Décès dans la clinique Catala de Casablanca: les zones d'ombre

Un homme souffrant d’insomnie chronique est mort attaché à son lit dans l’incendie qui s’est déclaré dans sa chambre dans une clinique casablancaise. Un procès est en cours mais plusieurs zones d’ombre persistent. Eclairage.

Par

Rachid Joundy, 77 ans, souffrait d’insomnie chronique. Le doyen des architectes du Maroc a alors décidé de se faire examiner par un psychiatre et d’aller se reposer quelques jours dans une clinique. Son choix est tombé sur la clinique Notre-Dame, ex-Catala, que de mauvaises langues du voisinage n’hésitent pas à nommer « Qatala » (tueuse). Il en est sorti sur une civière, totalement calciné, sa chambre ayant subi un incendie qui a tout ravagé. Le drame remet sur le tapis la pratique moyenâgeuse et inhumaine de la contention physique largement utilisée en psychiatrie.

Un jour sans lendemain

« Papa s’est adressé de lui-même à la clinique Notre-Dame croyant qu’elle appartenait toujours à son ami, Dr Sentissi. Le fait qu’elle ait changé de propriétaires depuis déjà un an n’a en rien influé sa décision», se rappelle avec une amertume à peine voilée Lamiae Joundy, la fille de la victime. «Rachid Joundy a été admis à la clinique samedi 7 novembre vers midi. A 13 heures, il a été examiné par le médecin-psychiatre Dr Laâlej qui lui a prescrit un traitement et un séjour en milieu hospitalier», confie à TelQuel Mohamed Tayeb Omar, l’avocat de la famille Joundy. « A 21 heures, l’infirmier de garde a donné au patient ses médicaments et, vers 22 heures, il est revenu pour l’attacher à son lit ». Mais avant 5 heures du matin, Rachid Joundy était déjà mort, selon son avocat, qui détaille: « Il s’est sûrement débattu dans les flammes qui l’ont encerclé sans que personne ne lui porte secours », poursuit Me Tayeb Omar.

Une image insoutenable pour Lamiae Joundy qui, dans son témoignage à TelQuel, estime que la gravité des brûlures témoigne de la longue et pénible agonie que son père a dû vivre. « Nous sommes sous le choc. Le feu s’est déclaré dans sa chambre uniquement ». Et de se poser de nombreuses questions: pourquoi a-t-il été ligoté alors qu’il ne représentait aucun danger? Où était l’infirmier de garde? Pourquoi sa chambre a été repeinte et son mobilier changé alors qu’on était le dimanche d’un week-end prolongé? « Nous n’avons eu droit à aucune réponse de la clinique avec laquelle nous n’avons plus aucun contact», s’indigne la jeune femme, la voix entrecoupée de sanglots.

Des responsabilités à définir

Alerté par la police à 7 heures du matin, Aziz Joundy, le frère de la victime, a déposé immédiatement une plainte pour négligence et homicide involontaire. « Trois personnes sont au banc des accusés: Ahmed Zred, l’infirmier qui était de garde le soir du drame, Dr Hachim Youssef, médecin généraliste chargé de la gestion de la clinique, et la clinique en tant que personne morale », explique Me Tayeb Omar. Le procès qui se déroule devant la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Aïn Sebaâ a ouvert sa deuxième audience mercredi 25 novembre. L’avocat de la famille Joundy nous a confié que, le jour même, il allait porter plainte devant le procureur général vu la portée pénale de l’affaire. L’objectif: que le procès se déroule devant la Cour d’appel. Pour sa part et en réaction au malheureux sinistre, le ministre de la Santé a décidé la fermeture de la clinique Notre-Dame, après avoir mis au courant le Secrétariat général du gouvernement (SGG). Une fermeture que la clinique, soucieuse de son image, dément. A la journaliste de TelQuel, qui s’est fait passer pour la mère d’un patient, après avoir demandé en vain à parler aux responsables de la clinique, une dame au bout du fil a déclaré que « la clinique ne peut accueillir de patients actuellement à cause des travaux de réfection, et ce pour une durée indéterminée », d’après notre interlocutrice.

Une pratique déshumanisante

La mort tragique de Rachid Joundy, que le médecin traitant a certifié qu’il n’était pas nécessaire d’immobiliser vu qu’il ne représentait aucun danger, remet sur le tapis une problématique qui relève du tabou dans le milieu de la psychiatrie: la contention physique. Malgré le déni et en dépit de l’évolution de la psychiatrie clinique et des avancées des méthodes de psychothérapie, cette pratique moyenâgeuse, qui a toujours fait débat, subsiste. En milieu hospitalier, des patients potentiellement dangereux, comme les psychotiques chroniques, les psychopathes et les déficients mentaux en état d’agitation sont immobilisés, sanglés, attachés au lit.

Le recours à ces méthodes fortes est banalisé. Certains leur trouvent même des vertus thérapeutiques. « Un malade est attaché au lit quand il constitue un danger pour sa propre personne ou pour son entourage, à savoir les autres patients ou le personnel soignant », nous confie une infirmière ayant eu à travailler dans un service de psychiatrie. « Pour éviter les mauvaises surprises, dont le suicide, les malades doivent rester sous surveillance continue. Des rondes régulières dont l’intervalle dépend de l’état du malade doivent être effectuées ». L’affaire Rachid Joundy sera aussi le procès de ces pratiques médicales.

Par Fatima Moho.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer