Zoom. Dans l’ombre de Benkirane…

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Il s’appelle Abdallah Baha et le grand public l’a découvert à l’occasion de l’installation du nouveau gouvernement. TelQuel décortique le profil et le parcours de cet homme qui a grandi à l’ombre de son chef et ami, Abdelilah Benkirane.

Au sein de la nouvelle équipe gouvernementale, Abdallah Baha fait figure d’outsider. Celui qu’on n’attendait pas vraiment mais qui a fini par s’imposer à tous comme une évidence. Car même s’il fait partie des dirigeants historiques du mouvement islamiste marocain, il reste aussi l’un des plus discrets et les plus réservés. Aujourd’hui encore, l’homme s’expose très peu aux médias. Il n’a pas, par exemple, commenté la polémique née suite à sa nomination en tant que ministre d’Etat sans portefeuille, laissant à Abdelilah Benkirane le soin de répondre à sa place, et à sa manière. “Abdallah Baha a joué un grand rôle dans la vie du parti, et ce avant même que vous ne soyez né”, a notamment répondu le Chef du gouvernement à un journaliste qui l’interrogeait sur l’utilité de cette nomination. Depuis la victoire du PJD lors des élections du 25 novembre, les deux hommes ne se quittent d’ailleurs plus. Conférences de presse, négociations avec les partis de la majorité, réceptions officielles… ils font tout ensemble. “Baha est un ami, un vrai. Seul la mort nous séparera”, tranche Abdelilah Benkirane. Signe de cette confiance, c’est à Abdallah Baha que le nouveau patron de l’Exécutif a confié la présidence de la commission chargée de la rédaction de la déclaration gouvernementale. Une mission difficile car il faut concilier entre les programmes électoraux des quatre partis de la majorité. “C’est une tâche taillée sur mesure pour Si Baha, connu pour son tempérament calme et conciliateur. En plus, il jouit du respect de tous les autres partenaires politiques, ce qui l’aidera à mettre tout le monde d’accord”, commente une députée du PJD.

Bizutage politique
Né dans la région du Souss en 1954, Baha est issu d’un milieu conservateur, attaché aux valeurs traditionnelles. Durant son adolescence, le jeune homme est d’abord attiré par un mouvement de prédication religieuse, la Jamaâ Addaoua wa Tabligh dont il devient un adepte. A ce stade, l’étudiant soussi n’envisage encore aucune carrière politique. C’est plutôt un bosseur qui décroche haut la main son baccalauréat en sciences mathématiques au lycée Youssef Ben Tachfine à Agadir en 1975. La même année, il plie bagages pour se rendre à Rabat où il s’inscrit à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV). C’est alors un gentil gars du Sud qui découvre les joies de la capitale, et qui ouvre les yeux sur la réalité politique du pays. A cette époque en effet, le royaume bouillonne. Le régime vacille, menacé à la fois par les organisations gauchistes et islamistes. Abdallah Baha suit tout cela de loin. Il préfère se concentrer sur ses études, mais les débuts sont plutôt difficiles sur le campus rbati. Selon certains de ses amis à l’époque, le jeune Soussi vit assez mal le fameux bizutage réservé aux nouveaux venus. Il en fait part à certains de ses camarades, militants actifs de la Chabiba Islamiya. Au fil des semaines, ces derniers deviennent ses principaux confidents. Ils ne trouvent d’ailleurs aucun mal à rallier le jeune étudiant à leur cause. Le groupe qui se forme alors dans la capitale rassemble plusieurs futurs grands dirigeants politiques marocains; parmi lesquels Saâd Eddine El Othmani, Mohamed Yatim ou encore Abdelilah Benkirane qui se lie, à partir de cette période, d’une solide amitié avec Abdallah Baha.
Mais ce milieu des années 70 est également celui du début de la déliquescence de la Chabiba Islamiya, accusée d’être derrière l’assassinat du leader ittihadi Omar Benjelloun en décembre 1975. Ses principaux leaders, dont le fondateur Abdelkrim Moutiî, fuient le pays laissant leurs jeunes recrues orphelines. Ces derniers continuent pourtant à y croire. Ils se voient régulièrement et poursuivent leur activisme dans les principales villes du pays. Au début des années 80, le fameux groupe de Rabat (en plus de militants venant d’autres villes) finit par créer une nouvelle entité : Al Jamaâ Al Islamiya, dont la présidence échoit à Mohamed Yatim. Il est secondé par Abdallah Baha, jeune ingénieur agronome à l’époque et enseignant chercheur à l’IAV. Le mandat de Yatim dure quatre ans. Il est remplacé par Abdelilah Benkirane en 1985, mais Baha reste en place jusqu’au début des années 90. “Les présidents ont changé, l’association a elle-même changé de nom et d’identité, mais Baha est resté président adjoint, s’amuse encore à rappeler Mohamed Yatim. Cela est dû à sa grande sagesse et à sa capacité d’analyse et de synthèse. C’est un homme de principes qui ne s’emporte presque jamais. On a souvent besoin de lui pour prendre de grandes décisions ou pour relativiser certaines situations”, conclut-il.

