Phénomène. Un œil sur le 20 février

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La vague de protestations au Maroc charrie son lot de révoltés et parmi eux quelques vidéastes. Avec leurs caméras, ils ont choisi d’accompagner le changement. Zoom.

Il y a plus de deux mois, le célèbre rappeur Lhaked, une des chevilles du Mouvement du 20 février à Casablanca, est arrêté par la police. Suite à cet évènement, la vidéaste Maria Karim décide de s’installer à Oukacha, le quartier du trublion, à la périphérie de Hay Hassani à Casablanca. Ce quartier populaire, devenu un centre de la contestation, permet à Maria d’entamer un travail sur les images qu’elle a pu prendre depuis le début des manifestations du Mouvement du 20 février. Et la tâche n’est pas aisée. Entre deux manipulations sur son Mac, Maria sort prendre le café au coin de la rue, où elle rencontre régulièrement les copains de Lhaked. “Cet endroit est chaleureux et ses gens m’inspirent. D’autant que j’ai décidé de m’impliquer pour la libération de Lhaked. Un artiste ne doit pas aller en prison pour son art”, explique-t-elle émue, avant d’ajouter : “Je ne sais pas encore par où commencer”. La vidéaste dispose vraisemblablement de 160 heures d’images prises depuis le premier jour de protestation. Comme plusieurs autres vidéastes, Maria n’a pas hésité à sortir dans la rue dès le début, caméra à l’épaule. “Ce sont des évènements importants qui se déroulent, des faits dont ne parleront jamais les médias officiels. C’est un devoir de mémoire que de les filmer”. Pour l’instant, Maria visualise ce qu’elle a filmé, ses idées ne sont pas encore claires, mais cela débouchera certainement sur un film documentaire, un travail que Maria n’est pas pressée d’achever.

La rue, les gens, etc.
Comme Maria Karim, le réalisateur du film Fissures, Hicham Ayouch, a cru bon de sortir dans la rue, derrière son objectif. “J’y vois un bel élan. Les gens qui ont envie de changer les choses m’interpellent, j’aime filmer autre chose que le décervelage général”, explique-t-il. Cessant de filmer momentanément, Hicham part pour Paris, histoire de méditer sur son travail. Durant les protestations, il a sillonné le Maroc à la recherche d’images fortes. Une mission épuisante et ô combien risquée. “A plusieurs reprises, j’ai été arrêté par la police et suivi par des personnes dans des voitures banalisées. Une fois, à Meknès, mon équipe et moi-même avons même été attaqués par des membres des services secrets”, se rappelle-t-il avec effroi. Il ne fait visiblement pas bon de tout filmer.
Hicham Ayouch et Maria Karim, qui gardent leurs distances avec le mouvement et préfèrent rester derrière leurs caméras, ont tout de même une démarche de militant. “Quand tu prends la caméra et que tu décides de la braquer sur des gens, c’est que tu es sensible à leur cause. A vrai dire, rien ne m’obligeait à faire cela”, avoue Hicham, à demi-mot. Nos deux vidéastes ne sont peut-être pas des militants du M20, mais ils en connaissent un rayon sur la désobéissance civile. “J’ai demandé des autorisations de tournage pour suivre le M20, mais on ne me les a pas accordées. J’ai donc filmé sans autorisations”, explique Hicham, qui a publié, en mars dernier, un manifeste pour libérer l’image, dénonçant les démarches “liberticides” des autorités. Quand à Maria, ses mésaventures avec la police et son engagement pour la libération de Lhaked, l’ont menée à des accrochages avec les forces de l’ordre et à être arrêtée à la mi-octobre.

La résistance par l’image
Si Hicham et Maria ont décidé de suivre les manifestations et happenings du M20 depuis le début, par intérêt pour ce qui risquait de se produire, la photographe et vidéaste Souad Guennoun n’a jamais hésité à prendre des images, même aux moments où la lutte sociale était la plus hésitante. Militante de l’association Attac Maroc, cette architecte de profession est une mémoire vivante des mouvements sociaux au Maroc des années 2000. Les victimes d’Annajat, les diplômés chômeurs, les mineurs de Jbel Aouam et Imini, en passant par les émeutes de Sidi Ifni ou la situation de la femme dans les fermes du Souss, les reportages et documentaires “fait maison” de Souad Guennoun font le tour des réseaux militants et constituent une base documentaire essentielle pour comprendre l’évolution des luttes sociales au Maroc. “Heureusement que tout le monde peut filmer maintenant. Au départ, c’était un devoir et, techniquement, rares étaient ceux qui pouvaient produire des images”. A travers le cinéclub d’ATTAC Maroc, créé il y a 6 ans, les films de Souad Guennoun sont projetés, mais ils sont également mis en libre accès sur le site de l’association et sur Youtube. Nos vidéastes préfèrent pour l’instant attendre l’évolution des choses. Pour Maria, “L’essentiel, c’est d’avoir les images, je peux les ressortir même dans quinze ans, elles seront certainement utiles”. Et Souad de conclure avec sagesse : “Le travail d’information est fait au quotidien. Ce sont les documentaristes qui doivent maintenant apporter un sérieux travail d’analyse de toutes ces évolutions. Tout ce qui a été filmé, professionnel ou amateur, constitue la matière brute sur laquelle nous pourrons réaliser une œuvre riche et haute en enseignements”.

Expression. L’image libérée
Si l’usage rendu plus facile des mini-caméras et de la prise d’images via les téléphones portables a fait de chaque individu un caméraman en puissance, le M20 a ouvert une brèche à la libre expression imagée. Sur Youtube, un nombre considérable de vidéos est partagé, de la dénonciation à la satire, en passant par le simple montage d’images existantes. C’est le cas d’un Marocain, ressortissant au Canada, qui produit chaque mois un bilan des protestations du M20 et y dénonce les interventions policières à l’encontre des activistes du mouvement. Sur une autre page, quelques vidéo-activistes diffusent en live streaming (en direct) tous les évènements du mouvement. L’image n’est pas utilisée que par les activistes, leurs détracteurs aussi puisent dans ses vertus. Les baltagias, des groupes anti-M20, ne perdent pas la moindre image à mettre en ligne qui serait susceptible de décrédibiliser le mouvement. Quant à la police, elle semble s’être mise à la page : les interrogatoires des militants deviennent plus interactifs, mêlant photos et vidéos de l’activiste interrogé.

 

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