L’ancien président français Giscard d’Estaing est mort du Covid-19

Le troisième président de la Ve République Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), qui modernisa dans les années 1970 la vie politique avant de voir son mandat fracassé par la crise économique, est mort mercredi soir du Covid-19, entouré des siens dans sa propriété, à l’âge de 94 ans.

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Valéry Giscard d'Estaing. Crédit: Flickr

Son état de santé s’était dégradé et il est décédé des suites du Covid-19”, a indiqué sa famille dans un communiqué transmis à l’AFP, en précisant que ses obsèques se dérouleront “dans la plus stricte intimité familiale”. Dans la nuit, son lointain successeur Emmanuel Macron a rendu hommage dans un communiqué à la mémoire d’un chef d’État dont “le septennat transforma la France”.

Les orientations qu’il avait données à la France guident encore nos pas. Serviteur de l’État, homme politique de progrès et de liberté, sa mort est un deuil pour la nation française”, a ajouté Emmanuel Macron.

“Homme de progrès et de liberté”

Le Premier ministre Jean Castex a salué jeudi matin “un homme de progrès” et de “liberté”, dont “les réformes de société restent d’une profonde actualité”. Outre une “politique économique et sociale marquée par le volontarisme et la solidarité”, il fit “progresser de façon significative la construction européenne et le rayonnement international de la France”.

“Il a fait souffler un grand vent de modernité sur la société française et fait naître un immense espoir de dépassement et de rassemblement”

François Bayrou

Le président du Sénat Gérard Larcher a salué chez VGE un président “réformateur” qui avait selon lui, à la différence d’Emmanuel Macron, souvent vu comme son héritier, une “vision”, notamment “européenne”. “Un modernisateur et un Européen convaincu”, a aussi salué le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius.

Hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers mois pour des problèmes cardiaques, l’une des dernières apparitions publiques de “VGE” remontait au 30 septembre 2019, lors des obsèques à Paris de Jacques Chirac, qui fut à la fois son Premier ministre et son successeur indirect à la tête de l’État.

Figure de la vie politique française, incarnation du centre droit et tombeur du gaullisme, M. Giscard d’Estaing avait été élu à l’Élysée en mai 1974 à l’âge de 48 ans, alors le plus jeune président depuis Louis Napoléon-Bonaparte.

Pour des générations entières, notamment pour ceux qui se sont engagés auprès de lui dans leur jeunesse, il a fait souffler un grand vent de modernité sur la société française et fait naître un immense espoir de dépassement et de rassemblement”, a réagi auprès de l’AFP François Bayrou, qui fit avec lui ses premiers pas en politique et qui fut son successeur à la tête du parti UDF. “Il reste l’immense souvenir d’intelligence et de rires partagés, en même temps qu’une grande nostalgie”, a-t-il ajouté.

“Le choix de l’ouverture au monde”

L’Assemblée et le Sénat, qui siégeaient au moment de l’annonce de son décès, ont observé une minute de silence. Deux de ses successeurs à l’Élysée lui ont également rendu hommage : Nicolas Sarkozy a salué “un homme qui a fait honneur à la France, un homme pour qui j’ai éprouvé de l’admiration et avec qui j’ai toujours eu plaisir à débattre”, tandis que François Hollande a regretté que la France perde “un homme d’État qui a fait le choix de l’ouverture au monde”, voyant dans VGE un président “résolument européen”, mais qui n’a “pas toujours été compris”.

Né à Coblence (Allemagne) en 1926, Valéry Giscard d’Estaing, pur produit de l’élite française, diplômé de Polytechnique et de l’ENA, s’est imposé dans le paysage politique dès les débuts de la Ve République en occupant différents postes ministériels à partir de 1962.

C’est pourtant en opposition au gaullisme qu’il parvient à conquérir l’Élysée en 1974, en s’imposant d’abord à droite face à Jacques Chaban-Delmas, héritier revendiqué du général de Gaulle, puis en battant sur le fil le candidat socialiste François Mitterrand.

Celui qui ambitionne de réunir “deux Français sur trois” derrière sa politique multiplie les réformes sociétales : abaissement de la majorité à 18 ans, légalisation de l’IVG ou création d’un secrétariat d’État à la Condition féminine, confié à la journaliste Françoise Giroud.

Giscard impose également un style nouveau, qui entend alléger la pompe présidentielle, au risque de nourrir les procès en démagogie lorsqu’il s’invite à dîner chez les Français ou joue de l’accordéon. Mais c’est surtout la deuxième moitié de son septennat, plombée par la crise économique et sociale née des chocs pétroliers, et marquée par le soupçon des affaires — celle des “diamants de Bokassa” a entaché durablement son image — qui donne du souffle à ses contempteurs.

“Au revoir”

Le 10 mai 1981, il échoue finalement à se faire réélire président de la République, en s’inclinant face à François Mitterrand. “Je n’avais jamais imaginé la défaite”, confiera-t-il plus tard.

Après son départ resté dans les mémoires — il lance un “au revoir” et laisse une chaise vide lors d’une ultime allocution télévisée — Valéry Giscard d’Estaing, alors seul ex-président en vie, traverse une profonde dépression. “Ce que je ressens, ce n’est pas de l’humiliation, mais quelque chose de plus sévère : la frustration de l’œuvre inachevée”, écrit-il en 2006 dans Le pouvoir et la vie.

Il redevient malgré tout l’un des leaders de la droite en dirigeant à nouveau son parti, l’UDF. Mais, certain de la réélection de François Mitterrand, il ne concourt pas à la présidentielle de 1988. Sept ans plus tard, crédité de 2 % dans les études d’opinion, il renonce à nouveau. Peu de temps avant sa mort, il se disait pourtant persuadé que, s’il s’était présenté, il aurait gagné contre Balladur et Chirac.

À partir de la deuxième moitié des années 90, Giscard et le giscardisme disparaissent peu à peu du paysage politique. L’ancien président de la France, Européen convaincu, poursuit pourtant un ultime but : devenir président de l’Europe. En 2001, il prend la tête de la Convention pour l’Europe, chargée de rédiger une constitution européenne, qui sera rejetée par référendum (55 % de non). L’ex-chef de l’État était toutefois parvenu à devenir “immortel” : en 2003, il s’était fait élire à l’Académie française.