LE GRAND ORAL DE SCIENCES PO

Plus qu’une semaine nous sépare des élections. Les leaders des grands partis politiques continuent de défiler pour la série de conférences-débats organisées par l’Association marocaine des anciens de Sciences Po, en collaboration avec TelQuel et Al Ahdath Al Maghribia. Cette fois-ci, c’est au tour de Habib El Malki, membre du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires, de défendre ses positions.

Habib El Malki. “La gauche et rien que la gauche”

Malgré son faible score aux dernières élections, l’USFP est un acteur qui compte sur l’échiquier politique. Quelles sont ses chances dans les prochaines législatives ? Quel est son positionnement actuel ? Comment tisse-t-il ses alliances ? Morceaux choisis de près de deux heures de débats avec Habib El Malki.

Politique. “Il y a une crise de confiance”
“Aujourd’hui, le défi est de réconcilier les citoyens avec la politique. Il y a une véritable crise de confiance dont l’Etat a une grande part de responsabilité. La dévalorisation de la vie politique ces dernières années est due aux attaques ininterrompues contre les partis historiques. Résultat des courses : les citoyens boudent la vie politique. Les pratiques de certains partis ne sont pas pour arranger les choses. Un parti “biberon” (le PAM), créé il y a moins de 4 ans, est arrivé premier aux dernières élections communales. C’est très significatif de la décadence de la vie politique au Maroc. Autre élément encore plus parlant : comment peut-on trouver logique d’avoir un groupe parlementaire composé d’un parti au gouvernement et d’un autre qui appartient à l’opposition ? Ce genre de pratiques ne donne pas confiance aux citoyens. Le Marocain, qu’on dit abstentionniste, est en vérité très mûr et analyse très bien ce qu’il se passe autour de lui. Son abstentionnisme est non seulement un comportement politique, mais aussi un cri de colère. Il faut rompre avec le parachutage. Dans une démocratie, un parti qui n’a même pas quatre ans d’existence ne peut pas devenir la première force au parlement et, plus grave encore, présider la Chambre des conseillers. Nos détracteurs avancent que nous continuons de cohabiter avec ce parti au gouvernement en la personne d’Ahmed Akchichine, ministre de l’Education nationale. Ma réponse est qu’il semblerait qu’il ait démissionné. Dans tous les cas, c’est la responsabilité du chef de gouvernement de gérer ces contradictions”.

Koutla. “Une alliance a minima”
“Nous sommes tenus par une alliance stratégique avec l’Istiqlal et le PPS, dont nous venons de renouveler la charte fondatrice. Certes, nous avons des différences, voire des contradictions. Le Parti de l’Istiqlal ne nous ressemble pas. Le PPS, qui a son propre parcours historique, non plus. La Koutla est donc une alliance a minima, qui est dictée par les enseignements de l’histoire politique du Maroc. Pendant longtemps, l’Etat a instrumentalisé certains partis contre nous. Une politique qui a fait perdre au Maroc des années, voire des décennies de développement. Résultat : le pays est au bord de la banqueroute dès les années 90. A cette époque, nous avions le choix de rester dans l’opposition mais, par responsabilité, nous avions opté pour la participation. Et vu qu’on ne peut opérer aucun changement au Maroc sans alliances, à cause de la balkanisation du champ politique, la Koutla était la solution. Sans cette alliance, il n’y aurait pas eu d’Alternance, avec ses points positifs et négatifs. Nous avons constitué le noyau dur des trois derniers gouvernements et vous pouvez faire l’inventaire des départements ministériels que les partis de la Koutla ont dirigés. Qu’on le veuille ou non, le Maroc a été mis sur les rails. Nous continuons à croire en cette alliance. Dans la nouvelle charte de la Koutla, les perspectives vont au-delà des échéances du 25 novembre. C’est un pacte basé sur des choix stratégiques qui concerne notre vision de la société de demain, des choix économiques, du positionnement international du pays…”.

Alliances. “Nous tendons la main à la gauche”
“L’USFP s’est tracé des lignes rouges : l’attachement à la Koutla avec une ouverture sur les principales formations de la gauche. Toute autre alliance doit être décidée par le congrès national. C’est un attachement qui n’a rien de contradictoire, d’autant que l’USFP et le PPS sont des partis de gauche. La Koutla, dans ses choix et ses orientations, est parfaitement en phase avec le courant socialiste. Si certaines formations de gauche ont opté pour une alliance avec d’autres partis de droite et du centre dans le cadre du G8, cela ne va pas nous dissuader. Nous continuons nos efforts pour réunir toute la famille de gauche. La tâche n’est pas facile, mais nous sommes attachés à ces partis qui partagent avec nous le même référentiel. Pour vous en donner la preuve, nous présentons aux élections du 25 novembre des membres du PSU en tant que têtes de liste dans certaines circonscriptions. Il ne faut pas oublier que la majorité de ces partis (PSU, PADS, PS…) appartenaient à la famille ittihadie. Leurs dirigeants ont claqué la porte de l’USFP pour des raisons qui, souvent, ne sont pas politiques. Ce sont des divergences de parcours qui peuvent être dépassées aujourd’hui. Je suis convaincu qu’avec le dialogue, on peut trouver un terrain d’entente, même si certaines
formations de gauche boycottent les élections”.

