“La politique, c’est pas glamour”

Smyet bak ?
M’hamed Zaïmi.

Smyet mok ?
Laïla Belhaj

Nimirou d’la carte ?
A 249 590

C’est votre premier interrogatoire ?
Oui.

Pourtant, vous avez eu des problèmes en 1997 à cause d’un article sexo publié dans Femmes du Maroc…
J’ai été convoquée par le ministère de l’Information, ce n’était pas le commissariat. On m’a dit gentiment que j’avais la tête d’une fille bien élevée et que je ne devais pas parler de ce genre de choses.

Quel genre de choses ?
Quand le magazine a été fondé en 1995, on a été les premiers à mettre en place une rubrique sexe. Un an et demi plus tard, on a décidé d’y aller davantage en publiant un abécédaire sur la sexualité. Pour la lettre S, il y avait le mot “sodomie” qu’on avait défini comme étant une “pratique utilisée par les jeunes filles de 14 ans en vue de préserver leur virginité pour la nuit de noces”. Disons que ça a un peu dérangé et on a retiré le magazine des kiosques en milieu de mois. Il avait déjà été vendu de toute façon.

Vous avez reçu du soutien à l’époque ?
Personne n’est solidaire quand on parle de sexualité au Maroc. Nous n’avons reçu aucun soutien, ni de la part de la presse ni des lecteurs, tout le monde nous a dit “vous avez exagéré”. C’est très décevant et très révélateur de l’hypocrisie qui règne dans notre société.

Pendant ce temps, le magazine français Jeune et jolie titrait “Les dix façons de tailler une pipe”…
C’est précisément ce que j’ai rétorqué au directeur de l’information de l’époque, qui disait qu’on n’avait jamais lu ça, même dans les supports étrangers, alors que le magazine français vendu dans les kiosques casablancais mettait ce titre en pleine couv’. Il m’a ensuite répondu que nous avions fait un numéro spécial jeunes, donc que ce n’était pas normal que des jeunes puissent y lire ce genre de propos. J’ai été choquée parce que, justement, le magazine français s’adressait lui aussi à des jeunes filles. C’était deux poids deux mesures, Femmes du Maroc a été retiré de la vente parce que c’est une publication marocaine.

C’est à partir de ce moment-là que vous avez commencé à surveiller vos mots ?
Je me suis rendu compte que l’enjeu n’est pas là, que c’est trop facile. Il y avait tellement de droits à revendiquer que ça aurait été dommage de commencer par la sexualité. C’est vrai que la libération du corps est le stade ultime de la libération féminine, mais au Maroc nous étions au stade embryonnaire des droits de la femme. Il ne fallait pas nous décrédibiliser par rapport à la cause féminine. Cependant, on continue toujours d’aborder la sexualité mais toujours sous l’angle des liens sacrés du mariage.

Vous vouliez éviter le problème de feu Kalima (la revue culte a été interdite dans les années 80 pour avoir publié une enquête sur la prostitution masculine à Marrakech : ndlr) en quelque sorte ?
Ce n’était pas le même contexte. La polémique de Kalima portait sur un dossier relatif à la prostitution masculine. Mais oui, on avait envie de durer, de faire avancer la cause des femmes, d’abord sur un plan juridique et culturel, car l’histoire a prouvé que le droit devance les mentalités. Remarquez qu’au lendemain de la promulgation de la nouvelle Moudawana, tout le monde s’est subitement autoproclamé féministe.

En juin 97, vous avez publié dans Femmes du Maroc un contrat-type de mariage. Est-il vrai que votre propre mariage fait partie de vos pires souvenirs ?
Pas du tout, j’ai eu la chance d’avoir un père ouvert et de m’être mariée avec un homme qui l’est tout autant. En revanche, étant attachée aux principes philosophiques, je trouve l’appellation contrat de mariage insultante. Même chose pour la dot, qu’un homme paie une somme pour valider le mariage, j’ai trouvé ça choquant, mais on m’avait dit que c’était comme ça.

En novembre, vous avez sorti le premier numéro d’Illi, “le magazine de la femme libre et moderne”, pensez-vous qu’elle le restera après la victoire du PJD ?
Bien sûr. Même si l’on ne pourra pas compter sur le PJD pour faire avancer certaines questions, notamment celle de l’héritage.

Que pensez-vous de la nomination de Bassima Hakkaoui au ministère de la Femme ?
Je trouve qu’elle incarne bien son mouvement. Les autres partis politiques n’ont pas proposé de femmes parce qu’ils font très attention et en même temps ne proposent rien. Et de toute façon, ce ministère, depuis qu’il a été créé – à part sous le mandat de Saïd Saadi, à qui je rends hommage aujourd’hui, qui a défendu le plan d’intégration des femmes en 1998 –, n’a pas beaucoup contribué à faire avancer la cause féminine. A part l’épisode de la Moudawana, les choses n’ont pas beaucoup bougé depuis.

C’est la faute aux femmes qui ne s’impliquent pas assez dans la vie politique ?
Je pense que la politique telle qu’elle a été pratiquée jusqu’à présent, n’intéresse pas grand-monde. J’ai toujours considéré la politique avec un grand “P” comme reposant sur un idéal, je m’y impliquerai le jour où l’on défendra de vraies idées. Pour l’instant, je suis une femme et elle ne m’intéresse pas, c’est un milieu très androcentré et pas très glamour. Il y a des femmes extraordinaires que j’ai eu la chance de rencontrer au cours de ma carrière journalistique, mais elles sont plus présentes dans la société civile parce que c’est là que ça se passe, elles préfèrent agir concrètement.

Vous participez à perpétuer ce paradoxe propre à la presse féminine : vendre de la beauté tout en appelant les femmes à ne pas se soumettre aux dictats esthétiques. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
Hommes ou femmes, nous avons tous envie de nous montrer sous notre meilleur jour. Dans Illi, on laisse une part de choix, on dit à nos lectrices : “Si vous avez une petite surcharge pondérale, ce n’est pas grave. Mais si vous souhaitez vous en défaire, voilà ce qu’il faut faire”.

Et vous militez pour l’émancipation des femmes tout en promouvant des chaussures que la majorité ne peut pas se payer…
La presse féminine francophone ne s’adresse pas à un lectorat “populaire”. Ajoutez à cela le fait que sur un plan technique, les choses qui rendent bien à l’image coûtent malheureusement très cher. Mais ce sont des prix qui existent, aussi scandaleux qu’ils puissent être, c’est une information comme une autre.

Ne peut-on pas être libre, moderne et fauchée ?
Absolument, surtout fauchée. Quand on est fauchée, on est plus libre (rires).
 

Antécédents

 

1966. Voit le jour à Rabat.
1989. Décroche un diplôme de l’ISCAE en marketing.
1995. Cofonde Femmes du Maroc.
 
2000. Participe à la marche des femmes à Rabat.
2003. Prend part à la réforme de la Moudawana.
2011. Fonde le magazine Illi.

 

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