Elections. La foire aux programmes

A deux semaines des élections législatives, les partis politiques promettent monts et merveilles aux Marocains. Patchwork des promesses des cinq grandes formations du moment.

Le PJD au pays des merveilles
Disons-le tout de suite : Pour le prochain quinquennat, le PJD vous promet le paradis sur terre. Il faut juste qu’il arrive premier aux prochaines élections. Augmenter le SMIG à 3000 DH contre un peu plus de 2000 DH aujourd’hui, créer 250 000 emplois contre un rythme de 125 000 emplois sur les quatre dernières années, augmenter de 40% les revenus individuels et réduire de moitié le taux de pauvreté… voilà les principaux engagements du parti de la lampe. Qui dit mieux ?
Mais ce n’est pas tout. Le PJD promet aussi de relever les pensions minimales des retraités à 1500 DH par mois et octroyer quelque 100 000 bourses par année aux jeunes diplômés pour couvrir les besoins de recherche d’emploi. Très alléchant tout cela. Mais attendez la suite. Sur un plan plus macro, les islamistes s’engagent à améliorer le taux de croissance du PIB de 2 à 3 points pour le porter à 7% et réduire le chômage de 2 points pour arriver à un taux de 7%. Le plein emploi quoi ! Le tout avec un déficit budgétaire qui ne devrait pas dépasser les 3%.
Par quel miracle tout cela serait-il réalisable ? Réponse des islamistes : “Le gouvernement actuel a bénéficié de ressources importantes, mais n’a pas su les gérer. La bonne gouvernance peut tout rendre possible. Et c’est cela notre principal engagement”, répond Abdelilah Benkirane, qui précise que tout cela ne sera pas réalisé avant 2016. Ok monsieur.
Concrètement donc, le PJD compte jouer sur plusieurs leviers pour atteindre ses objectifs. Booster d’abord le tissu productif, en réservant 30% des marchés publics aux PME et faire passer le seuil de l’investissement nécessaire de 200 à 100 MDH pour bénéficier des avantages prévus par la commission nationale des investissements. Le PJD promet aussi d’élargir la carotte de l’IS à 15% aux entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas les 5 millions de dirhams. Cette carotte est cantonnée aujourd’hui au seuil de 2 MDH. Au delà de ce chiffre d’affaires, oubliez l’actuel taux d’IS à 30%, le PJD promet aux hommes d’affaires un taux de 25%, via des baisses progressives d’année en année. Autre levier que les islamistes veulent activer : la consommation des ménages pauvres et moyens par le biais d’une exonération totale de la TVA sur les produits alimentaires de base et les médicaments. Une baisse qui serait compensée de l’autre côté par le relèvement à 30% de la TVA sur les produits de luxe, comme le cigare, le caviar et autres “superflus”, comme disent les Benkirane & Co. Alors utopiste ?

