LE GRAND ORAL DE SCIENCES PO

Plus que deux semaines nous séparent des élections du 25 novembre. Les leaders des grands partis continuent de défiler pour la série de conférences-débats organisées par l’Association des anciens de Sciences Po, en collaboration avec TelQuel et Al Ahdate Al Maghribia. Cette semaine, c’est au tour de Karim Ghellab, ministre et membre dirigeant du Parti de l’Istiqlal de passer à la barre.

Karim Ghellab. “Il faut taxer les riches”

Pilotant l’actuel gouvernement, le Parti de l’Istiqlal reste l’un des favoris pour les prochaines élections législatives. Quelles sont ses chances face à ses adversaires ? Quel est son positionnement sur l’échiquier politique ? Quelles seront ses futures alliances ? Morceaux choisis de près de deux heures de débat avec Karim Ghellab.

Alliances. “Pas de ligne rouge”
“L’USFP et le PPS sont nos alliés naturels. L’Istiqlal est dans la Koutla depuis 20 ans déjà. Ce n’est pas maintenant qu’on va aller dans un autre sens. Nous sommes clairs là-dessus. Mais est-ce que les trois partis de la Koutla seront capables de composer la majorité ? Je ne le pense pas. Parce que l’éclatement du champ politique ne le permet pas. On est une très jeune démocratie et toujours en transition. J’espère que quand je mourrai, cette transition sera achevée et qu’on sera capable de gouverner à deux ou trois maximum. En attendant, nous aurons besoin d’un autre allié de taille pour composer le gouvernement si nous arrivons premiers aux législatives. Beaucoup de gens veulent nous pousser vers le PJD. Ils se disent qu’on n’a pas le choix puisque le G8 nous a fermé toutes les portes. Nous disons, au sein de l’Istiqlal, que rien n’est impossible. On peut s’allier au PJD comme on peut voir ailleurs, y compris chez des partis du G8. L’Istiqlal est un parti du centre, et nous n’avons aucune ligne rouge. En fait, tout dépendra des résultats des législatives. Nos alliances seront bâties sur cette base. Et sur la base des programmes, bien sûr. Si nous arrivons premiers, nous allons nous allier avec les seuls partis qui accepteront de rentrer au gouvernement sur la base de notre programme. Les choses restent donc ouvertes à toutes les possibilités, y compris, je le redis, avec les partis du G8. Cela dit, le Parti de l’Istiqlal n’a pas vocation à être tout le temps dans le gouvernement. Nous avons déjà été dans l’opposition et nous sommes prêts à y retourner si les Marocains le décident”.

G8. “Ils veulent faire missa”
“C’est une alliance qui nuit à l’image de la politique. C’est malheureux. Ceci étant, ces 8 partis ont le droit de s’allier comme ils veulent, mais nous avons aussi le droit de nous poser des questions. Je me demande donc comment on peut concevoir une alliance entre partis de l’extrême droite et d’autres de l’extrême gauche, avec au milieu un parti islamiste. Je me demande aussi comment on peut aller en campagne quand des partis qui composent la majorité actuelle se mettent avec des partis de l’opposition. Je n’arrive pas à imaginer comment ces partis, qui ont gouverné avec nous, iront défendre leur bilan, tout en étant avec d’autres qui sont censés le critiquer… C’est cette illisibilité qui pousse beaucoup de Marocains à boycotter le jeu politique. Autre chose qui me dérange dans cette alliance, c’est cette impression qu’on donne aux Marocains que les jeux sont déjà faits. En présentant une majorité fabriquée d’avance, on fait comprendre que les élections n’ont aucun rôle. C’est comme si on n’a pas encore commencé à jouer et vous voulez faire “missa”. Mais le G8, il faut le reconnaître, présente aussi du bon. Il a le mérite d’avoir clarifié un peu les choses, dans le sens où l’on a aujourd’hui trois forces politiques qui se battent : le G8, la Koutla et le PJD. Est-ce que le G8 est cohérent ou pas, ça c’est son problème. Parce que c’est finalement
au citoyen de juger”.

Amazighité. “Tous berbères !”
“Tout le monde pense que l’Istiqlal est un ennemi de l’amazighité. C’est totalement faux. C’est un faux procès qu’on prête à l’Istiqlal. Et ce sont les médias qui nous collent cette image. Il suffit de vous présenter tous les députés berbères de l’Istiqlal pour vous convaincre du contraire. Regardez aussi la proposition que nous avons faite à la commission Menouni pendant la préparation de la nouvelle Constitution. Nous avons proposé que la langue amazighe ait le même traitement que la langue arabe. Ce sont des faits que personne ne peut contester. Autre exemple parlant, celui de la télé amazighe. Le projet était bloqué avant l’arrivée de l’équipe El Fassi, et c’est ce gouvernement qui a débloqué la situation et permis à la langue amazighe d’avoir une voix dans les médias publics. Il y a d’autres exemples de cet ordre-là. L’Istiqlal est un parti qui appartient à tous les Marocains, même si le chef du gouvernement s’appelle El Fassi… On est tous arabes et on est tous berbères. Ce contre quoi on se mobilise, et c’est ce qui doit faire notre réputation d’anti-amazighs, c’est quand il y a une logique d’opposition qui se sert de la culture amazighe. Ou quand quelqu’un utilise la culture amazighe pour créer une fracture dans la société marocaine”.