Conciliation toutes !
En 1996, Abdallah Baha intègre (ainsi que ses compagnons de lutte) le bureau exécutif du Mouvement populaire constitutionnel et démocratique, ancêtre du PJD, créé par feu Abdelkrim Khatib. Une nouvelle page s’ouvre devant les anciens militants de la Chabiba Islamiya. “Nous serions sans doute rentrés dans les institutions sans le docteur Khatib, mais nous serions passés par des portes moins honorables”, aime à rappeler Abdelilah Benkirane. Et si certains jeunes leaders islamistes (comme Ramid et Benkirane) arrivent à se faire élire dès 1997 au parlement, Abdallah Baha attendra jusqu’en 2002. Il est alors député de l’une des circonscriptions les plus disputées de la capitale : Rabat Chellah. Au sein de l’hémicycle, la réputation de Baha le précède. Il est élu, sans peine, à la tête de la Commission de la justice et des droits de l’homme à la Chambre des députés. Mais les temps sont durs. Les attaques du 11 septembre 2001 ont décidément changé la face du monde. Au Maroc, une traque anti-terroriste se solde par la rafle de plus de 5000 personnes, sans pour autant prévenir les attentats du 16 mai. Le choc est terrible. Le PJD est alors pointé du doigt. Certains ressortent de vieux numéros du quotidien Attajdid ou citent les déclarations de certains dirigeants islamistes pour insister sur la “responsabilité morale” du parti. D’autres demandent expressément la dissolution de la formation islamiste. Cette dernière fait le dos rond et laisse passer la tempête. Le parti islamiste est obligé de composer avec l’administration, voire de se soumettre aux consignes du ministère de l’Intérieur, géré à l’époque par Fouad Ali El Himma. En 2003, le secrétariat général du parti accepte même d’écarter Mustapha Ramid de la présidence du groupe parlementaire au profit… de Abdallah Baha, plus pragmatique et moins polémique que l’avocat casablancais. Le député de Rabat monte alors souvent au créneau pour expliquer les positions de son parti, et donner une image plus lisse et plus consensuelle de la formation islamiste.
C’est d’ailleurs dans le même esprit que Saâd Eddine El Othmani succède au docteur Abdelkrim Khatib à la tête du PJD lors du congrès de 2004. Abdallah Baha se retrouve, encore une fois, secrétaire général adjoint. Il est également reconduit à la tête du groupe parlementaire, et ce contre l’avis de la majorité des députés islamistes, plus favorables à Ramid. A cette époque déjà, Baha est présenté comme un idéologue du parti. On lui doit d’ailleurs certaines maximes au sein du PJD. Il serait par exemple l’auteur de cette formule : “L’opinion est libre, la décision est obligeante”, censée excuser les écarts de langage et d’opinion de certains leaders, sans pour autant affaiblir la discipline interne. Quand, en juillet 2008, Abdelilah Benkirane prend les commandes du parti, Baha devient une pièce maîtresse de la machine PJD. Le nouveau secrétaire général arrive difficilement à se passer de son ami de trente ans, même pour ses rencontres avec la presse. Les deux hommes partagent, presque en permanence, le bureau réservé au Secrétaire général. Ils déjeunent presque tous les jours ensemble et habitent à quelques pas l’un de l’autre. “Ils fonctionnent bien en duo. Les deux perdraient beaucoup en se passant l’un de l’autre. Leurs tempéraments, totalement opposés, sont complémentaires. Si Benkirane était un câble de haute tension, Baha serait alors son régulateur”, ironise Mohamed Yatim. C’est d’ailleurs cette vérité qui a poussé les 46 membres de la commission interne, censée élire les ministres islamistes, à proposer, à l’unanimité, Abdallah Baha au poste de Chef du gouvernement adjoint. “Le parti y perd certes un portefeuille ministériel, mais le gouvernement gagnera en efficacité”, résume l’un de nos interlocuteurs.

La machine d’abord !
Les leaders du PJD ont horreur d’une chose : la personnification du parti. Parler des individualités les dérange. Car, selon eux, aucun dirigeant, aussi charismatique soit-il, ne peut exister en dehors du cadre partisan. Et pour cela, ils donnent plusieurs exemples. Ils citent ainsi le débarquement, en 2008, de Saâd Eddine El Othmani alors qu’il avait évité la dissolution du parti au lendemain des attentats du 16 mai, ou encore les tentatives de destitution de Abdelilah Benkirane, suite à ses déclarations contre le Mouvement du 20 février. Depuis les débuts de la Jamaâ Islamiya en effet, les fondateurs du futur PJD n’ont jamais eu de leader ou de gourou. Ils avaient tous le même âge, et donc la même légitimité. “Notre force est celle de pouvoir gérer de manière collégiale les affaires du parti et de soumettre nos différences au vote des militants”, affirme un leader de la jeunesse islamiste.

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