Casablanca. Le Conseil de la discorde

Après plusieurs mois de blocage, le président du Conseil de la ville de Casablanca et ses opposants ont mis fin à leur conflit. Retour sur les tenants et les aboutissants de ce bras de fer.

Jeudi 5 janvier au siège de la wilaya de Casablanca. C’est un jour de session “ordinaire” pour le Conseil de la ville. Un de plus. Depuis un an, les élus de la métropole sont à couteaux tirés et n’arrivent pas à tenir leurs réunions. En sera-t-il autrement cette fois-ci ? Il est 9h et les élus commencent à affluer au siège de la wilaya, place Mohammed V. Pile à l’heure, Mohamed Sajid est parmi les premiers à arriver. Veste marron clair sans cravate, la mine plutôt fatiguée, le maire de la ville serre quelques mains, émarge la feuille de présence avant de disparaître dans les grands couloirs du bâtiment. Il sait qu’une longue journée l’attend. Les autres élus arrivent au compte-gouttes. Les sourires et accolades entre membres du conseil ne cachent pas le climat tendu. La situation est critique : la ville est sans budget depuis le début de l’année et plusieurs chantiers sont paralysés. Pour beaucoup, c’est la session de la dernière chance. Mais d’abord, il faut faire face au premier défi : le quorum. Sans la présence de 75 élus (sur 147), la session n’aura pas lieu. Vers 10h45, le rapporteur annonce que le compte est bon. La session peut démarrer. Enfin.

Le grand bazar
Flanqué du wali de la ville et des membres de son bureau, le maire de la métropole fait son entrée dans la salle et prend place au milieu de l’estrade. Après la lecture de la Fatiha, Mohamed Sajid annonce l’ouverture des travaux. L’énoncé de l’ordre du jour donne du grain à moudre aux membres de l’opposition. Les élus du Parti travailliste sont les premiers à ouvrir les hostilités. “Vous avez transgressé la loi, monsieur le maire. L’ordre du jour doit être soumis aux comités du conseil avant sa présentation aux élus pour le vote”, assène Abdelhaq Mabchour.
Son collègue fait mieux. Il prend la parole pendant 30 minutes pour tout déballer : non-conformité à la loi, dilapidation de deniers… tout y passe. Son speech, aux relents populistes, suscite le courroux de ses adversaires. Les esprits s’échauffent et la tension monte de plusieurs crans. Du haut de l’estrade, le maire rappelle les élus à l’ordre et les invite à arrêter leurs escarmouches. En vain. “Cela fait plus d’un an qu’on n’a pas tenu de réunion. Et aujourd’hui, on veut passer tous ces projets sans débat”, tonne un élu de l’opposition. “C’est du théâtre, ce que vous voyez là. Nous nous sommes mis d’accord hier sur tous les points. Ces élus rebelles essayent de marquer quelques points devant l’audience”, nous murmure un conseiller casablancais.

Tractations
Les jeux étaient faits la veille. Les partis représentés au conseil ont enterré la hache de guerre un jour avant. Une “charte d’honneur” a été signée par les huit formations politiques du conseil pour mettre fin à un bras de fer qui a duré plus d’un an. Une réunion avec le wali de la métropole, Mohamed Halab, tenue quelques jours avant, a balisé le terrain et convaincu les élus de mettre leurs divergences de côté le temps d’un débat serein sur le sort de la ville. “Lors de cette entrevue, le wali a exprimé son ras-le-bol de cette situation de blocage. Il a même brandi la menace de dissoudre le conseil”, indique cet élu qui a pris part à la réunion.
L’avertissement du wali a porté ses fruits, semble-t-il. Mais les élus qui ont mis des bâtons dans les roues du conseil pendant plusieurs mois ne pouvaient pas sortir de ce combat les mains vides. “La ‘charte d’honneur’ est en fait une redistribution des cartes. Le président et son bureau ont lâché du lest pour que tout le monde puisse avoir sa part du gâteau”, indique ce conseiller. Selon les termes de cette convention, les élus casablancais ont décidé “d’adopter une approche participative dans la gestion du conseil”, “de respecter un certain équilibre dans l’octroi des délégations de signature par le maire de la ville”, “de constituer des commissions spécialisées pour traiter le dossier de la gestion déléguée et pour les autres grands dossiers” et, cerise sur le gâteau, “d’augmenter les budgets des arrondissements”. “Un bonus de 1 million de dirhams a été alloué à chaque arrondissement, pour ne pas faire de jaloux”, assure ce conseiller.

Fin de la partie
Les nouveaux acquis ont permis aux conseillers de se diriger à leur assemblée en rangs soudés. A part quelques voix dissonantes, les neuf points inscrits à l’ordre du jour (voir encadré) sont passés comme une lettre à la poste. Les élus du PJD ont tenu tout de même à jouer les trouble-fête : “On ne peut pas bloquer la situation pendant plus d’un an et faire aujourd’hui comme si de rien n’était. Nous demandons l’ouverture d’une enquête pour auditer le compte administratif de l’année 2010 afin de tirer au clair les affaires de détournement de fonds publics, notamment dans le marché de gros et les abattoirs. Et pour repartir sur de bonnes bases, il faut changer certains chefs de service soupçonnés de corruption », fustige le conseiller islamiste Abdelmalek Lkihal.
Un autre élu monte au créneau pour dénoncer les dysfonctionnements de la gestion déléguée. “Les aberrations de la Lydec ont été constatées par la Cour des comptes. Comment peut-on maintenir le contrat avec cette entreprise ?”, tonne Mustapha Rahine. Mais, au fond, tout le monde est décidé à dépasser la situation de blocage. Les élus savent que c’est la session de la dernière chance. Mais qu’est-ce qui a changé au fond ? “Rien, réplique ce conseiller. Les points d’achoppement, notamment le grand théâtre de Casablanca et la gestion déléguée, ont été validés par la majorité des conseillers.” Et d’ajouter : “L’origine du blocage était des calculs politiciens et personnels et rien n’empêche que, demain, on retourne à la case départ”.

 

Débats. Les projets qui fâchent
La situation de blocage du conseil a commencé depuis la session d’octobre 2010. En cause, plusieurs projets qui n’ont pas fait l’unanimité et que le maire de la ville a tenu mordicus à faire passer. Et à la dernière session, on peut dire que Mohamed Sajid a fini par avoir gain de cause. Les principaux projets de discorde inscrits à l’ordre du jour ont été validés par la majorité des élus : création d’un service public pour l’exploitation du tramway, le grand théâtre de Casablanca, le carrefour de Sidi Maârouf, le budget à allouer aux arrondissements pour 2012, le budget de la ville pour l’année 2012, etc. Dans leur majorité, les débats ont porté sur la forme et non le fond, “ce qui veut dire que certains élus veulent tout simplement mettre la charrue avant les bœufs”, ironise un conseiller casablancais.

 

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