Edition. à qui profite le SIEL ?

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Le 18ème Salon international de l’édition et du livre de Casablanca vient de refermer ses portes, après dix jours d’une opération commerciale dont le gagnant n’est toujours pas le livre culturel.

Une foire, pas un salon. L’avis des professionnels est unanime, après les dix jours qui ont réuni, sous la voûte du Grand Palais de l’Office des foires, un monde hétéroclite dont le seul lien est de traiter de la chose imprimée dans ses multiples formes. La 18ème édition de ce qui demeure l’unique rendez-vous populaire du livre au Maroc s’est déroulée sous le signe de la densité : 706 exposants, dont 267 directs, venus de 44 pays, sans oublier les invités des participants : une trentaine pour l’Arabie Saoudite, l’invité d’honneur, environ 25 pour la France, 300 sur le stand commun au CCME, au CNDH, etc. C’est positif d’abord pour la ville de Casablanca, insiste Aziz Alami, directeur général de l’OFEC (Office des Foires et Expositions de Casablanca), qui exploite le lieu : “Environ 8000 nuitées d’hôtel, plus de 20 000 repas, les distractions en dehors du Salon… ça fait une animation économique. Un exposant dépense 4 à 5 fois plus qu’un touriste normal”.

Un gros rendez-vous…

Les allées ne désemplissaient pas, surtout le second week-end. “60 à 70 000 visiteurs simultanément sur les lieux en pic d’affluence”, se félicite Rachid Jebbouj, commissaire du SIEL. Au point que la concentration de visiteurs dans les couloirs a failli déborder le dispositif de sécurité. Si tous saluent une fréquentation plus importante cette année, Aziz Alami avance le chiffre de 200 000 visiteurs. “C’est le chiffre réel. Il y avait eu de la surenchère et les chiffres n’avaient plus de sens”. L’OFEC, qui gère la billetterie, estime néanmoins que l’opération est à peine rentable. D’abord parce que “seuls 15% des visiteurs paient les 10 dirhams d’entrée. Les écoliers, étudiants et enseignants, qui paient 5 DH, représentent 85% des entrées. Et il y a des écoles, des associations et des œuvres sociales accueillies gratuitement”. Au total, il estime les recettes liées aux entrées à moins de 600 000 DH et considère la billetterie comme “symbolique”.

Les revenus de la location des stands sont, par contre, nettement moins symboliques : 415 DH le mètre carré nu, 615  équipé, hors taxes. Pourtant, “c’est le Salon le moins cher, insiste Aziz Alami. On a ajouté cette année 15 DH sur le stand nu et 50 sur le stand équipé. C’est une somme symbolique, car on a un partenariat avec le ministère de la Culture, et parce que le livre ne doit souffrir d’aucun obstacle. La moyenne du prix de vente d’un Salon est de 1100 DH, et peut monter jusqu’à 2000, pour des événements de 3-4 jours. Là on est sur dix jours, d’où une mobilisation et des dépenses trois fois supérieures. Et 1700 m2 ont été accordés gratuitement à certains institutionnels”. Très peu sur les 20 000 m2 d’exposition. Aziz Alami avance un coût global du SIEL entre 8 et 9 millions de DH. “Nous ne gagnons pas sur le SIEL. On essaie de rentrer dans nos frais : on n’est pas un organisme de bienfaisance, mais commercial”.

…pour les gros groupes

C’est bien la logique commerciale qui saute aux yeux du visiteur. Dès qu’il franchit le seuil de l’entrée principale, son regard est happé par les stands des grands groupes. Sochepress, société d’édition mais surtout d’importation et de distribution de presse et de livres, s’étale sur 378 m2. La Librairie Nationale, filiale du groupe Hachette Livre (le 3ème éditeur mondial, appartenant au groupe Lagardère), dispose de 504 m2 pour présenter des ouvrages importés : BD et livres jeunesse, livres pratiques, dictionnaires, encyclopédies, livres parascolaires ou universitaires. A côté de ces mastodontes, le livre culturel marocain est quasiment invisible : Toubkal et Marsam ne disposent que de 27 m2 sur la même allée, La Croisée des Chemins s’en sort avec 90 m2, et le Centre culturel arabe avec 135 m2. Yomad, éditeur jeunesse dont la directrice, Nadia Essalmi, vient de recevoir le Wissam du mérite, était exilé sur le côté, à l’entrée d’une salle de conférences, “où les gens passent sans s’arrêter”. Quant à des éditeurs comme Senso Unico, Sirocco ou Tarik éditions, ils se sont fait représenter par Sochepress, qui leur a accordé quelques étagères.