G8 à droite toute
C’est une première dans l’histoire du pays : huit partis politiques ont fait fi de leurs idéologies, leurs différences et leurs priorités pour présenter un programme commun, chiffré, détaillé, avec des engagements clairs et nets. Le G8, cette alliance traitée de tous les noms, a au moins ce mérite. Mais passons. Concrètement, le programme électoral des 8 partis ressemble plus à celui du RNI qu’à celui du Parti de la gauche verte. Plus droite que gauche, avec une touche Mezouar bien évidente. On propose ainsi de maintenir le sacro-saint équilibre macro-économique avec un déficit qui ne devrait pas dépasser les 3%, un endettement limité à 50% du PIB et, mieux encore, un déficit commercial qui passerait de 47% actuellement à 2%. Le drame marocain se dénouerait, promet-on. Comment ? En boostant les exportations du pays et en diminuant ses importations, ou alors les deux en même temps. L’alliance des 8 propose de faire évoluer les exportations du pays de 15% par an, en se tournant vers de nouveaux marchés, essentiellement africains. Le G8 compte aussi diminuer les importations du pays en blé, en stabilisant la production céréalière à hauteur de 70 millions de quintaux. Pour la création de richesse, les amis de Mezouar veulent porter le taux de croissance du PIB à 6% l’an, soit 1,5 point de plus que la moyenne des cinq dernières années. Objectif qui nécessite un soutien sans faille au secteur privé. Une fois aux affaires, le G8 s’engage de baisser l’Impôt sur les sociétés de 1 point tous les ans pour arriver à un taux de 25% en 2016. Les mécanismes de soutien aux investissements seraient également élargis pour tout projet démarrant à 100 MDH au lieu de 200 MDH actuellement. Un effort particulier sera également concédé aux PME qui réalisent un chiffre d’affaires ne dépassant pas les 10 millions de dirhams, auxquelles on propose un taux d’IS de seulement 15%.
L’investissement public n’est pas en reste. Le G8 propose de poursuivre la politique des grands chantiers en orientant les flux d’investissement vers les régions. Une combinaison public-privé qui devrait, selon l’actuel argentier du royaume, participer à la création de 200 000 emplois chaque année, au lieu des 125 000 postes de travail aujourd’hui. Irréaliste ? “Pas vraiment”, nous dit Salaheddine Mezouar. Son calcul est simple : “Pour chaque point de croissance, on crée 30 000 emplois”, explique-t-il. Pour 6% de croissance, faites le calcul. Pour le reliquat, l’alliance mise sur l’autoemploi des jeunes. Toute une politique de soutien sera mise en place. Le G8 propose de réduire le poids fiscal à 3% pour les très petites entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas le million de dirhams, et de leur réserver 3% des marchés publics, histoire de booster leur business. ça doit être une idée de Zemzmi ça !

PPS Gaucho…sans concession !
C’est un vrai programme de gauche que propose le PPS pour les électeurs. Augmentation des revenus des couches pauvres, taxation du patrimoine et redistribution tout azimut des richesses… voilà les axes les plus forts de la politique que veulent mener les camarades de Nabil Benabdellah une fois aux affaires. Concrètement, les ex-communistes veulent augmenter de 1000 DH le SMIG pour qu’il atteigne les 3000 DH par mois. Les islamistes veulent aussi faire ça. Mais les camarades proposent mieux : exonérer le SMIG de tout impôt, pour alléger le poids de cette hausse de salaires sur les entreprises. Bonne idée. Le PPS a pensé également au salaire minimum agricole, le fameux SMAG, et propose ainsi de l’aligner progressivement sur le SMIG. C’est tout ? Non. Toujours dans la même veine de mesures visant à booster le pouvoir d’achat des ménages, les “camarades” proposent d’augmenter la pension de retraite d’au moins 50% sur les cinq prochaines années, d’assurer un revenu d’au moins 1000 DH pour les familles pauvres et de baisser la TVA sur les produits de base, histoire d’alléger la facture du panier de la ménagère. Mais comment financer tout cela ? Par les propres ressources de l’Etat bien sûr, mais dans une version améliorée, puisque les camarades veulent prendre davantage aux riches pour mieux servir les pauvres. Pour ce faire, deux idées sont proposées : taxer au taux fort les hauts revenus et mettre en place un impôt sur la fortune et sur la succession. Le principe ici est très simple : celui qui hérite d’un patrimoine doit en partager un petit chouia avec la communauté. L’effort budgétaire en faveur des pauvres et de la classe moyenne sera financé également, selon les économistes du PPS, par de la croissance. Au lieu des 4,5% d’aujourd’hui, le parti pense pouvoir porter le taux de croissance du PIB à 6%. Suffisamment, disent-ils, pour générer 250 000 emplois par an. Objectif : atteindre un taux de chômage de 7%. Les camarades veulent aussi s’attaquer à l’économie de rente et supprimer tous les privilèges et autres dérogations fiscales. Les gros producteurs agricoles, exonérés aujourd’hui de tout impôt, sont particulièrement dans le viseur du PPS. Bon courage !

