De Rabat à Brazza, le slam révolté d'Aurore Boréale

Exilée à Rabat depuis bientôt un an, Aurore fait partie d'un collectif de slameurs à Brazzaville. Entre embrigadement religieux, harcèlement sexuel et censure politique, elle nous raconte son laborieux chemin vers le slam et la liberté.

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Crédits photos : Margaux Mazellier

Au quotidien, Aurore est de ces gens discrets au regard légèrement fuyant et dont la voix douce peine à se faire entendre. Mais lorsqu’elle slame, la jeune Congolaise se transforme. Son regard devient perçant et sa voix assurée. Elle est une autre.

Aujourd’hui, celle qui se fait appeler Aurore Boréale dans le milieu artistique congolais, ne slame plus. Exilée au Maroc depuis mars dernier, elle vit dans un petit appartement situé dans un quartier résidentiel de Rabat et passe l’essentiel de son temps à s’occuper de sa petite fille, Bakia, née il y a cinq mois. « Je ne voulais pas qu’elle naisse au Congo et qu’elle vive ce que moi j’ai vécu« , explique la jeune femme. Vous l’aurez compris, l’histoire d’Aurore n’est pas simple. C’est avec la fougue de ceux qui sont restés trop longtemps dans le silence, qu’elle nous raconte son histoire. Parfois en fouillant dans sa mémoire, parfois en relisant ses textes.

Pieds et mains liés

A voir de loin on ressemblait plus à des zombis qu’à des vivants, notre pauvreté et notre dénuement étaient si grands qu’il était difficile de croire que nous étions des ouvriers de Dieu

Extrait – « Et si je disais la vérité? »

Aurore est née à Pointe-Noire, la capitale économique du Congo. « J’ai grandi dans une famille très pieuse qui suivait les préceptes d’une Eglise évangélique congolaise de réveil: une sorte de secte qui mélange le christianisme et d’autres religions« , explique-t-elle. Lorsqu’elle termine l’enseignement secondaire, Aurore part faire des études de droit à l’Université de Brazzaville.

Elle est alors envoyée par ses parents dans un village situé à 25 km de la capitale, géré par le pasteur de la communauté. « C’était horrible, raconte-elle. On se levait à 3 heures du matin pour être à la prière à 4 heures. Ensuite, on devait aller travailler sur le chantier. Si tu n’y allais pas le pasteur ne te donnait pas l’argent pour prendre le bus et te rendre à l’école. Parfois, il ne nous nourrissait même pas…« .

Un jour, Aurore rentre de l’université et apprend que le pasteur lui a attribué un mari. Elle a alors 25 ans, est vierge et ne connaît rien des hommes. Il est hors de question pour elle de se marier avec cet inconnu. Le pasteur lui pose un ultimatum: soit elle se marie, soit elle quitte la communauté. Aurore est coincée. « Partir voulait dire ne plus avoir de soutien financier de la part du pasteur mais aussi de mes parents car, dans ce genre de secte, quitter la communauté est un déshonneur pour la famille « , s’agace-t-elle encore aujourd’hui. C’est finalement le pasteur lui-même qui la chassera un peu plus tard du village pour son comportement « dépravé et irrespectueux« , se remémore-t-elle. « En fait lui et le frère qui m’avait dénoncé étaient jaloux car ils voulaient coucher avec moi« .

En route vers la liberté

Je porte en moi les gênes de la révolte (…) la rébellion avait depuis longtemps enfanté ses racines en moi. S’ils s’étaient bien renseignés ils auraient appris que dans ma famille la folie est héréditaire, ils auraient compris plus tôt que cette vie n’était pas la mienne, ils auraient compris que je n’étais pas à ma place

Extrait – « Et si je disais la vérité? »

Aurore se sent prisonnière. Prisonnière de ce village, de la religion, de son propre corps… « Je le sentais bouillir en moi. J’avais des choses à dire mais je ne savais pas quoi en faire« . C’est justement quand le silence commence à se faire trop pesant qu’elle découvre le slam, en 2009. Un camarade de l’université, membre de ce qui sera son futur collectif, Styl’ Oblique Brazza, l’invite à son premier café-slam à l’institut français de la capitale. « J’ai été très impressionnée par ces gens qui déclamaient des textes a capela devant un public ». Si au début Aurore s’estime trop timide pour monter sur scène, elle se met très rapidement à écrire ses propres textes. « J’avais trop de colère en moi« , avoue-t-elle, pensive.

