Malika Lahnait : “La fermeture brutale des frontières aura un impact extrêmement négatif sur le tourisme”

Avec la fermeture totale des frontières du Maroc pour deux semaines, le tourisme est confronté à la délicate épreuve du variant Omicron. Avocate au barreau de Paris et spécialiste du droit du transport aérien et du tourisme, Me Malika Lahnait analyse pour TelQuel l’espoir d’une reprise du secteur à l’approche des fêtes de fin d’année.

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Malika Lahnaït, spécialiste en droit du transport aérien et tourisme. Crédit: DR

TelQuel : Pour éviter l’entrée du variant Omicron, le Maroc a fermé ses frontières. Quel impact sur le tourisme ?

Me Malika Lahnait : Se barricader pour retarder l’importation du nouveau variant n’est pas une décision dénuée de lourdes conséquences. Pareille décision n’est adoptée par les autorités qu’en ultime recours pour éviter un péril grave et imminent.

Il est évident que la fermeture brutale des frontières consécutive à l’apparition du variant Omicron aura un impact extrêmement négatif sur le tourisme tant au Maroc que dans bon nombre d’autres destinations, au moment où cette industrie amorçait enfin une reprise tant attendue. Après deux ans de crise d’une ampleur inédite, l’industrie touristique n’avait en effet nul besoin de faire face à une telle nouvelle vague de Covid-19 qui contraint de nombreux pays à restreindre les voyages.

“Si les pays se barricadent les uns après les autres, ce qui d’ailleurs ne changera rien, on sera repartis pour une belle crise”

Malika Lahnaït

L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) alerte sur la propagation du variant Omicron qui rend la situation “totalement imprévisible” et pourrait de nouveau provoquer “d’énormes dégâts”. Le secteur du tourisme perdra déjà 2000 milliards de dollars en 2021 (soit autant qu’en 2020) du fait des restrictions liées à la crise sanitaire.

Aussi, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les interdictions de voyager ne vont pas empêcher la propagation du nouveau variant Omicron. Ces interdictions “font peser une lourde charge sur les vies et les moyens de subsistance” et peuvent dissuader les pays de “signaler et de partager les données épidémiologiques”.

Face à la propagation rapide de ce nouveau variant, l’OMS préfère recommander aux personnes vulnérables et aux personnes âgées de 60 ans et plus de reporter leurs voyages plutôt que d’encourager une fermeture de toutes les frontières.

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Si les pays se barricadent les uns après les autres, ce qui d’ailleurs ne changera rien, on sera repartis pour une belle crise. Le principe de précaution appliqué à l’extrême par certains États qui referment leurs frontières engendrera inéluctablement la frilosité et la désaffection des touristes.

Plutôt que de refermer totalement leurs frontières, de nombreux États, à l’instar de la France, ont choisi d’interdire de façon temporaire l’accès à leur territoire aux étrangers provenant de pays où le nouveau variant circule de façon très inquiétante : il s’agit de sept pays d’Afrique australe, de l’île Maurice, de la Zambie et du Malawi. Seuls les Européens pourront accéder à la France en provenance de ces 10 pays, ils seront tous testés à leur arrivée.

Il n’est point exclu que le Maroc adopte très prochainement pareille stratégie en lieu et place d’une fermeture drastique de ses frontières imposée pour des raisons de santé publique.

Cette fermeture est pour le moment temporaire (jusqu’au 13 décembre). Peut-on garder espoir pour encore sauver les arrivées de touristes étrangers pour les fêtes de fin d’année ?

La reprise de l’activité touristique a été très forte dès l’été 2021. Les réservations pour les vacances de fin d’année étaient excellentes. La fermeture des frontières marocaines, bien que temporaire, a cependant entraîné une chute brutale des réservations, outre une annulation des séjours déjà programmés alors que le Maroc est une destination très prisée pour la période des fêtes de fin d’année.