Côté institutionnels, le stand du CNDH, du CCME, de l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) et du Conseil de la concurrence (CC), qui ne sont pas éditeurs mais soutiennent l’édition à raison de dix titres par an, a coûté 1,2 million de DH et s’étendait sur 432 m2, tandis que la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc ne disposait que de 36 m2, alors qu’elle est le chef de file des bibliothèques, profession du reste essentielle à l’économie du livre et quasiment absente du SIEL. Anas Laâssel, délégué pédagogique à Sochepress, estime que “les éditeurs marocains devraient avoir un espace gratuit”. Nadia Essalmi, qui doute de récupérer les 7200 DH qu’elle a dépensés pour ses 9 m2, plaide pour regrouper les petits éditeurs au centre car “le SIEL, ce n’est pas seulement pour promouvoir les livres, mais pour faire connaître les éditeurs”.

Même s’ils doivent y laisser des sommes allant jusqu’à 100 000 DH, les exposants marocains estiment qu’il s’agit d’un bon investissement. “C’est moins cher qu’une campagne de presse”, pour Bassam Al Kurdi, du Centre culturel arabe, qui lance à ce moment toutes ses nouveautés. Mais ils considèrent que le prix est élevé vu la qualité des installations fournies (moquette, parking, toilettes indescriptibles, etc.). Aziz Alami assure que le budget 2012 prévoit la réfection des sols, de l’éclairage et des toilettes. C’est loin d’être un luxe pour un espace qui accueille des manifestations de cette ampleur et engage l’image du Maroc.

…avec de gros défauts

Le SIEL a ressemblé, une fois de plus, à une braderie de livres. Au grand dam des exposants qui ont fait l’effort d’amener 50% de nouveautés, comme l’exige le règlement intérieur. “Il y a des Egyptiens qui viennent balancer leurs invendus à 5 ou 10 DH, s’emporte Bassam Al Kurdi. Il faut une commission pour vérifier toutes les listes et un contrôle sur place. Et il faut aussi avoir le courage de dire ‘non, votre catalogue n’intéresse pas le Maroc’”. Des tares condensées sur le très institutionnel stand de l’invité d’honneur : l’Arabie Saoudite qui, sur 594 m2, présentait des livres à la gloire du roi Abdallah, quelques publications académiques et deux grandes maquettes des lieux saints. La pauvreté de ce stand a scandalisé les professionnels. Nadia Essalmi s’emporte : “Depuis des années qu’on va au Salon de Paris, on n’a jamais réussi à être invité d’honneur, car la production marocaine n’est pas à la hauteur !”

Cette masse d’ouvrages institutionnels ou scolaires fait ressortir l’extrême faiblesse de l’édition culturelle marocaine.  Moins de 1000 titres par an, toutes langues confondues, contre 100 000 en Allemagne, 60 000 en France, rappelle Bichr Bennani, directeur de Tarik éditions. “Si on les sépare, on aura un souk avec 10 000 exposants de scolaires et un Salon avec 5 éditeurs”, ironise Bassam Al Kurdi, qui déplore l’absence de nouveautés et de livres qui secouent. Le Dernier combat du Captain Ni’mat, de Mohamed Leftah, qui a suscité une polémique sur une censure insidieuse, n’était pas en rayons. Pour Bichr Bennani, “depuis 18 ans, le SIEL n’a aidé en rien à faire avancer les ventes et la lecture. Ces 8 millions de DH du ministère ne vont pas à la promotion du livre”. Pourtant, Anne-Elisabeth Buxtorf, responsable du Bureau du Livre au Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France, estime que ce rendez-vous, par sa taille et son bilinguisme assumé, “a des atouts pour se positionner comme un grand Salon international. Il pourrait être à la fois une rencontre professionnelle et un rendez-vous adapté au grand public. Ce potentiel qui fait son originalité est sous-exploité”. A condition de le professionnaliser en associant à son organisation les gens du secteur. Pour l’intérêt du livre, des lecteurs et des citoyens.

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