Identité. “Parti national, pas seulement fassi”
“Le Parti de l’Istiqlal n’est ni un parti de gauche, ni un parti de droite. Nous sommes nés avant ces clivages. Nous sommes d’abord un parti national, dont les fondements sont l’islam, la monarchie constitutionnelle, l’intégrité territoriale et la social-démocratie. Certains disent aussi que nous sommes un parti islamiste. C’est faux, nous sommes nés avant la création de ce mot ou de ce concept. L’islam est l’un des fondements de la société marocaine et de notre parti, mais nous ne l’avons jamais utilisé comme instrument électoraliste. Pour ceux qui pensent que l’Istiqlal est un parti de Fassis, je dis qu’il appartient à tous les Marocains. On n’est pas tous “fils de”. Je ne suis pas au gouvernement parce que je m’appelle Ghellab. Mon père n’a pas de rapport avec le parti. Et Abdelkrim Ghellab, qui est une figure connue du parti, est juste le cousin de mon père. L’Istiqlal, j’y suis rentré pour des raisons précises. Et c’est le poste de ministre qui a accéléré les choses. Idem pour Yasmina Baddou, qui n’est pas juste “fille de” ou “épouse de”. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle se présente aux élections, pour prouver qu’elle a une légitimité populaire avant tout. Prenez aussi l’exemple de Fihr Fassi, le fils de Abbas El Fassi. Il ne bénéficie d’aucun privilège. Il a mon âge et est simple élu dans la commune de Sidi Belyout. C’est un autre faux procès qu’on nous prête. Les enfants suivent souvent les traces de leurs parents. Et on ne peut pas empêcher quelqu’un qui a baigné dans la politique, depuis son enfance, de vouloir suivre les traces de son père. Et de toutes les façons, quel que soit leur mérite, on dira toujours qu’ils sont “fils de”. On ne peut rien y faire”.

Solidarité. “Les riches doivent payer plus”.
“Pour rétablir la solidarité entre classes sociales, nous proposons dans notre programme de taxer les riches, via l’instauration d’une nouvelle batterie de taxes et impôts. L’idée n’est pas de taxer à tout-va, mais de créer de vrais mécanismes de redistribution des richesses. On veut ainsi créer deux fonds, le premier pour lutter contre la pauvreté et le second pour le développement des régions éloignées. Ces deux fonds seront financés, entre autres, par ces nouvelles taxes. On a trois idées dans ce sens. D’abord taxer à hauteur de 3% les personnes dont le revenu mensuel net dépasse les 100 000 DH. Ce qui devra rapporter à l’Etat quelque 300 millions de dirhams. Deuxième piste : taxer la spéculation immobilière. Cette mesure concerne les personnes qui achètent des terrains pour les revendre avec de grosses plus-values à la clé. Ces personnes s’enrichissent, et c’est leur droit, mais en même temps, ils ne produisent rien pour la communauté. Il faudra donc leur ponctionner un nombre de dirhams par mètre carré, une sorte de taxe sur les flux improductifs. Dernière idée : surtaxer les produits de grand luxe, comme certaines catégories de voitures, les yachts, les télés hi-tech, le caviar… Cela nous permettra de prendre d’une main ce qu’on donne de l’autre à travers la compensation des produits de base”.

 

Comme si vous y étiez
Calme, souriant, Karim Ghellab arrive 15 minutes avant l’heure au siège de la Bourse de Casablanca… avec la mine des grands jours. C’est que la veille, un magazine international l’avait noté comme le meilleur ministre du gouvernement El Fassi, avec un 8,5/10. Mais cela ne le réjouit pas outre mesure. “La note, la vraie, c’est celle des électeurs. C’est celle-là qui compte pour moi”, dit-il avec tout le pragmatisme de l’ingénieur qu’il est. Dans l’auditoire, on reconnaît plusieurs professionnels du transport et autres hauts cadres du ministère de l’Equipement venus applaudir leur boss, avec qui ils travaillent depuis neuf ans. Mais l’homme assure le service minimum : point de déclarations fracassantes, Ghellab reste correct sur toute la ligne, évitant avec finesse de baigner dans la polémique. Le “préféré de Sa Majesté” se refuse même de se mettre dans la peau du futur chef du gouvernement, lui qui est pourtant donné favori pour cette fonction, en cas de victoire de son parti. “ça, il faut demander au roi”, répond-il du tac au tac. Oui, bien sûr. Vous avez son numéro ?

 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer