Chronique d’un confinement. Jour 19

Confinée dans son appartement parisien, notre chroniqueuse Fatym Layachi nous fait le récit quotidien d’une vie entre quatre murs.

Par

Jour 19. Tout semble baigné dans le silence, dans la lumière et dans la peur.

Samedi 4 avril

Jour 19

Ces trois derniers jours, j’ai dû me rendre physiquement au travail. Depuis le début du confinement, je ne sors que lorsque c’est vraiment indispensable.

Le monde du dehors m’angoisse. Je ne suis jamais sereine dehors alors je ne sors que pour acheter des choses nécessaires et tout près de chez moi. Je ne suis jamais sortie faire un tour, m’aérer ou pour aller courir. Je regrette suffisamment mon inconscience des jours d’avant.

Pendant les 14 premiers jours du confinement, mon obsession était de penser au nombre éventuel de gens que j’ai peut-être contaminés par mon inconscience des jours d’avant. Donc je ne sors pas beaucoup et surtout je ne sors jamais très loin.

Mais là j’ai dû traverser Paris. Cette ville, j’y vis depuis longtemps et je l’arpente beaucoup à pied. Alors je pensais la connaître. Mais le spectacle des derniers jours a été absolument saisissant. Il y a quelque chose de presque surréaliste. Tout semble baigné dans le silence, dans la lumière et dans la peur. Je crois qu’on ne verra plus jamais Paris comme ça.

Les rues sont vides. On entend les oiseaux. J’ai traversé Paris et elle n’a plus le même visage. J’ai traversé la Seine aussi. Sa couleur a changé. Les quais sont vides. Les rues sont inanimées. Les devantures baissées. Les affiches des spectacles ont été retirées. Les colonnes Morris affichent de jolis dessins de façades d’immeuble. Les publicités ont disparu des abribus. Remplacées par des affiches pour remercier les soignants. La ville est pleine de ce mot : merci.

J’ai vu des gens s’arrêter pour remercier les éboueurs, d’autres avec les facteurs. J’ai vu une femme les yeux humides en remerciant une caissière. Je réapprends à quel point certains mots, certains gestes, certains sourires peuvent être touchants.

Les autres, les gens font peur. On a peur à la fois d’eux et peur pour eux. Peur d’être contaminant ou d’être contaminé. Les gens font peur mais rassurent aussi d’une certaine manière. À chaque fois qu’on voit quelqu’un de loin, on change de trottoir. On s’éloigne. On se sourit et se dit bonjour.

Comme si la distanciation physique nous avait rapproché un peu. Jamais je n’aurais pu imaginer saluer autant d’inconnus. Jamais je n’aurais pu imaginer les Parisiens se regarder, se sourire. Sans raison. Je ne sais pas si on rêvera Paris comme ça un jour.