Livre. Génération sacrifiée

Le 5ème roman de Mohamed Nedali, Triste jeunesse (éd. Le Fennec, 2012), brosse le sombre tableau d’une jeunesse marocaine au chômage et en prise à mille frustrations.

L’euphorie romantique suscitée par le Printemps arabe, la révolte des jeunes dans un élan libératoire et la lutte pour la justice et la dignité, ce ne sont pas les sujets de Mohamed Nedali. Non que le romancier de Tahannaout y soit indifférent, bien au contraire, mais parce qu’il a choisi, dans son dernier roman, intitulé Triste jeunesse, de raconter l’avant de l’explosion. Ici, pas de Bouazizi, dont le geste désespéré a cristallisé la colère. Les héros du roman sont aussi de jeunes diplômés au chômage. A Marrakech, Saïd, son ami Younès et son amoureuse Houda, végètent malgré leurs diplômes universitaires, et doivent se débrouiller pour aider leurs familles aux revenus plus que modestes. Houda, qui rêvait de devenir professeur de sciences naturelles, comme son modèle, la belle Naïma Ayour, échoue à tous les concours, et ce n’est pas faute de travail. Younès doit faire le deuil de son père, renversé par un policier, et de l’enquête qui aurait envoyé le criminel en prison. Il doit aussi tirer un trait sur son amour de lycée, la belle Latifa, partie du jour au lendemain vendre ses charmes dans le Golfe. Quant à Saïd, c’est en prison qu’on fait sa connaissance, et tout le roman retrace l’histoire de sa jeunesse ratée, de ses études sans débouchés, de son amour trahi.

Horizons murés

C’est le portrait d’une jeunesse sans espoir que retrace Mohamed Nedali, qui prête à son héros le jugement suivant sur ce Maroc qui lui ôte toute perspective de vivre sa vie : “Tous les jours que Dieu fait, des milliers de citoyens de par le pays éprouvent ce sentiment d’injustice. La corruption bat son plein, le népotisme régit tous les rapports, la justice est ouvertement au service du plus offrant, les partis politiques, toutes tendances confondues, sont de farouches partisans du statu quo, les syndicats ont vendu leur âme au diable, les écrivains et les poètes n’ont pas droit au chapitre, les riches se permettent tout, les pauvres désespèrent de tout, les jeunes n’aspirent qu’à émigrer, le pays entier fonce droit dans le mur”.

Le roman de Nedali n’est pas un réquisitoire ni un cahier de doléances. C’est un “miroir promené le long d’un chemin”, selon les mots de Stendhal. On y suit les amants dans leur pathétique découverte de la sexualité, contournant sinistrement le tabou de la virginité. On y découvre leurs amours brisées par le manque d’argent, le réalisme cynique des filles qui font le choix d’hommes âgés mais riches, celui des garçons qui font le choix de femmes divorcées ou étrangères qui les couvrent de largesses sexuelles ou matérielles. Partout, la frustration, l’atteinte portée à la dignité par le pouvoir de l’argent.

Dans Triste jeunesse, l’humour, même grinçant, qui faisait la griffe du style de Nedali, est absent. Il n’a pas sa place dans ce roman à charge. La prison sur laquelle s’ouvre le livre apparaît presque comme un espace moins suffoquant que la vie sans horizon que raconte Saïd. La menace islamiste, moteur de La Maison de Cicine, n’est plus dans la rue, elle est en prison. Car c’est un roman sur l’enfermement intérieur, sur la cocotte-minute des frustrations. Mohamed Nedali ne raconte pas les racines d’un geste révolutionnaire catalysant des espoirs collectifs. Il souligne ce gâchis de milliers de vies individuelles qui, en explosant, ne font pas des Bouazizi, mais des criminels. Un roman noir et désabusé. Une sonnette d’alarme. 

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