Istiqlal Le réalisme, mon fils
Profitant de l’expérience de ses ministres, le parti de la balance a concocté un programme très réaliste. Le plus réaliste de tous, on pourrait dire. Pas de promesses en l’air, ni de chiffraille gratuite, l’Istiqlal promet tout simplement de poursuivre la politique des grands chantiers menée jusque-là, avec une “réingénierie” du pilotage des différentes politiques sectorielles. “Les grands programmes sont bien faits, c’est la mise en œuvre pratique qui pêche”, explique Adil Douiri, l’économiste en chef du parti. L’Istiqlal propose ainsi de créer “une structure de pilotage intégrée des différents plans sectoriels”, avec un seul commandant de bord.
Sur le volet de la croissance, le Parti de Si Abbas préfère garder les pieds sur terre, tablant sur un taux de croissance du PIB de 5% par an, soit pratiquement le même rythme que les cinq dernières années. “C’est le contexte de crise qui sévit en Europe qui nous pousse au réalisme”, explique avec modestie Nizar Baraka, actuel ministre des Affaires générales et l’un des architectes du programme économique du parti. L’Istiqlal tempère également ses ambitions sur le marché du travail. S’il promettait en 2007 la création de pas moins de 200 000 emplois par an, cette année, il ne s’engage que sur 170 000, dont 30 000 dans la fonction publique. Petite fleur aux diplômés chômeurs : le PI propose l’extension des services de l’Anapaec au recrutement dans la fonction publique, “pour une meilleure égalité des chances”, dit-on, et s’engage, mieux encore, à instaurer une aide financière pour les chercheurs d’emploi équivalant à 100 jours de travail, dès l’inscription du concerné auprès de l’agence.
Mais la principale nouveauté du programme de L’Istiqlal pour les cinq prochaines années reste la politique de redistribution de richesse, dont la première ébauche a été avortée en haut lieu en cette fin de mandat. Pour en finir donc avec l’aberration de la Caisse de compensation, l’Istiqlal propose la création de deux fonds de solidarité qui seront financés par une nouvelle batterie de taxes sur la richesse : une taxe sur les hauts revenus qui dépassent 2 millions de dirhams l’année, une taxe sur la cession de terrains vacants, et une autre sur l’urbanisation des terrains relevant des zones rurales. Autre chose : le PI propose également de surtaxer les produits de luxe. Amis riches, vous voilà prévenus !

USFP Le politique d’abord
Une croissance de 7 à 8% d’ici 2020, la création de 130 000 emplois par an, le doublement du revenu par habitant de 3000 à 6000 dollars par an, le doublement de la contribution de l’économie solidaire au PIB de 3% actuellement à 6%… Voilà quelques propositions chiffrées du programme économique de l’USFP. Mais ceci n’est pas le plus important, nous dit Habib El Malki, qui refuse de rentrer dans une “logique de marchandage” avec les électeurs. “Votez pour nous et on va augmenter le SMIG… Ce n’est pas une culture ittihadie ça”, lance le dirigeant socialiste. “Au Maroc, ce n’est pas tant les chiffres qui comptent. Nous ne sommes ni en France ni en Allemagne. Le défi du prochain gouvernement, c’est la refonte du travail politique. Tout le reste coulera de source”, explique-t-il. Pas d’engagements concrets donc ? Non, mais ce n’est pas par manque d’imagination : “Croyez-moi, faire de belles promesses est très facile, mais ça ne tient pas. Nous en avons déjà fait l’expérience”, avoue El Malki, comme pour décrédibiliser les programmes de ses adversaires politiques, partis dans une sorte de surenchères sur les chiffres et les promesses. Pour lutter contre l’économie de rente, la précarité, les inégalités… point de solution technique. “La bonne gouvernance exige d’abord un gouvernement fort et une véritable séparation des pouvoirs”.
Les Usfpéistes vont aussi à contre-courant de tous les autres partis en matière de politique budgétaire. Ils se disent par exemple prêts à sacrifier le sacro-saint équilibre macro-économique pour servir la croissance. “Nous sommes prêts à lâcher le déficit budgétaire si cela sert la croissance”, explique l’architecte en chef du programme électoral du parti de la rose. Très courageux. Partant toujours d’une logique politique, l’USFP pense également qu’il est temps de mettre un coup de frein sur le rythme de l’endettement public. “Plus qu’un simple agrégat économique, c’est une question de souveraineté nationale”, dit-on. Pour financer le budget de l’Etat, on table donc sur la croissance, accompagnée d’une certaine rigueur dans la dépense publique. On mise également sur d’autres recettes d’impôt, comme la taxe sur le patrimoine qui sera appliquée dès la première année d’exercice… Encore faut-il remporter ces élections !

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