Le Festival national du film, qui vient de s’ouvrir à Tanger, bat un record : 23 longs-métrages en compétition. Et pose une question : de quoi demain sera-t-il fait, avec l’arrivée des islamistes aux affaires ?
Incroyable : le Maroc a produit 23 films en 2011. Voire 24 si l’on inclut Zero de Noureddine Lakhmari, quasi prêt et qu’il n’est pas exclu de voir débarquer à la dernière minute à Tanger. Dans tous les cas, et même en y incluant Omar m’a tuer de Roschdy Zem, qui est davantage un film français que marocain, la liste des productions de l’année impressionne tant par le nombre que par la qualité.
Le nombre d’abord. 23 films répertoriés pour le compte d’une seule année, voilà qui est franchement remarquable. Il n’y a pas si longtemps, le cinéma de ce pays peinait à produire un ou deux films, et il y a eu même des années avec zéro film marocain distribué en salles. Quand, à l’orée des années 2000, le Maroc a décidé de changer de politique et de faire du cinéma un axe de développement stratégique, l’objectif était d’arriver, à terme, à produire 15 films par an. Et voilà que cet objectif est aujourd’hui explosé, faisant du Maroc, avec ses 23 films annuels, l’un des premiers producteurs du Tiers-Monde, passant, entre autres, devant la vieille Egypte.
De Bensaïdi à Kilani
Voyons voir le menu à présent. Il ne fait aucun doute que le film le plus attendu reste Death to sale (Mort à vendre) de Faouzi Bensaïdi. Il figure de facto parmi les favoris de la course aux prix, et la raison en est simple : Bensaïdi est probablement le cinéaste le plus inspiré du moment, chose qu’il a montrée avec son premier film (Mille mois) et confirmée avec le suivant (WWW. What a wonderful world). D’autres cinéastes et d’autres œuvres seront également très attendus. On peut tout de suite citer d’anciens vainqueurs comme l’excellent Mohamed Asli (A Casablanca les anges ne volent pas) et le passionnant autant que passionné Hakim Belabbes (Les fibres de l’âme, Fragments), qui nous reviennent avec de nouveaux films prometteurs : Les Mains rudes pour Asli et Rêves ardents pour Belabbes. Très attendu, Lahcen Zinoun (La Beauté éparpillée) revient cette année avec Femme écrite qui devra être l’un des points chauds du Festival. Narjiss Nejjar, dont personne n’a oublié la qualité de son premier film, Les Yeux secs, propose L’Amante du Rif. Le “doyen” Hamid Bennani (Weshma) revient avec L’Enfant du cheikh. Ismaïl Ferroukhi, cinéaste discret mais talentueux, donne enfin une suite au très beau Le Grand voyage : Les Hommes libres. Ahmed Boulane (Ali, Rabia et les autres), que l’on ne présente plus, traite avec Le Retour du fils des sujets personnels. Nabyl Lahlou (Kanfoudi), le cinéaste qui ne renonce jamais, sera présent avec Regarde le roi dans la lune. Hakim Noury (Le facteur) repasse derrière la caméra pour Le Bout du monde.
A côté de tout cela, on suivra avec intérêt les premiers pas (de cinéaste) d’un Mohamed Nadif (Andalousie mon amour) ou d’un Aziz Saadallah (Le Scénario), que l’on a plus connus en tant que comédiens et qu’hommes de théâtre et de télévision. Et on guettera les premiers pas d’un Brahim Chkiri, un ancien de la Film Industry, ou les nouvelles aventures d’un Saïd Naciri. Sans oublier celle qui figurera, probablement, parmi les grands vainqueurs du Festival : Leila Kilani avec le très attendu Sur la planche, qui a été présenté cette année à Cannes (Quinzaine des réalisateurs).
Ce qu’on est et ce qu’on veut
Ce 13ème Festival national du film (FNF) arrive à un moment important, que l’on peut même qualifier de charnière. Le Maroc vient de changer de gouvernement et les islamistes sont aux affaires. Le nouveau ministre de tutelle, Mustapha Khalfi, n’est autre que l’ancien directeur d’Attajdid, un journal qui s’est montré particulièrement circonspect sur l’évolution du cinéma marocain.
Trop d’argent et trop d’audace, voilà la ligne que l’on connaît aux amis de Khalfi. Argent = dilapidation de deniers publics, audace = débauche et dépravation morale. Même si le menu est copieux, ce 13ème FNF vaudra donc d’abord par la “confrontation”, inédite à ce niveau, entre Noureddine Saïl et Mustapha Khalfi. Le directeur du Centre cinématographique marocain devra composer avec le ministre de la Communication, et vice versa. L’un est progressiste et l’autre conservateur. Le premier est largement responsable de la nouvelle politique du cinéma au Maroc et le deuxième incarne l’opposition radicale à cette même politique. Que donnera donc cette confrontation ? Est-ce que le Maroc poursuivra sa politique en matière de cinéma ? Cherchera-t-il, comme on peut le craindre, à la réajuster pour, grosso modo, débourser moins de sous et, surtout, ne soutenir que des projets politiquement corrects ?
Toutes ces questions ne seront pas réglées d’un coup de baguette magique. Ce n’est pas à Tanger que la clarification aura lieu, mais un début de tendance peut y voir le jour. Et de l’identité du futur patron du CCM dépendra, quelque part, le sort du cinéma marocain. En attendant, si vous êtes dans le nord, faites un détour par Tanger, le FNF en vaut largement la peine.
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