La part proéminente des achats du Maroc dans le record des exportations d’armes d’Israël

Signés respectivement en novembre 2021 et en mars 2022, deux accords militaires ont définitivement scellé l'alliance militaire entre le Maroc et Israël. Cela se ressent dans la part de plus en plus proéminente des acquisitions d'armes du royaume auprès de l'Etat hébreu, qui affole les calculettes.

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Le système de défense aérienne et antimissile Barak MX. Crédit: IAI

En vingt ans, jamais un tel record n’a été enregistré dans les livres de commandes de l’industrie de la défense en Israël. Portés par la vague de normalisation des relations diplomatiques de l’État hébreu avec plusieurs pays arabes, les armuriers israéliens ont exporté un total de 11,2 milliards de dollars d’armes à travers le monde en 2021.

Loin des gros acheteurs situés en Europe et en Asie Pacifique qui se taillent respectivement 41 et 34% de cette performance à deux chiffres, les pays signataires des Accords d’Abraham, les Émirats arabes unis, Bahreïn ou encore le Maroc ont passé commande pour 826 millions de dollars (soit 7%) à des armuriers israéliens au cours de l’année écoulée.

Drones, missiles, cyberguerre…

Rien que pour l’année 2021, les registres du ministère israélien de la Défense mentionnent un total de 120 contrats de vente d’armes à travers le monde, parmi lesquelles des méga-contrats d’une valeur supérieure ou égale à 1 milliard de dollars. Cela représente une hausse de 30% par rapport à 2020 où les exportations d’armes se sont chiffrées à 8,3 milliards de dollars, selon les chiffres dévoilés cette semaine par la Direction de la coopération internationale, l’unité chargée de superviser les exportations militaires au ministère de la Défense.

Les équipements sortis des usines militaires israéliennes pour rejoindre les arsenaux étrangers vont des drones aux missiles en passant par des systèmes de défense aérienne, de radars ou guerre électronique, de matériels destinés à la cyberguerre ou encore des équipements destinés aux troupes (munitions, tenues de combat, véhicules de transport des blessés).

Si la normalisation des relations politiques et diplomatiques a ouvert l’opportunité d’autres marchés pour l’industrie israélienne de la défense, les pays signataires de cette normalisation entendent bien tirer parti de la position de 10ème exportateur mondial d’armes et 2ème producteur de drones dans le monde. Et le Maroc serait en pole-position pour se tailler la part du lion dans les emplettes.

Friand d’équipements militaires israéliens bien avant la normalisation, le Maroc avait intégré plusieurs systèmes de défense en provenance d’Israël durant la période des relations secrètes entre le royaume chérifien et l’État hébreu (1993-2020). Depuis la normalisation, Rabat a officialisé ses relations militaires avec Tel-Aviv avec la signature le 24 novembre 2021 d’un protocole d’accord de défense. Ce dernier comprenait « la réglementation de la coopération en matière de renseignement, les achats d’armes, la formation conjointe et les liens étroits entre les deux industries« .

Pour solidifier leurs relations militaires, une délégation militaire israélienne a discrètement effectué le 25 mars 2022, sa première visite au Maroc, peu avant le sommet du Néguev. Après une série de réunions avec l’Inspecteur général des Forces armées royales (FAR) Belkhir El Farouk, un deuxième mémorandum de coopération militaire a été signé entre les deux pays pour faciliter la mise en place de commissions mixtes militaires, d’exercices d’interopérabilité entre les FAR et Tsahal (l’armée israélienne), la participation à des exercices internationaux et la vente d’armes.

Modernisation de l’armée

Sur ce dernier volet, le Maroc a fait culminer son budget militaire à 50,3 milliards de dirhams (5 milliards de dollars) en 2022 afin de financer un vaste programme mis en œuvre depuis 2012, pour la modernisation de son armée par le renforcement de l’effectif des troupes et l’arsenal militaire. Apprécié pour la livraison de systèmes avec un rapport qualité/prix et une efficacité réputés, Israël est devenu un des principaux fournisseurs de technologie militaire de pointe du Maroc.

Cela s’est particulièrement vérifié au cours de l’année 2021. Lors de la signature du premier accord militaire en novembre 2021, le ministre marocain de la Défense Abdellatif Loudiyi avait glissé à Benny Gantz son homologue israélien, une wish-list d’équipements militaires que le royaume souhaitait acquérir auprès d’Israël. Destinées à être actualisée au gré des négociations, de l’évaluation des besoins et des autorisations nécessaires à leur exportation, les livraisons n’allaient pas tarder à remplir l’arsenal des Forces armées royales (FAR).

C’est ainsi qu’Israel Aerospace Industries (AI), parmi le trio de tête des équipementiers israéliens, avait fourni au Maroc le Barak MX, un système de défense aérienne capable d’intercepter des missiles de courte, moyenne et longue portée. D’un montant de 560 millions de dollars, le deal aurait été ficelé en marge de l’accord de la fin novembre 2021. Au lendemain de la signature de cet accord, la presse spécialisée avait révélé que le Maroc avait acquis au prix catalogue compris entre 900.000 dollars à 4,5 millions de dollars (toutes options), le Skylock Dome. Ce bouclier israélien capable de détecter, identifier, neutraliser ou détruire tout drone malveillant est conçu par Skylock Systems, filiale d’Avnon Group, un autre industriel militaire israélien.

Renforcer le hard-power

Par ailleurs, au troisième trimestre 2021, le Maroc s’était acquitté de ses deux tranches d’un versement total de 22 millions de dollars destiné à l’acquisition de drones kamikazes Harop, un dispositif capable de voler seul intégrant une technologie de précision de frappe, développé par l’AI. Cette société semi-publique présidée par Amir Peretz, ancien ministre israélien de la Défense d’origine marocaine, envisage d’implanter, au Maroc, une usine d’assemblage de drones et de production de munitions à vocation locale et exportatrice. 

Secrètement venu au Maroc à plusieurs reprises, Amir Peretz avait entamé des discussions avec des partenaires marocains. Pour préparer l’écosystème qui devra concrétiser ce projet industriel, un mémorandum d’entente (MoU) dans le secteur de l’industrie aéronautique a été signé le 23 mars dernier à Rabat, entre le ministère de l’Industrie et du Commerce et Aerospace Industries (AI). 

D’un autre côté, en prévision d’une possible guerre électronique, le royaume devrait aussi profiter du savoir technologique israélien en termes de drones et de R&D militaire. Dans la foulée, des équipements de protection, des outillages d’artillerie, et des dispositifs de précision des tirs de l’aviation marocaine en provenance d’Israël pourraient renforcer le hard-power du Maroc et creuser son avance technologique.