Egypte. Elections sous haute tension

Dix mois après la chute du grand Raïs, l’avenir politique de l’Egypte inquiète. Le premier tour des législatives donne les islamistes gagnants, et l’armée est soupçonnée de vouloir se maintenir au pouvoir. Tour d’horizon.

Le 28 novembre, les Egyptiens étaient appelés aux urnes pour élire leurs députés. Un scrutin qui se déroulera en trois étapes (28 novembre, 14 décembre et 3 janvier), pour permettre aux juges d’en assurer le bon déroulement, selon les représentants du Conseil suprême des forces armées. Une raison qui ne convainc pas bon nombre d’Egyptiens, peu confiants dans l’armée. Ils ont donc été nombreux à aller voter, pressés d’en découdre avec les militaires. Sur les 50 millions d’électeurs égyptiens, “52% ont participé aux élections de lundi”, selon Abdel Moez Ibrahim, le président de la Haute commission électorale. Les résultats du premier tour sont connus et, sans grande surprise, les islamistes du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), issu des Frères musulmans, dominent largement les suffrages avec un score de plus de 36%, soit plus de 3 millions de voix. Comme les partis islamistes des pays voisins, le PLJ a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et se présente comme un “mouvement modéré”. Les responsables du parti ne prônent pas une application stricte de la Charia et multiplient les signes d’ouverture, comme la nomination, en mai dernier, de l’intellectuel copte Rafiq Habib, au poste de vice-président du PLJ.

La percée des salafistes
La vraie surprise de ce scrutin vient du score des salafistes. Le parti Al-Nour, créé après la révolution du 25 janvier, a récolté 24% des voix, juste derrière le PLJ. Personne ne s’attendait à une telle percée. Pour les observateurs, le succès des salafistes s’explique par leur présence importante sur le terrain. Dans les mosquées, les hôpitaux, les quartiers populaires, les prédicateurs du mouvement sont écoutés et respectés. “Il est primordial de noter le revirement spectaculaire qui a été effectué par les salafistes ces dernières semaines. Ce courant, qui prêche une vision très littérale du Coran et de la tradition – sans rien contextualiser – affirmait encore il y a quelques mois que la démocratie était anti-islamique, et qu’il ne fallait surtout pas participer aux élections. Il a tout à coup changé”, explique l’islamologue d’origine égyptienne, Tariq Ramadan, dans la presse française. Les salafistes et les Frères musulmans, combattus et interdits sous Moubarak, ont saisi l’opportunité historique qui s’offrait à eux. “En édulcorant leur discours, ils ont su rassurer tout en gardant le référentiel islamique, qui reste très important pour les Egyptiens”, résume Tariq Ramadan. Pour l’heure, le parti Al-Nour et le PLJ n’envisagent pas d’alliance. Pour le second tour des élections, les deux formations se battront pour une vingtaine de sièges situés dans un tiers des gouvernorats d’Égypte, dont Le Caire et Alexandrie.

Deuxième révolution ?
Les grands perdants du premier tour des élections sont évidemment les libéraux. “Le bloc égyptien” (Al kutla al misriya), principale alliance de plusieurs partis progressistes, est arrivé en troisième position, loin derrière les islamistes. Pour ces partisans d’un système politique libéral et démocratique, la bataille s’annonce perdue d’avance. Certains partisans de la révolution continuent d’appeler au boycott des élections. “La révolution n’est pas finie”, nous assure Hussayn Al-Ganayni, militant égyptien. Comme lui, des milliers d’Egyptiens appellent à une deuxième révolution, contre l’armée cette fois-ci. Au pouvoir depuis le départ de Hosni Moubarak, le 11 février, le Conseil suprême des forces armées est pris pour cible par les révolutionnaires de la place Tahrir, au Caire. “Nous n’avons pas chassé Moubarak pour être dirigés par le Maréchal Tantaoui. Il faut qu’il dégage lui aussi”, s’exclame Hussayn. Le chef de l’armée égyptienne, Hussein Tantaoui, a eu beau s’engager pour la tenue d’une élection présidentielle avant juin 2012 et assurer que “l’armée ne veut pas le pouvoir”, une bonne partie de la population semble sceptique. Et pour cause, la semaine dernière, des affrontements entre l’armée et les civils de la place Tahrir se sont soldés par une quarantaine de morts et plusieurs centaines de blessés. “Tout ça prouve que peu importent les résultats du scrutin, l’armée ne renoncera pas facilement au pouvoir”, conclut Hussayn.

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