Finances. Cherche devises désespérément

Les réserves du royaume en dollars et en euros fondent comme neige au soleil. Une descente aux enfers qui laisse planer le risque d’incapacité de payer les importations ou de rembourser la dette extérieure. Analyse.

“La tension sur les réserves de change n’arrête pas de s’accentuer. C’est un véritable danger qui menace l’économie du pays”. Lors de la présentation de son rapport annuel, en septembre, le wali de Bank Al-Maghrib n’y est pas allé par quatre chemins. L’heure est grave : les réserves de l’Etat en monnaies fortes diminuent de plus en plus. Représentant jusqu’à 12,5 mois d’importations en 2002 et près de 10 mois en 2007, le stock en devises étrangères du royaume continue de se réduire comme peau de chagrin. Aujourd’hui, il couvre à peine 5 mois des besoins du pays en importations. C’est en dessous même des estimations du Haut commissariat au plan (HCP), qui tablait sur un matelas suffisant pour couvrir six mois d’achats. Faut-il en avoir des insomnies pour autant ? “A ce stade, l’Etat a encore de la marge. Mais, vu la morosité économique qui plane sur les partenaires du royaume, on ne voit pas encore le bout du tunnel”, estime l’économiste Driss Benali.

Ça va balancer !
En attendant un redressement de l’économie mondiale, le stock en devises est en chute libre. L’encours des réserves de change, représenté par les avoirs extérieurs de la banque centrale, s’établit, à fin septembre, à 171 milliards de dirhams contre 187,6 milliards un an auparavant. Les banques commerciales ne font pas mieux. Sur la même période, leurs avoirs extérieurs nets sont passés de plus de 5 milliards de dirhams à 3,4 milliards. “Cette chute est directement liée au déséquilibre de la balance commerciale. En dépit de la bonne tenue des produits miniers, les exportations marocaines n’arrivent pas à couvrir les importations”, explique Driss Benali.
A fin septembre, le déficit de la balance commerciale a atteint un nouveau record : plus de 138 milliards de dirhams, soit une hausse de 24% par rapport à la même période de 2010. Pire encore, les achats du royaume croissent plus ses ventes. Au moment où les importations progressent de 20%, les exportations, elles, ne gagnent que 16%. Résultat : le Maroc dépense plus en euros et en dollars qu’il n’en encaisse. “Les produits marocains destinés à l’étranger ne sont pas compétitifs et n’arrivent pas à s’imposer sur les marchés internationaux. L’exemple le plus édifiant est le textile qui n’arrive pas à décoller”, indique notre économiste.
La situation de la balance des paiements n’est pas pour arranger les choses. Après les années fastes de 2000 à 2007, période où l’Etat avait bradé plusieurs joyaux du secteur public, celle-ci a perdu son équilibre et pique désormais du nez. Selon les estimations du HCP, le compte des transactions courantes devrait atteindre cette année un déficit de 4,3% du PIB, soit à peu près 35 milliards de dirhams. Cette tendance est apparue dès 2008. La crise économique mondiale a mis à genoux tous les secteurs érigés par le royaume comme fer de lance. Revenus des phosphates, recettes touristiques, transferts des MRE…tous les pourvoyeurs de devises du pays y ont laissé des plumes. La conséquence a été directe sur le niveau des réserves : “Pour équilibrer sa balance des paiements, l’Etat a été obligé de se servir dans les réserves de devises, ce qui a aggravé davantage la situation”, explique ce cadre de l’Office des changes.

Merci le crédit !
Cette année, des signes annonciateurs peuvent pousser à l’optimisme. Le tourisme et les envois des MRE ont repris du poil de la bête. A fin septembre, leurs recettes sont en hausse respectivement de 5,3 et de 8,2%, soit quelque 90 milliards de dirhams en tout. Mais attention, “il ne faut pas trop compter là-dessus. Ces sources de revenus sont très aléatoires et, vu la conjoncture politique et économique internationale, elles peuvent facilement s’évaporer”, prévient Driss Benali. Reste alors la grande question : comment l’Etat compte-t-il financer ce déficit ? Ne pouvant plus puiser dans ses réserves de devises et devant la chute des investissements directs étrangers (voir encadré), le recours à l’emprunt extérieur est inévitable. La décision est d’ailleurs prise : le projet de Loi de Finances 2012 prévoit la levée de 20 milliards de dirhams sur les marchés étrangers. Une solution qui va donner une bouffée d’oxygène au Trésor, mais qui risque à terme de lui coûter très cher.
En effet, les échéances de la dette extérieure publique et privée (dites service de la dette) sont déjà très élevées. Avec une ardoise de 175 milliards de dirhams de dettes, le Maroc consacre chaque année 20 milliards de dirhams pour rembourser ses prêts contractés à moyen et long termes. De plus, cette sortie du royaume sur le marché international est annoncée dans une conjoncture peu favorable. Avec la crise de la dette que connaissent toutes les puissances mondiales, les bailleurs de fonds, devenus de plus en plus méfiants, risquent de faire payer au royaume le taux fort pour son nouvel emprunt. Le service de la dette ira donc crescendo pour les prochaines années.
Cette hausse de la dette n’est que la partie visible de l’iceberg. Derrière, c’est tout le modèle économique du pays qui est remis en question. “L’économie du pays est tirée par la demande interne qui est satisfaite en grande partie par les importations. Du coup, l’Etat doit casser sa tirelire pour y répondre”, explique Driss Benali. La solution ? “D’abord, offrir des produits de qualité au consommateur local, ce qui fera sortir moins de devises. Ensuite, gagner des parts de marché à l’extérieur pour faire entrer des devises”, explique l’économiste. Le remède implique donc une grande compétitivité du tissu économique, ce qui n’est pas une mince affaire.

 

Investissements étrangers. L’autre revers de la médaille !
Il fallait s’y attendre : la tension politique qui plane sur les pays du sud de la Méditerrané combinée à la crise économique mondiale a eu un effet négatif sur le Maroc. Le royaume draine moins d’investissements étrangers. Selon les chiffres de l’Office des changes, ces derniers se sont établis à près de 18 milliards de dirhams à fin septembre contre 21,4 milliards un an auparavant, soit une baisse de 15,7%. Pire encore, en comparaison avec la moyenne des neufs premiers mois des années 2006 à 2010 (23,5 milliards), la baisse est encore plus accentuée. Au-delà des retombées sur la croissance et l’emploi, le recul des IDE impacte négativement la balance des paiements. Avec des recettes de 32 milliards en 2010, ils se sont situés en troisième position des flux financiers, juste derrière le tourisme et les transferts des MRE. En prenant les bénéfices dégagés par ces investissements, l’équation devient plus compliquée. Les dividendes, transférés en devises par les multinationales implantées au Maroc, n’arrêtent pas de monter en flèche. De 4,4 milliards de dirhams en 2007, ils sont passés à près 9 milliards en 2009 et culminaient à 11 milliards l’année dernière.

 

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