Mohamed Boussaid:« Tous les budgets sociaux vont augmenter »

Sur fond de crise gouvernementale à peine masquée, Mohamed Boussaid doit défendre le projet de Loi de Finances qui fait déjà polémique. Le ministre apporte quelques éclairages sur ce budget inédit.

Par et

Mohamed Boussaid. Crédit: Rachid Tniouni

Au siège du ministère de l’Économie et des Finances au quartier administratif de Rabat, l’effervescence est palpable. « C’est la haute saison de la finance », comme le résume avec assurance le ministre Mohamed Boussaid. Ce dernier décortique ensuite les grandes lignes du projet de Loi de Finances 2016, qu’il passe plus d’une heure à défendre. Le ministre est en campagne de communication cette semaine, lui qui est d’habitude peu prolixe avec les journalistes, enchaîne les interviews. Mais sur les questions qui fâchent, celles qui doivent être tranchées cette année, comme les réformes de la retraite et de la décompensation du sucre, il reste plutôt évasif.

Les budgets des plus importants ministères ont augmenté sauf celui de l’Education nationale. Pourquoi?

La baisse constatée de 1,22 % est juste comptable. En 2015, l’estimation du budget général de ce département prenait en considération les rappels et promotions en retard du personnel. Une dépense qu’on ne retrouvera pas, ou du moins pas dans une proportion aussi importante en 2016. Si on exclut cette dépense exceptionnelle programmée en 2015, le budget de l’Education nationale est en hausse. On ouvre pour ce département 8600 postes en 2016 contre 7000 en 2015. En plus, il y a eu cette année un effort d’investissement supplémentaire de 300 millions de dirhams. Tous les secteurs sociaux ont bénéficié d’augmentations de budget.

Le gouvernement est accusé de se diriger vers la privatisation des services publics (santé, éducation…). Que répondez-vous à cela?

Il faut exclure de cette logique les cliniques. Elles sont déjà privées, donc il ne s’agit pas de privatisation. On demandait au médecin d’être à la fois gestionnaire et spécialiste. Nous avons décidé de faire la séparation entre ces deux casquettes en appliquant un modèle qui existe dans plusieurs pays. Cela n’a rien à voir avec la privatisation des secteurs sociaux. Cela dit, le débat peut être lancé. Le rôle de l’État évolue, mais il doit garder quelques fonctions régaliennes indiscutables. Il y a par contre des missions qui peuvent évoluer. À ce niveau, plusieurs courants et idéologies existent. Notre pays a encore besoin que l’État soit présent au niveau des services publics pour mieux les organiser. Quand on parle de service public, c’est un service au public. S’il respecte un certain nombre de critères, que le service soit exécuté par le public ou le privé c’est la même chose. Il y a des fonctions intransférables. D’autres peuvent être réalisées par les deux secteurs, séparément ou dans le cadre d’un partenariat public-privé.

Il a suffi que vous affirmiez que la réforme des retraites aura lieu en 2016 pour que les syndicats montent au front. Irait-on vers un nouveau blocage?

C’est une réforme assez dure qui a atteint sa maturité. Le gouvernement a pris le temps d’examiner tous les scénarii. Les syndicats adhèrent au principe de la réforme. Le schéma global est également acquis (réforme paramétrique suivie de création de deux pôles, public et privé, ndlr). C’est sur la manière d’appliquer cette réforme que les points de vue divergent. Le débat ne doit pas être réduit à la discussion des paramètres à adopter (âge, taux de cotisation…) car si l’on ne fait rien, en 2022 les fonctionnaires n’auront pas de pensions.

Quels sont les paramètres retenus par le gouvernement?

Il y a plusieurs options envisagées par le gouvernement, le Conseil économique, social et environnemental et par les syndicats. Vers où ira-t-on? Je peux vous dire que le scénario proposé par le gouvernement permet de repousser le déficit de 10 ans. Par contre, l’enveloppe budgétisée est estimative et évoluera en fonction des besoins. Cette estimation tient compte d’une date d’entrée en vigueur et d’un scénario. Il faut trancher et y aller.

Les patrons demandent depuis longtemps un Impôt sur les sociétés (IS) progressif. Pourquoi n’avez-vous pas retenu cette option?

L’IS à taux multiple et progressif se heurtait à une doctrine qui refusait de revoir le système en place. Cette année, nous avons introduit plusieurs taux de l’IS. Cela permet de réduire les effets de seuil qui existaient entre les tranches en favorisant les entreprises qui réalisent de petits bénéfices. Cela ouvre aussi le débat sur la progressivité. Si l’on ne prend en compte que l’aspect financier, on parle d’une légère marge de différence. Une entreprise qui réalise 10 millions de dirhams de résultat, par exemple, ne paiera que 70 000 dirhams de moins avec un système progressif. Par ailleurs, si on a augmenté la tranche supérieure de l’IS d’un point, c’est pour compenser le manque à gagner sur la baisse du taux pour la tranche qui gagne moins d’un million de dirhams. Il faut voir tout le package fiscal, car il y a d’autres mesures comme le remboursement de la TVA sur investissement et la TVA sur la marge pour l’agrobusiness, qui engendrent des baisses de recettes pour l’État.

Si un IS progressif ne génère pas beaucoup d’économies aux entreprises, combien pourrait-il faire perdre à l’État en cas d’application?

Je n’ai pas le chiffre en tête. Mais il faut comprendre que l’enjeu n’est pas de l’appliquer ou pas. Il faut aussi penser à la progressivité de la réforme. Je pense que l’ouverture de ce chapitre en soi est un pas audacieux.

Qu’en est-il de la réforme de la TVA, censée amener cet impôt à deux taux?

L’application de deux taux pour rendre à la TVA sa neutralité est une chose primordiale, mais qui reste dure à mettre en œuvre. Nous avons déjà démarré ce chantier, non sans peine, en réajustant la TVA de certains produits. Et contrairement à ce qu’on dit, l’idée n’est pas de ramener le taux de 14 à 20 % et de 7 à 10 %. Nous essayons autant que possible de baisser le taux de la TVA, comme c’était le cas pour les chauffe-eau solaires dont la taxe est passée de 14 à 10 % en 2015. Normalement, nous convergeons vers trois taux: 0, 10 et 20 %. Le problème de l’impact sur le consommateur final est posé. Certains secteurs, qui ont accumulé du buttoir (remboursement de la taxe aux entreprises) et qui savent qu’ils ne vont pas être remboursés de sitôt, ajoutent de la marge sur les prix pour récupérer le manque à gagner. Lever cette contrainte dans ces cas-là n’engagerait en réalité aucune augmentation des prix pour les clients.

Pourquoi vous êtes-vous penché sur le cas de l’ONCF particulièrement?

On en a fait de même avec Autoroutes du Maroc en 2015. Nous avons décidé de porter la taxe sur les tickets de train de 14 à 20 %, car l’ONCF investit des milliards de dirhams à un taux de 20 %. Cela nous permettra de stabiliser le buttoir de cet Office, qui s’élève à un peu plus de 2 milliards de dirhams. Cette augmentation de TVA ne va générer aucune recette supplémentaire pour l’État. Comme l’Office investit, il déduit. C’est juste une question de trésorerie.

Comment comptez-vous rembourser ces arriérés?

Une réflexion est menée dans ce sens. Un projet de convention est presque prêt, que nous envisageons de signer avec l’ONCF dans les prochains jours. L’idée est de permettre à l’Office de lever de la dette sur une longue période et de rembourser grâce aux fonds constitués par le buttoir TVA.

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