Nouveau bras de fer sur les réseaux sociaux autour de l’article 490, relatif aux relations sexuelles hors mariage

Suite à la campagne de solidarité avec la victime de l’affaire “Moulat El Khimar” organisée par le collectif Hors-la-loi, appelant à une abrogation de l’article 490 qui pénalise les relations sexuelles hors mariage, une contre-mobilisation est née sur les réseaux sociaux sous le hashtag #KEEP490. À l’image de l’opinion publique et de la réalité sociale, la Toile se divise à nouveau sur la question des libertés individuelles.

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Sur les réseaux sociaux, le hashtag lancé par le collectif Hors-la-loi, dénonçant l'article 490 du Code pénal, a vite été concurrencé par #KEEP490. Crédit: Fadel Senna / AFP

Dans l’après-midi du jeudi 4 février, deux hashtags antagonistes occupaient les deux premiers rangs du classement des tendances (trends) sur Twitter au Maroc : le premier, #STOP490, comptabilisant jusqu’à présent plus de 3400 tweets, suivi de #KEEP490, avec plus de 2900 tweets. L’article de loi en question punit “de l’emprisonnement d’un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles”.

Derrière cette mobilisation digitale, une campagne lancée le mercredi 3 février par le collectif Hors-la-loi (Moroccan Outlaws), en soutien à Hanaa, victime de vengeance pornographique, dans l’affaire “Moulat El Khimar”.

Déflagration

Mercredi, le collectif appelait les internautes à travers un communiqué de presse à partager le hashtag #STOP490 sur fond rouge, symbole de leur participation à un sit-in digital organisé par les Hors-la-loi. Celui-ci ne pouvait se dérouler dans des conditions traditionnelles, en raison de la situation épidémiologique et des restrictions sanitaires. “Nous lançons un appel, tout·e·s ensemble, à l’abrogation pure et simple de l’article 490 du Code pénal, afin d’en finir avec le sexisme systématique des institutions publiques et la mentalité patriarcale qui sévit dans notre pays”, pouvait-on lire sur le communiqué du collectif.

“Je trouve formidable qu’en période de crise sanitaire, on arrive tout de même à mettre ce sujet au centre du débat”

Sonia Terrab, collectif Moroccan Outlaws

Dans la journée, les fils d’actualité Twitter, Facebook et Instagram ont été inondés de rouge et de hashtags : citoyens, artistes, intellectuels, militants et même quelques politiques, tels que les députés Omar Balafrej, ont répondu à l’appel, et tenu à exprimer leur solidarité à Hanaa. Selon les statistiques Instagram du compte @moroccanoutlaws, le compte officiel du collectif Hors-la-loi, le hashtag #MoroccanOutlaws aurait été partagé plus d’un million de fois sur le réseau.

Publiée par Omar Balafrej sur Mercredi 3 février 2021

“Nous sommes très heureux et émus de voir autant de gens partager le STOP#490. C’est le fruit d’un long travail de présence et de sensibilisation sur les réseaux sociaux”, déclare Sonia Terrab à TelQuel, cofondatrice du collectif à l’initiative du sit-in digital. “Cet impact est la preuve que le débat mérite d’exister et qu’il a sa place dans l’espace public. Cette fois, l’ampleur de la mobilisation a même été plus grande que celle du manifeste : ça veut dire qu’on est sur le bon chemin.”

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Sonia Terrab précise que Moroccan Outlaws compte à présent se concentrer sur des actions politiques et judiciaires plus concrètes avec, en priorité, le manifeste et la pétition qui avaient été lancés à la création du collectif en 2019. Le manifeste regroupait la signature de 490 personnalités publiques en faveur des libertés individuelles, ainsi que celles de près de 15.000 citoyens. Par voie de démocratie participative, le collectif va notamment travailler sur une campagne plus intense, afin d’atteindre la barre des 5000 signatures légalisées nécessaires au dépôt d’une pétition citoyenne au Parlement. Actuellement, la pétition compte 2500 signataires.

