteurs locaux de continuer à être présents dans le tour de table d’une entreprise d’une taille respectable implantée au Maroc. Toutes les parties prenantes du dossier étaient donc d’accord sur l’intérêt de ce schéma”.
Solidaires mais pas trop
Pour verrouiller ce schéma, il fallait faire en sorte que la participation de Sofiprotéol dans Lesieur reste figée à 41%, pour garder un certain équilibre entre les actionnaires. Le hic, c’est qu’en acquérant une telle participation, le groupe français était tenu par la loi d’initier une OPA et se retrouve donc automatiquement acheteur sur les actions Lesieur. Pour satisfaire à cette obligation légale, tout en évitant au partenaire français de passer à la caisse, les institutionnels marocains sont alors entrés en ligne… de manière précoce. D’abord prévue après le big deal avec Sofiprotéol et parallèlement à l’OPV, la transaction avec les “zinzins” a été avancée. Le 10 février, en concomitance avec la cession du bloc de 41% au groupe français, la SNI lâche près de 13% supplémentaires de Lesieur à des caisses de retraite (CIMR et CMR), à une mutuelle (MAMDA-MCMA) et à sa compagnie d’assurance (Wafa Assurance). Et ce sont ces investisseurs, qui devront supporter seuls le financement de cette OPA, même si Sofiprotéol figure en tant qu’initiateur.
Cette situation où le principal acquéreur ne débourse pas le moindre dirham à l’occasion d’une OPA obligatoire est une grande première sur la Bourse de Casablanca. Et c’est tout à fait légal, à en croire Hassan Boulaknadel, le directeur du CDVM : “Du moment que l’OPA est initiée par l’ensemble des membres du consortium, la réalisation de l’opération n’impose pas à ces derniers d’acquérir tous et à parts égales les titres visés”. Pour appuyer ses dires, le gendarme en chef de la Bourse se lance dans une interprétation sémantique de la loi, en mettant de côté son esprit. “Les dispositions légales parlent d’une obligation ‘solidaire’ entre les initiateurs et non pas d’obligation ‘conjointe et solidaire’ impliquant une exécution de l’engagement par tous les protagonistes”. Hassan Boulaknadel, qui a longtemps roulé sa bosse sur le marché boursier (notamment aux côtés de Hassan Bouhemou, PDG de la SNI), avant d’être nommé directeur du CDVM, admet malgré tout que “cette OPA est singulière”.
Après l’OPA viendra l’OPV
Une autre singularité de l’OPA sur Lesieur, c’est qu’elle sera suivie d’une OPV destinée au grand public et qui bouclera définitivement le retrait du groupe royal. “Elle va être réalisée dans la foulée, avant fin juin”, nous confie une source proche de la SNI. Le groupe royal ne sera pas le seul à mettre le reliquat de sa participation en vente, les nouveaux institutionnels du tour de table sont aussi de la partie : ils se sont engagés à revendre toutes les actions qu’ils ramasseront au cours de l’OPA obligatoire. Pour la CIMR, CMR, MAMDA-MCMA et Wafa Assurance, cela devra se traduire inéluctablement par une moins-value réelle. Et la somme risque d’être non négligeable : les institutionnels s’engagent théoriquement à débourser 480 millions de dirhams dans le cadre de cette OPA et revendre dans quelques semaines à un prix moindre.
Tous les professionnels du marché s’accordent à dire que le prix de vente qui sera proposé lors de l’imminente OPV devrait, en toute logique, être inférieur au cours de 108 dirhams, fixé pour l’actuelle offre d’achat obligatoire. Pourquoi alors acheter aujourd’hui pour revendre demain moins cher ? Les institutionnels ne seraient-ils pas en train d’agir au détriment des intérêts de leurs institutions, juste pour permettre au groupe royal de respecter un schéma de sortie prédéfini ? “Pas du tout, rétorque Khalid Cheddadi, président de la CIMR. Lesieur est une bonne affaire qui nous a toujours intéressés. Quant à l’éventualité de réaliser une moins-value entre ces deux offres publiques, c’est un scénario envisageable pour lequel nous avons déjà prévu une solution adéquate”. Même dans les couloirs de la SNI, on murmure qu’un mécanisme est envisagé pour permettre aux institutionnels de ne pas laisser des plumes dans cette transaction. Il faudrait donc s’attendre à une nouvelle trouvaille des managers du holding royal. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises…
Confidences. Les secrets d’un pacte Sous la supervision de la SNI, les institutionnels marocains et Sofiprotéol ont signé un pacte d’actionnaire. “C’est un pacte valable pour quatre ans et qui fige la participation des actionnaires de référence de Lesieur et définit les règles de cohabitation dans les instances de gouvernance”, nous explique Khalid Cheddadi, coopté après la transaction comme président de Lesieur. Dans la nouvelle configuration du conseil d’administration de la société, les Marocains gardent la présidence honorifique puisqu’ils ne disposent que de 5 fauteuils d’administrateurs contre 6 sièges pour les Français qui gardent en plus la main sur la désignation du directeur général. “Il y a néanmoins des décisions où les administrateurs marocains peuvent avoir un droit de veto, notamment tous les engagements dépassant 60 MDH”, nous confie une source proche du dossier. |
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