Les mémoires de Youssoufi : l’adolescent résistant (épisode 2/7)

Son enfance, ses combats, Ben Barka, Bouabid, Omar Benjelloun, Hassan II et Mohammed VI… le Premier ministre de l’Alternance revient sur des épisodes et des acteurs de l’histoire du Maroc dans un livre-événement.

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© Rachid Tniouini / TelQuel
© Rachid Tniouini / TelQuel

Obtenir le certificat d’études primaires à la fin des années 1930 relevait de l’exploit, d’autant qu’il ouvrait la voie à la fonction publique, puisque les élèves qui décrochaient ce certificat avaient la vingtaine dans leur majorité. Ceux, comme moi, âgés d’à peine 14 ans, constituaient une minorité.

C’est ainsi que je me suis retrouvé, à un âge précoce, à faire seul le voyage de Tanger à Marrakech afin de poursuivre mes études secondaires. Avant cela, j’avais à surmonter plusieurs entraves administratives, comme l’obtention d’un passeport et d’un visa délivré par le consulat général espagnol à Tanger, afin de pouvoir traverser la région du nord sous contrôle de l’Espagne.

Archive : article paru dans le numéro 801 de TelQuel publié le 8 mars 2018

Il me fallait aussi un deuxième visa du consulat général français afin de pouvoir traverser les régions du sud, sous contrôle français. Lors de mon voyage, j’ai été contraint de présenter mon passeport, à quatre guichets aux points de contrôle, afin de le faire tamponner par la police.

Les douaniers ont inspecté à quatre reprises mes valises. Malgré mon jeune âge, j’avais le sentiment d’être humilié en subissant ces contrôles répétitifs par des étrangers, de manière autoritaire qui plus est.

J’ai commencé à m’interroger sur ces restrictions que je subissais alors que mon seul objectif était de me rendre à Marrakech pour poursuivre mes études secondaires, dans mon pays, ma patrie. Je me posais des questions aussi sur le partage du Maroc entre deux puissances étrangères.

Bien entendu, à 14 ans, je ne pouvais pas encore trouver de réponses précises à mes interrogations, mais elles ont continué à me hanter. Au fur et à mesure que ma conscience s’aiguisait, j’ai commencé à y voir plus clair à propos de l’intégrité de notre pays, de la liberté de circulation, du droit à l’éducation et, enfin, du droit de résister et de la nécessaire lutte contre les exactions. Cela passait par la protestation, la grève, puis la résistance.


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Ben Barka, le mentor

Je suis revenu à Rabat pour finir mes études secondaires en vue de l’obtention du baccalauréat au lycée Moulay Youssef. Mehdi Ben Barka était à cette époque un des jeunes cadres du Mouvement national et enseignait les mathématiques au lycée Gouraud. Il enseignait la même matière au collège royal, où étudiaient le prince Moulay El Hassan et ses amis. Ben Barka, qui nous rendait visite parfois, nous a influencés à travers ses actions et son dynamisme sans relâche.

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Nous avons assisté à sa candidature à la tête de l’association des “Anciens du lycée Moulay Youssef” face à son concurrent Rachid Mouline. Ce dernier symbolisait les traditions makhzéniennes et bourgeoises de Rabat, tandis que Mehdi Ben Barka était le symbole d’une nouvelle génération de nationalistes issus de milieux populaires, d’autant qu’il représentait la nouvelle direction du Mouvement national.

Mehdi Ben Barka, qui a au final remporté cette élection, a constitué un réseau tentaculaire formé par la jeune génération, attirant plusieurs cadres qu’il incitait à s’engager dans l’action politique.

Il diffusait les idées modernistes dans leurs rangs, les incitant à se libérer. Je faisais partie, en 1943, de ces jeunes qu’invitait Ben Barka au domicile de sa mère, situé au quartier de Legza à Rabat. Il y exposait ses idées et ses stratégies politiques. Mon attention a été particulièrement attirée par sa manière de travailler dans la maison de sa mère.

La demeure comportait deux étages, chaque étage comprenant trois pièces. Mehdi avait convié cinq groupes de jeunes qu’il avait répartis dans des pièces différentes. Il se réunissait tour à tour avec chacun de ces groupes, discutant avec beaucoup d’entrain de nombreux sujets. Il faisait un exposé à l’un des groupes tout en servant du thé à un autre. Et ainsi de suite.

Cet homme nous a énormément marqués par son sens de l’organisation, son dynamisme, son sens du dialogue et son aptitude à questionner. Nous étions émerveillés devant tant d’énergie et d’esprit. Lorsqu’il remarquait qu’il avait touché ses interlocuteurs, il passait à la vitesse supérieure en les incitant à s’engager davantage dans la cause nationaliste.

Cette étape était couronnée par un serment prêté sur le Saint Coran. En décembre 1943, j’ai moi-même prêté serment avec un groupe de camarades du lycée Moulay Youssef, ce qui correspondait à un acte d’adhésion au Parti de l’Istiqlal.

Nous jurions fidélité à la religion, à la patrie, au roi et de ne jamais révéler les secrets du parti et des organisations nationalistes. Un mois après mon serment, en janvier 1944, a eu lieu la présentation du Manifeste de l’Indépendance.

Sous l’œil de Maradji
Maradji YoussoufiConnaissance de longue date d’Abderrahmane Youssoufi, Mohamed Maradji a couvert en tant que photographe indépendant les activités politiques et syndicales de la gauche marocaine. Durant cette époque pleine d’effervescence, il a saisi pour la postérité des clichés du futur Premier ministre de l’Alternance lors du lancement du journal Attahrir, de la création de l’UNFP et autres évènements devenus historiques où Youssoufi était aux côtés de Mehdi Ben Barka et Abderrahim Bouabid. Mohamed Maradji, dont certaines photos illustrent l’ouvrage de Mbarek Bouderka, exposera ces instantanés le 8 mars au théâtre Mohammed V de Rabat en présence de Abderrahmane Youssoufi qui présentera ses mémoires le jour d’une date symbole, celle de son anniversaire.[/encadre]

 

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