Les conservateurs voient rouge

Le débat autour de l’abrogation de l’article 490 du Code pénal, qui punit les relations sexuelles hors mariage, est de nouveau mis sur la table. Dans la journée du jeudi, tandis que la campagne du collectif battait encore son plein sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes se sont mobilisés pour lancer une contre-mobilisation appelant à la préservation de l’article 490, sous le hashtag #KEEP490. En quelques heures seulement, la compétition digitale entre les deux hashtags a pu illustrer la controverse et le tiraillement de l’opinion publique autour des libertés individuelles.

“#KEEP490 ou foutez le camp du pays”

Un internaute sur Twitter

Le hashtag #KEEP490 a principalement été accompagné d’arguments conservateurs, mettant en avant la religion et les lois musulmanes qui interdisent les relations hors mariage. “#KEEP490 ou foutez le camp du pays”, tweetait un internaute, dans l’idée que la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage relèverait d’une culture occidentale.

“Les #KEEP490 (…) Pour vouloir incriminer une femme pour avoir fait l’amour et faire les saints sur les réseaux, là vous êtes vifs, mais pour ne pas mater les filles et littéralement appliquer ces règles à soi-même, il n’y a plus personne”, lançait une internaute sur Twitter. #KEEP490 le Maroc est un pays musulman fondamentaliste, nous tenons à nos lois et coutumes qui font notre identité. C’est irrévocable”, rétorquait une autre.

Pour Sonia Terrab, la contre-mobilisation sous le signe #KEEP490 est bon signe. “Je pense que c’est bien d’avoir un contre-débat : c’est une réponse normale, qui prouve qu’on est dans le vrai, et qu’on est devenu une vraie force d’opposition par rapport aux conservateurs, ceux qui sont dans le statu quo et qui veulent que rien ne change”, défend-elle à TelQuel de l’autre bout du fil. “Le fait qu’ils aient eu besoin de créer une contre-attaque nous conforte dans notre position, et nous montre à quel point on peut secouer les choses. Je trouve formidable qu’en période de crise sanitaire, on arrive tout de même à mettre ce sujet au centre du débat.”

Silence politique

Pour rappel, le projet de réforme du Code pénal avait été déposé au Parlement le 24 juin 2016 par Mustapha Ramid, à l’époque ministre PJDiste de la Justice. Depuis, le projet stagne et n’a toujours pas été adopté par la commission de justice, de législation et des droits de l’Homme. Pour autant, le projet de réforme ne concerne pas l’article 490, mais les volets du Code pénal relatifs à l’enrichissement illicite ainsi qu’à l’avortement. Si les politiques n’ont pas manqué de dénoncer à plusieurs reprises le retard pris quant à la reforme du Code pénal, rares sont ceux qui ont pris part au débat qui agitait les réseaux sociaux le 4 février.

“Les intérêts et priorités des Marocains sont clairs : la santé, l’emploi, l’éducation et l’amélioration du système de services… Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin d’ouvrir des pseudo débats”, a tweeté la députée PAM Ibtissame Azzaoui en réaction au tiraillement de la Toile. Sans donner d’avis explicite sur la question, la députée estime néanmoins que les débats relatifs aux libertés individuelles de chacun ne constituent pas une priorité.

De son côté, la théologienne Asma Lamrabet a profité du débat pour réitérer son soutien ainsi que son engagement auprès des causes relatives aux libertés individuelles. “L’islam en tant que religion interdit les relations sexuelles en dehors du cadre du mariage, comme d’ailleurs les autres religions monothéistes. Avoir des relations sexuelles en dehors du mariage est moralement interdit, mais au sein d’une société, cet acte pratiqué entre adultes et en privé ne peut être pénalisé, car il est du ressort des convictions morales de tout un chacun. S’immiscer dans la vie privée des gens et dans leur intimité est contraire à l’islam qui conditionne toute accusation du genre en la rendant impossible à démontrer”, écrit-elle dans un statut Facebook.

L’islam en tant que religion interdit les relations sexuelles en dehors du cadre du mariage comme d’ailleurs les autres…

Publiée par Asma Lamrabet sur Vendredi 5 février 2021

“La loi du Code pénal marocain 490 qui aujourd’hui criminalise les relations sexuelles hors mariage est en contradiction avec l’éthique musulmane et avec l’éthique tout court. Elle est inacceptable au sein du Maroc d’aujourd’hui”, conclut la théologienne, répondant ainsi aux arguments selon lesquels islam et dépénalisation de l’article 490 seraient incompatibles.