Après de longues tractations, le Maroc a décroché l’accord agricole avec l’Europe. Mais, au-delà du tapage qui s’en est suivi, que gagne réellement le Maroc… et surtout qu’est-ce qu’il perd ?
Jeudi 16 février à Strasbourg. C’est jour de vote de l’accord agricole avec l’Union Européenne. Une brochette de diplomates et autres politiques a mis le cap sur cette ville de l’Hexagone, qui abrite le parlement européen. L’enjeu est de taille. Après le refus du renouvellement de l’accord de pêche, un autre faux pas mettrait le royaume dans une mauvaise posture. Vers 12h, le verdict tombe : par 369 voix pour, 225 contre et 31 abstentions, les eurodéputés ont adopté l’accord de libéralisation des produits agricoles avec le Maroc. Un satisfecit ! Quelques minutes plus tard, le site de l’agence officielle MAP s’active et les dépêches faisant l’éloge du nouvel accord défilent à un rythme effréné. Les officiels y vantent le nouveau deal “qui se traduira par des retombées certaines sur l’économie du Maroc”. Ahmed Ouayach, le président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement (Comader), ajoute que “l’accord aura un impact positif sur notre économie. Les exportations des produits agricoles, qui ont une place importante dans notre stratégie économique, vont avoir plus de facilités à accéder aux marchés européens”. Mais est-ce vraiment le cas ?
Barrières insurmontables
Selon les termes de l’accord, 55% de la valeur des produits estampillés Maroc trouveront leur chemin vers l’Europe sans payer de droits de douane (contre 33% actuellement). Dans le sens inverse, sur une période de dix ans, les exportations européennes vers le royaume seront exemptées de droits de douane à hauteur de 70% contre… 1% actuellement. Équitable ? “Bien sûr que non. Mais de toute façon, c’est d’abord un accord politique qui obéit à la logique des rapports de force”, tonne Mohamed Hakech, président de la Fédération nationale du secteur agricole, affiliée à l’UMT.
“C’est un accord négocié avec beaucoup d’amateurisme”, renchérit l’économiste Najib Akesbi, arguments à l’appui : “Les pouvoirs publics ont fait tout un tapage sur l’exonération des droits de douane. Or, cela n’a jamais été un problème pour les exportations marocaines. Ce qui l’est, et qu’on passe sous silence, ce sont les barrières non tarifaires”. Et d’ajouter : “Lorsqu’on passe au crible le nouvel accord, on se rend compte que rien n’a changé. Il y a toujours un contingent à ne pas dépasser (quota), un calendrier des envois à respecter selon les besoins des Européens, sans oublier les normes de qualité qui pendent au-dessus des têtes des exportateurs comme une épée de Damoclès”.
Conclusion : l’exportation de certains produits (voir tableau) est toujours soumise au bon vouloir de nos “partenaires” européens. “Certes, cela limite un peu l’accès des produits marocains. Mais, on le sait, l’Europe traverse de longues vagues de froid pendant l’année, ce qui nuit à ses cultures. Du coup, ils seront obligés de se retourner vers les producteurs marocains”, explique Ahmed Ouayach. Sauf que ces producteurs se comptent sur le bout des doigts et ne sont pas toujours marocains.
A qui profite l’accord ?
Les deux premiers partenaires économiques du royaume, la France et l’Espagne, comptent en effet plusieurs entreprises agricoles domiciliées au Maroc. Et dans les contingents fixés aux exportateurs locaux, ces dernières se taillent une bonne partie du marché. “Sur toutes les expéditions marocaines de tomates vers l’Europe, les Espagnols en envoient près de 15%. Et ils font encore mieux pour les fraises car leur part peut atteindre 50% du marché”, indique Mohamed Hakech. Plus paradoxal encore, les fruits et légumes exportés vers le Vieux continent sont transformés par les industriels européens et renvoyés au royaume. “Les Européens en profitent sur toute la chaîne, en amont et en aval”, assène Najib Akesbi. Bonjour la galère pour les opérateurs de l’agroalimentaire. “Oui, mais c’est la loi du marché et la concurrence va bénéficier au consommateur”, indique ce cadre de l’Agriculture.
Pauvre consommateur !
Seulement, les nouvelles ne sont pas bonnes pour le consommateur. Avec la hausse des exportations vers l’Europe, le spectre de pénurie des produits agricoles, et donc la flambée de leurs prix, plane sur le marché domestique. “Les producteurs sont intéressés par les marchés européens car considérés comme plus rémunérateurs. Le résultat inévitable serait une pénurie sur le marché local et une hausse des prix”, prévient Mohamed Hakech. Pire encore, la qualité des produits réservés au consommateur local risque de baisser. “On le sait, les normes sanitaires européennes sont très rigoureuses. On risque donc de se retrouver avec des produits bas de gamme sur nos marchés locaux”, renchérit Najib Akesbi.
Le patron de la Comader balaye cet argument d’un revers de main et rassure : “Ces craintes sont exagérées, la situation est gérable. Et, en plus, on a l’habitude de s’organiser pendant les périodes de pénurie comme au mois de ramadan, où les pouvoirs publics prennent des décisions pour assurer l’approvisionnement du marché local”. Sauf qu’avec une saison agricole qui ne s’annonce pas sous de bons auspices, la tension sera plus élevée que d’habitude.
Echange. L’insécurité alimentaire En jetant un coup d’œil sur la liste des produits qui sont échangés dans le cadre du nouvel accord, le décalage qualitatif est pour le moins frappant. Alors que les pays du continent européen exportent au Maroc le blé, les produits laitiers, les viandes et les produits alimentaires transformés, le Maroc, lui, se contente de leur expédier des fruits et légumes. Un décalage qui renseigne sur la position du royaume dans la négociation d’un tel accord, mais qui tire aussi la sonnette d’alarme : la sécurité alimentaire du pays est menacée. “Nous sommes dépendants de produits très sensibles, explique Mohamed Hakech. Pire encore, la balance commerciale agricole avec l’UE est toujours déficitaire. En 2010, nous avons importé des céréales pour 9 milliards de dirhams, contre des expéditions de tomates et d’agrumes à 4,5 milliards. Ce qui veut dire qu’on doit exporter deux ans pour couvrir nos achats de céréales sur une année”. Le rapport de force n’est clairement pas à notre avantage. |
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