La compagnie maritime tangéroise est en train de sombrer sous l’effet d’une crise financière sans précédent. Retour sur l’histoire d’une entreprise titanesque.
La Comarit n’est pas près de sortir des eaux troubles. Jeudi 5 janvier, “Biladi” et “Marrakech”, deux ferries de la compagnie assurant la liaison entre Sète et Tanger, sont interdits de lever l’ancre à destination du Maroc. En cause, une décision de saisie conservatoire pour créances impayées. La compagnie traîne une ardoise de plus de 3 millions d’euros, notamment de gasoil, accumulée durant ces derniers mois. La mauvaise nouvelle tombe tel un couperet au QG de la Comarit à Tanger. Mais elle ne sera pas la dernière. Une semaine plus tard, un autre bâtiment de la compagnie, “Ibn Batouta”, est saisi au port d’Algésiras pour le même motif. La situation est critique : “Les bateaux sont toujours bloqués et le resteront jusqu’au paiement des arriérés”, explique Samir Abdelmoula, le patron de la Comarit. La compagnie tangéroise n’en est pas à son premier défaut de paiement. En janvier 2011, deux de ses bâtiments avaient fait l’objet d’une première saisie au port de Sète. Dans le milieu maritime, les difficultés financières de l’entreprise sont un secret de polichinelle. Elle serait même à la recherche d’un nouveau partenaire pour renflouer ses caisses. La débandade du leader du transport de passagers au Maroc reste cependant un mystère. Comment une entreprise qui brasse un chiffre d’affaires de 1,8 milliard de dirhams et emploie 1300 salariés en est arrivée là ?
Les années de conquête
Flash-back : on est en 1984. Ali Abdelmoula, qui détient un seul navire (le Bismillah), dédié au transport d’agrumes du port d’Agadir vers Marseille, est un homme ambitieux. Il décide de se lancer dans le transport de passagers. Et pour y parvenir, il s’associe au groupe norvégien Fred Olsen. C’est ainsi que naît la Compagnie maritime maroco-norvégienne. Le port d’attache du Bismillah devient Tanger, tout comme le siège de la société. La compagnie décroche la ligne rentable de Tanger-Algésiras et Abdelmoula commence sa conquête du marché. Il achète d’autres navires comme le Boughaz, le Banasa, le Berkane ou le Biladi… et se diversifie sur la ligne Nador-Almeria.
La Comarit doit néanmoins composer avec des poids lourds. Le marché de la ligne Tanger-Algésiras compte aussi de gros calibres comme Limadet, qui exploitait le bâtiment Ibn Batouta, et la compagnie espagnole Trasmediterranea. Le trio se partageait le gâteau jusqu’au début des années 90, quand la Comanav a renforcé sa filière transport de passagers avec l’acquisition du “Marrakech”. Mais, au fil des années, avec la hausse du trafic dopé par les MRE et le tourisme, le marché commence à susciter la convoitise. A la fin des années 90, le marché compte quelque 14 compagnies. Résultat : les marges se resserrent et la concurrence devient de plus en plus rude. Limadet en paye les frais et tombe dans l’escarcelle de la Comanav, qui devient leader avec à peu près 25% de parts de marché. Une acquisition qui n’apporte pas la sérénité à la compagnie, elle-même en assainissement depuis 2001 avant d’être privatisée en 2007.
De père en fils…
La Comarit connaît un autre virage en 2006. Le jeune Samir Abdelmoula débarque à la société et prend en charge son développement. En sa qualité de vice-président, le fils Abdelmoula, diplômé d’une école de management à Casablanca, décide d’accélérer la cadence des investissements. Ainsi, entre 2008 et 2010, pas moins de 2,4 milliards de dirhams sont investis dans la compagnie : rachat des parts des Norvégiens dans la Comarit (55% du capital) pour 700 millions de dirhams, prise de contrôle en 2009 de la Comanav Ferry, construction d’un nouveau siège à Tanger pour quelque 150 millions de dirhams… Sans oublier le lancement, dans la foulée, de Cap Radio, une station régionale basée à Tanger.
Menées par endettement auprès de la Banque Populaire, ces opérations flattent certes l’ego du jeune Abdelmoula, mais leur rentabilité est sujette à plusieurs questions. “Sur le plan managérial, on ne peut pas mener toutes ces actions dans un laps de temps aussi réduit. En plus, il manque une cohésion à tout ça”, indique un armateur.
Face à la réalité
Très vite, les actions menées par Samir Abdelmoula vont s’avérer hasardeuses et le retour sur investissement tarde à venir. Le rachat de la Comanav Ferry en 2009 s’est révélé une mauvaise affaire. Au-delà de l’impact médiatique, en se payant l’opérateur historique, Comarit a en effet hérité d’une entreprise qui traîne un résultat net négatif de 103 millions de dirhams en 2009 et des dettes de l’ordre de 300 millions. “A l’époque, le rachat de la Comanav par le clan Abdelmoula était incompris. En plus de sa situation financière déséquilibrée, la société a beaucoup de doublons avec Comarit, ce qui limite les effets de synergie”, indique ce professionnel. Défaut de management ? “La situation est beaucoup plus compliquée”, se contente de répondre Samir Abdelmoula. Une chose est sûre, les ambitions étaient (trop) grandes et le vent a très vite tourné pour la Comarit.
Le transport maritime est entré en crise dès 2008 et le trafic de passagers a sensiblement baissé. En cause, la concurrence féroce des compagnies aériennes low-cost qui séduisent de plus en plus de MRE. Résultat : sur les lignes Tanger-Sète et Nador-Almeria, fiefs de Comarit, la baisse a été de près de 11% en 2011 par rapport à l’année d’avant. “La chute du fret rend ces lignes difficilement rentables”, explique ce professionnel. A cette baisse de l’activité, s’ajoute une montée en flèche des charges : frais des combustibles et entretien de la flotte. “Avec un parc qui a plus de 30 ans, la consommation de carburant devient un lourd fardeau pour toute entreprise”, poursuit notre interlocuteur. C’est, in fine, la concordance de tous ces éléments qui ont fait plier la Comarit.
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