Elections. “Un rendez-vous de rupture”
“Le projet électoral ne doit pas rester prisonnier des contingences et de la conjoncture actuelles. La période politique dans laquelle nous vivons actuellement va déterminer tous les autres choix économiques, culturels… C’est pour cela que notre programme est l’expression d’un projet de société fondé sur la nouvelle citoyenneté. Nous estimons qu’il est temps de passer d’une société de tutelle à une société de citoyenneté active. Autrement dit, le Marocain doit devenir un citoyen à part entière qui bénéficie de ses droits et fait ses choix sans l’aval des groupes de pression. Prenons un exemple. Actuellement, la loi impose la scolarisation jusqu’à l’âge de 15 ans. C’est dépassé dans le contexte actuel où la société évolue très vite. Nous proposons de rendre obligatoire la scolarisation jusqu’au baccalauréat. C’est indispensable pour l’émancipation du citoyen. L’approche de la culture doit aussi être revue. A vrai dire, il n’y a pas d’approche. Sur ce point, nous sommes interventionnistes. D’abord, il faut ouvrir le débat sur la culture, d’autant que la nouvelle Constitution a ouvert une brèche à travers la reconnaissance de l’amazighité. Ensuite, l’Etat doit doter le ministère d’un budget conséquent pour mener à bien sa mission. Une mission qui doit être accomplie en concertation avec la société civile, les élus et le privé. Ce que nous proposons là est une révolution très profonde que la nouvelle Constitution, si elle est appliquée de manière objective, va rendre possible. Mais ce que nous craignons, c’est un détournement des dispositions de la nouvelle Constitution.

Solidarité. “Il faut imposer les riches” 
“La crise sociale est la résultante de l’aggravation des disparités et de la paupérisation d’une grande partie des couches moyennes. Nous proposons un impôt de solidarité. Ce n’est pas symbolique. Ceux qui se situent à un niveau de patrimoine qui leur permet de garantir et de contribuer à la stabilité sociale et politique de notre pays doivent mettre la main à la poche. Jusque-là, les mesures qui ont été décidées relèvent du bricolage plutôt que d’autre chose : réduire le taux de l’Impôt sur le revenu, baisser l’Impôt sur les sociétés… Dans la conjoncture actuelle, l’impôt de solidarité constitue un point de rupture. C’est pareil pour la Caisse de compensation. Au sein du parti, on a recadré la question. Il faut rompre avec l’approche actuelle, car le problème est mal posé. On fait peser tous les problèmes de la compensation sur un seul instrument. Alors que la Caisse doit être au service d’une politique sociale. Et on ne peut pas apprécier l’apport de la Caisse de compensation de manière déconnectée de notre politique sociale. Cette dernière doit être réévaluée et poser le problème des mécanismes d’intervention. La Caisse de compensation sera appelée à jouer un rôle beaucoup plus ciblé”.

Comme si vous y étiez
Pile à l’heure, Habib El Malki arrive seul au siège de la Bourse de Casablanca. Le rendez-vous dans la capitale économique, bastion traditionnel du parti des Forces populaires, n’a pas drainé beaucoup de monde. Signe du recul du parti ? “Pas forcément. L’important c’est la qualité de la présence et non la quantité”, répond-il. Calme, souriant et pesant très bien ses mots, ce vieux loup de la politique a répondu à toutes les questions à cœur ouvert, mais sans faire de vagues. El Malki a tenu à ménager presque tout le monde. Du coup, pas de déclarations fracassantes. Au sujet du programme économique du parti, le patron du Centre marocain de conjoncture a su tout de même marquer quelques points. Insistant sur l’industrialisation comme choix économique, El Malki promet un taux de croissance de 7% et pas moins de 130 000 emplois par an d’ici 2020. Des promesses qui n’ont pas emballé la salle. La séance des questions/réponses vire au procès. Le ton est légèrement accusateur, voire agressif. Mais El Malki garde son sang-froid. “Je les comprends, ils sont tous ittihadis dans le cœur”, lâche-t-il.

 

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