À Rabat, le 7ème art. À Casablanca, l’ABC. À Marrakech, le Colisée. À Tanger, la Cinémathèque, dans l’ancien cinéma Rif. Toutes ces salles ont un point commun : celui d’accueillir des films classés “Art et Essai”.
Au 39, avenue Mohammed V, entre travaux du futur tramway et vendeurs ambulants éclopés qui tendent la main et bâtisses délabrées, se dresse le cinéma ABC. Rideaux rouges, entrée propre et affiches soignées attirent le regard du passant, s’il n’est toutefois pas occupé à regarder où il met les pieds. Depuis janvier 2011, la salle rénovée par Hassan Belkadi accueille certaines perles du cinéma français. Dans le cadre du cycle “Ciné France Art et Essai”, partenariat avec l’institut culturel de même nationalité, l’ABC projette, deux fois par semaine (dimanche et lundi soir), un long-métrage qui ne se regarde pas en mangeant des pop-corn. Parmi eux, Vénus Noire de Abdellatif Kechiche, Ces Amours-là de Claude Lelouch, ou encore Une séparation, d’Asghar Farhadi, Ours d’or au dernier Festival de Berlin. Ces mêmes opus, suivant un circuit établi par l’ambassade, qui s’occupe de payer les droits afin d’exploiter les films au Maroc, sont diffusés dans d’autres villes où se sont implantés des instituts français, d’Oujda à Kénitra en passant par Agadir. Si les initiatives du même genre – souvent lancées par des centres culturels étrangers ou par des festivals – sont de plus en plus fréquentes, nous n’avons pas, à proprement parler, de cinémas labellisés Art et Essai.
Un réseau sans texte
En France, les cinémas Art et Essai, régis par un décret, sont destinés à promouvoir le cinéma indépendant et bénéficient d’une subvention étatique. Au Maroc, il existe un réseau de salles – constitué entre autres du 7ème Art à Rabat, de la Cinémathèque de Tanger, du Colisée à Marrakech, de l’ABC à Casa, du Hollywood à Salé ou encore du complexe culturel à Khouribga – qui pourrait être dédié aux films Art et Essai, si seulement un texte de loi existait. “Vu la dynamique actuelle du cinéma au Maroc, il est légitime de se poser des questions quant au système de distribution et d’exploitation”, nous confie Mohamed Bakrim, président de l’Association marocaine pour les études cinématographiques. Il poursuit : “On parle souvent de films de festival, comme si c’était un genre à part entière, parce qu’ils ne passent nulle part ailleurs. Cette catégorisation est absurde. Etablir un système Art et Essai serait la fin du film SDF”.
Même son de cloche du côté du distributeur Najib Benkirane : il y a un travail à faire au niveau de l’exploitation et de la distribution. “Sur le plan commercial, il est très difficile d’être rentable. L’Art et Essai n’a pas vraiment droit de cité dans nos cinémas et rien n’encourage un distributeur à importer ce genre de films”. Hassan Belkadi, exploitant et propriétaire des cinémas ABC, Ritz et Rif à Casablanca, nous explique : “En temps normal, même les films à gros budgets ne marchent pas toujours. Les exploitants sont livrés à eux-mêmes, subissent des taxes élevées et ne reçoivent aucune aide. Les cinémas qui passent des films de genre n’y gagnent rien, si ce n’est l’échange et le partage avec le public”.
La crise des salles
“Un exploitant est par définition exploité”, plaisante Hassan Belkadi. “C’est un métier où nous sommes, au Maroc, par passion”. Comprenez, une passion qui ne rapporte pas d’argent. En 2004, Belkadi est contraint de fermer le Colisée. Avant cela, il avait créé, en son sein, une salle pour l’Art et Essai de 70 places. L’expérience, peu fructueuse, n’a pas tenu un ??an. “Sur les 250 salles de cinéma qu’il y avait dans les années 80, il n’en reste plus aujourd’hui que 40, et le nombre de distributeurs est passé de 40 à 4 ou 5”, se désole Belkadi. “Nous ne bénéficions d’aucune aide. Au Maroc, on encourage la réalisation, qui bénéficie de près de 60 millions de dirhams par an, et pas l’exploitation. C’est une logique qui nous dépasse”. Les salles de cinéma sont en faillite et une nouvelle épée de Damoclès pèse sur elles : l’obligation, dans une année, de s’équiper de projecteurs numériques. “Il n’y aura plus de bobines 35mm et chaque projecteur coûte à peu près un million et demi de dirhams. Nous courons à la catastrophe, ajoute l’exploitant. Sur 40 salles, la moitié risque de disparaître”.
Pour Mohamed Bakrim, “le nombre de salles qui s’amenuise pénalise à la source le film, même s’il marche”. Il faudrait “élargir le parc des salles et instaurer un système Art et Essai, parce que le public et les films existent”. Pourtant, la fréquentation des salles, lors des cycles Art et Essai, reste timide, ne dépassant pas parfois une dizaine de personnes. “Encore une fois, nous n’avons pas de budget pour mettre en place une bonne campagne de communication”, répond Hassan Belkadi. Belkadi renchérit : “J’ai bon espoir que l’on surmonte cette crise. Si le bateau coule, il faut l’aider. Une fois qu’il aura pris sa vitesse de croisière, il faut que les spectateurs réalisent que le cinéma ne vit que par eux et pour eux. Aller au cinéma, c’est la meilleure façon de l’aider”. Amen.
Salles. La nouvelle vie de l’ABC |
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