“Pour apaiser la crainte des touristes de se retrouver bloqués à l’étranger et ainsi sauver la saison hiver, les autorités marocaines devront communiquer afin de rassurer au maximum”

Malika Lahnaït

Les images de touristes étrangers contraints d’écourter leurs vacances et de trouver des solutions de dernière minute pour regagner leurs pays au plus vite après l’annonce de la fermeture des frontières au Maroc dissuadent ceux qui programmaient de se rendre au Maroc dans les semaines qui viennent de crainte d’être eux aussi confrontés à la même situation.

Les annulations vers les pays qui ont fermé leurs frontières se font sentir sur l’intégralité de la période d’ici au 31 décembre. La période de Noël, qui est la plus importante, se voit donc frappée de plein fouet par ces annulations, comme le déplorent les professionnels du voyage.

Des passagers attendant leur vol à l’aéroport de Marrakech, le 15 mars 2020.Crédit: AFP

Pour apaiser la crainte des touristes de se retrouver bloqués à l’étranger et ainsi sauver la saison hivernale, les autorités marocaines devront communiquer afin de rassurer au maximum tant les touristes dans les pays émetteurs que les professionnels du voyage qui ne souhaitent plus avoir à gérer des difficultés et annulations de voyage consécutives à une fermeture brutale des frontières.

L’envie de (re)découvrir le Maroc est manifestement là, mais les touristes souhaitent voyager en toute sérénité.

Y a-t-il des pistes pour mettre le tourisme au Maroc sur les rails de la reprise ?

Pour renforcer la reprise du tourisme, il nous faut rassurer, rassurer, et encore rassurer les touristes. Cela implique de communiquer encore plus sur l’avancée de la politique vaccinale dans le pays, sur les protocoles sanitaires mis en place, ceux-ci pouvant utilement varier en fonction du pays d’origine des touristes.

Les mesures doivent en outre être adoptées en concertation avec les professionnels du tourisme. L’État doit aussi maintenir et faire évoluer les dispositifs d’accompagnement et d’aide aux entreprises du tourisme qui sont frappées de plein fouet par la crise sanitaire. Ces dispositifs d’aide devront être régulièrement mis à jour et adaptés à l’évolution du contexte sanitaire.

La place Jemaa El Fna à Marrakech, le 8 septembre 2020.Crédit: Fadel Senna / AFP

La crise sanitaire a eu un effet cataclysmique sur le secteur du tourisme à l’échelle mondiale, nul n’a été préservé. Des réflexions ont été initiées sur le tourisme du “monde d’après”, dont chacun espère qu’il sera meilleur et qu’il prendra en compte les enjeux environnementaux et climatiques.

La Déclaration de Glasgow sur l’action climatique dans le tourisme, initiative de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), a été présentée lors de la COP26, le 4 novembre 2021, permettant à certaines des plus grandes entreprises touristiques de s’engager, aux côtés des gouvernements et des destinations, à réduire les émissions de moitié d’ici 2030 et à parvenir à zéro émission nette au plus tard d’ici 2050.

L’industrie du tourisme dans toutes ses composantes entend ainsi montrer qu’elle veut passer au vert. La Déclaration de Glasgow affiche plus de 300 signataires, dont de grands acteurs de l’industrie (Accor, Iberostar…), des destinations (Panama, l’Écosse…), des associations (AITO, Pacific Tourism Organization…) et de nombreux opérateurs du transport aérien.

De son côté, le Maroc a signé trois engagements dans les domaines du transport aérien, de l’automobile et du maritime. La compagnie nationale Royal Air Maroc n’a pas manqué de faire part de son engagement à atteindre zéro émission carbone d’ici l’échéance 2050.

L’ensemble des opérateurs du tourisme au Maroc doivent poursuivre leur introspection, s’engager et communiquer sur les actions concrètes qu’ils auront mises en place afin d’atteindre l’objectif d’un tourisme durable et responsable. La crise sanitaire doit ainsi servir de déclencheur de changement. Les touristes ne manqueront alors pas de répondre présents. Car, comme le disait Gustave Nadaud, “rester, c’est exister, voyager, c’est vivre”.