La coalition gouvernementale de Abdelilah Benkirane vient de réussir son premier test au Parlement. Ce lundi 19 décembre, elle est parvenue à imposer Karim Ghellab, désormais ancien ministre de l’Equipement et du transport, à la présidence de l’hémicycle, à l’issue de la (très longue) première séance de l’institution législative. Les parlementaires réticents à cette candidature estimaient qu’il ne pouvait pas cumuler le poste de ministre, même au sein d’un gouvernement qui gère les affaires courantes, et la présidence du Parlement. Les soutiens de Ghellab, dont Benkirane himself, ont volé à son secours. Dès le début, l’USFP, qui revient à l’opposition après 13 ans de gouvernement, annonce la couleur. Le PAM n’y va pas non plus de main morte. Et, si les deux se sont abstenus de présenter un candidat au perchoir, le RNI a tenu à jouer la partie jusqu’au bout en mettant en avant l’ancien ministre Mohamed Abbou. Au final, sur 320 votants, 222 députés ont voté pour Ghellab, 82 pour son challenger et les 16 autres sont des bulletins nuls. Dans un hémicycle investi par de nouvelles figures, il n’y avait pas de buffet royal mais une profusion de couleurs et des airs de rentrée des classes. Comme le Chef du gouvernement, de jeunes députés se sont passés de cravates. Chez les femmes, les tailleurs et les djellabas se confondaient aux mlehfas sahraouies, les brushings aux voiles multicolores. Ce sera finalement une journée inoubliable pour Karim Ghellab, le plus jeune (45 ans) des présidents du Parlement marocain.
Président (très) éphémère
Honneur aux seniors. Miloud Chaâbi, le plus âgé des nouveaux députés (82 ans), a présidé la première séance du Parlement comme le veut la loi. Le patron du Yinna Holding a eu toutefois beaucoup de difficulté à suivre le rythme endiablé et les débats houleux de cette séance inaugurale. A maintes reprises, l’Assemblée lui demande de s’approcher du micro. « Assawt ! », lançait-on de tous les côtés. Ici, il se fait assister par Jamal Kheddi (à droite), S.G de l’Hémicycle, et l’un des plus jeunes élus.
USFP, opposition toute !
Les socialistes n’ont pas été tendres avec le candidat de leurs alliés d’hier, l’Istiqlal. Après avoir mené la vie dure à Karim Ghellab pendant près d’une heure et demie, où se sont succédés au micro les Abdelhadi Khaïrate, Driss Lachgar et Hassan Tarik, c’est le moment de se retirer en guise de protestation. Ca chauffe même entre Ittihadis quand Abdelouahed Radi, Abdelali Doumou et Ahmed Zaïdi marque un temps d’hésitation avant de se décider à répondre aux injonctions de A. Khaïrate. Lève-toi et marche camarade, ce sera pour cinq ans !
Un mea culpa et des révélations
Lui, c’est le chef. Il vient défendre le choix de sa coalition et faire son mea culpa. Abdelilah Benkirane affirme avoir du consulter l’opposition au sujet de la candidature de Karim Ghellab. Quelques minutes auparavant, devant des journalistes, le Chef du gouvernement désigné faisait de nouvelles révélations concernant ses relations avec El Himma. Le S.G du PJD a expliqué qu’il n’y avait plus d’animosité entre les deux hommes, que El Himma s’est remis en cause depuis un incident d’avion, l’année dernière. Et surtout que le fondateur du PAM, au lieu des trois paquets de cigarettes qu’il grillait chaque jour, a arrêté de fumer.
Trop voyants, les frères et soeurs
Arrivés en masse, les élus du PJD ne passent pas inaperçus. Au sein d’un Hémicycle conçu initialement pour 325 et non pour 395 députés, on s’apercevait réellement du poids des islamistes. Et de toute la superficie qu’ils prennent à eux seuls. Au moment de la prière, c’est un va-et-vient qui n’en finit pas. « Le nouveau président, puisque c’est un ancien ministre de l’Equipement, devra leur permettre la construction d’un deuxième étage pour qu’ils puissent se sentir à l’aise », ironise un député de l’opposition.
Merci 3ammi !
Dès le début, Karim Ghellab s’est prononcé contre une alliance avec le PJD dont les députés lui avaient fait voir de toutes les couleurs. Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et c’est grâce aux voix des islamistes qu’il devient le troisième homme le plus important dans le protocole du Royaume. A défaut d’un Abbas El Fassi, absent ce jour-là, le premier geste de Karim Ghellab, après l’annonce de sa victoire, est de se jeter dans les bras de Abdelilah Benkirane. « Merci 3ammi et on fait table rase du passé », semble-t-il chuchoter au patron du PJD.
N3am Sidi !
Mais les embrassades ne durent pas longtemps. Elles sont interrompues par un appel de plus grande importance. Karim Ghellab prend la poudre d’escampette et quitte la salle en répétant des « N3am Sidi ». On comprendra par la suite que c’est Mohammed VI qui vient de l’appeler pour le féliciter. Le nouveau président passe un moment à regarder affectueusement son téléphone. Quelques dizaines de minutes plus tard, le Palais annonce avoir accepté la démission de Karim Ghellab de ses fonctions ministérielles. Le soldat Karim, du coup, n’aura plus à s’embarrasser de ces histoires compliquées de cumul de poste.
Fair-play quand même
Avant de se diriger au perchoir d’où il tressera des lauriers à son prédécesseur, Abdelouahed Radi, et annoncer les grandes lignes de la session, Karim Ghellab est allé serrer la main à son challenger, Mohamed Abbou du RNI. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps et ont même été collègues au gouvernement El Fassi avant le remaniement qui a coûté, en 2009, sa place à l’ancien ministre de la Modernisation des secteurs publics. Chemins séparés, ils se retrouvent cette fois, pour cinq ans, au Parlement.
Chômeurs et Mamfakinch !
Disciplinés et mieux organisés, des centaines de diplômés chômeurs ont investi l’entrée officielle du Parlement sous le regard d’imposants renforts de police anti-émeutes. Pendant toute l’après-midi, ils ont scandé des slogans pour rappeler leurs conditions et leurs revendications. Ils changeront enfin de tactique en venant se poster devant l’entrée des députés obligeant plusieurs « élus de la Nation » à retarder leur départ. Après El Fassi, c’est Benkirane qui hérite de cette autre patate chaude.
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