Aurore sort alors du silence et prête sa voix à la bruyante et acerbe Aurore Boréale. Avec Styl’Oblique, elle enchaîne les sessions café-slam, les ateliers et les festivals. Son premier combat: dénoncer cette communauté dont tout le monde connaît les crimes mais dont personne ne se plaint. « La secte est protégée par le président actuel Denis Sassou-Nguesso. D’ailleurs, le pasteur est le chef spirituel de ce dernier…« , confie-t-elle.

C’est ainsi que la jeune femme décide de rédiger sa première pièce de théâtre intitulée « Et si je disais la vérité ? » avec l’aide du metteur en scène congolais Harvey Massamba. Alliant le théâtre et le slam, la pièce raconte l’histoire d’une jeune fille qui s’enfuit de sa communauté religieuse après avoir été violée par le pasteur. « En fait je raconte à travers la métaphore du voyage en bus, son chemin de l’oppression (la communauté) vers la libération (découverte de l’art) », commente l’artiste. Une pièce qui ne cache pas son caractère autobiographique…

Le chemin de l’exil

Questionne tes fuites et tes errances / J’enfante le meilleur / Renvoie dos au mur la morale / Toise avec arrogance l’immorale / Epie les mystères hautains des tombeaux blanchis / Côtoie la folie créatrice dans la matrice même de la vie / J’appelle à l’existence ce qui n’existe pas / Je suis l’artiste

Aurore Boréale

Engagés et subversifs, ses textes lui valent la colère de ses parents mais aussi celle des autorités congolaises. Lors de la cérémonie de clôture des Jeux Africains en septembre 2015, son texte et celui d’autres slameurs ont été coupés « pour ne pas blesser la sensibilité du président de la république, qui assistait à l’évènement« .

Aurore confie également que plusieurs fois, elle a été suivie dans la rue ou a reçu des menaces anonymes sur son téléphone. « Les artistes ne sont pas pris au sérieux au Congo. Si vous ne caressez pas le pouvoir dans le sens du poil, vous n’existez pas« .

En 2015, lorsque le président Sassou faisait campagne pour un changement de constitution afin de se maintenir au pouvoir, le festival Ici c’est l’Afrique n’a pas reçu de subventions. Pour Aurore, les raisons sont simples: « on était contre son maintient au pouvoir et la plupart des organisateurs sont du sud du pays, ennemi des tribus du Nord qui soutiennent le président« .

Aurore ne participe pas aux émeutes qui ont agité son pays en 2015. Pour elle, « il n’y a pas de réels opposants, il n’y a que des mécontents qui ont déclaré leur opposition quand ils ont été dégagés de leur poste« .

Cependant, elle continue de lutter contre l’injustice à travers ses textes. « La priorité c’est d’éduquer les gens. Les congolais ont besoin d’une instruction civique, car quand la tête est pourrie tout le reste suit. Si le gouvernement est corrompu, tout le monde peut l’être non ?« .

Elle estime d’ailleurs que la rupture entre le nord et le sud du pays n’est que le fruit de calculs politiques pour diviser les congolais. « Ce n’est pas parce que je suis de la même tribu que le président que je cautionne ce qu’il fait. D’ailleurs, j’ai toujours vécu à Brazza sud, et la plupart de mes amis viennent de tribus du sud« . Le père de sa fille est d’ailleurs lui aussi originaire du sud. L’une des raisons ayant poussé Aurore à quitter son Congo natal était justement d’éviter à Bakia, sa fille, d’avoir à choisir entre deux identités.

Aujourd’hui, Aurore et Bakia sont un peu isolées dans leur petit appartement de Rabat. Ses nouvelles responsabilités de mère ne lui laissent plus vraiment le temps de se consacrer à la scène, mais elle continue à écrire. « Je travaille sur ma prochaine pièce qui traitera de la crise ivoirienne et des migrants qui risquent leur vie pour rejoindre le Maroc puis l’Europe« , confie-t-elle. Une fiction encore une fois teintée de sa réalité…

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