Le coronavirus prend à la gorge les travailleurs précaires du Maghreb

Quand la planète tente de lutter contre le coronavirus, certaines personnes et zones du monde sont plus exposées que d’autres. C’est le cas du Maghreb où le coronavirus met fortement à mal des populations de travailleurs œuvrant dans l’informel.

Par

Les gardiens de voiture sont parmi les plus touchés par la crise. Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

C’est très dur”, “je ne sais pas comment on va faire” : au Maroc comme en Algérie ou en Tunisie, le nouveau coronavirus prend à la gorge des foules de travailleurs en grande majorité précaires, sans contrat ni protection sociale.

Travailleurs en première ligne

On est coincés chez nous, sans travail et sans solde, le patron nous a payé le mois de février et nous a dit qu’il ne payerait pas le mois de mars, mais on ne peut rien dire”, résume Hakim, jeune père de famille de 30 ans qui travaillait jusqu’à la semaine dernière comme serveur dans un bar-restaurant de Rabat.

Depuis l’annonce de mesures drastiques par Rabat, Alger et Tunis dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire décrété face à la pandémie, les rues désertes sont étroitement surveillées par des patrouilles de policiers et de militaires, les marchands de rue ont disparu, les petits commerces ont baissé le rideau…

Employés sans vrai contrat, au noir ou dans le secteur informel, de nombreux artisans, journaliers, vendeurs ambulants, coursiers, gardiens, femmes de ménage ou ouvriers du bâtiment s’inquiètent pour leur survie. Soit des millions de travailleurs, à l’échelle des trois pays, qui cumulent quelque 90 millions d’habitants.

Le Maroc, pays le plus inégalitaire

La situation est particulièrement critique au Maroc, pays marqué par de grandes inégalités, avec un taux d’activité très bas (moins de 50 %) et un taux d’emploi informel de 79,9 %, contre 63,3 % en Algérie ou 58,8 % en Tunisie, selon les chiffres publiés en 2018 par l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Il n’y a plus de clients. En même temps, les prix des légumes ont flambé”, peste Mohamed, un plombier père de trois enfants, qui travaille à son compte dans un quartier populaire de la capitale marocaine. “Je ne gagne plus rien”, déplore Abdelkebir, un sexagénaire de Mohammedia qui, comme des milliers de gardiens de voiture, vivait jusque-là des pourboires des automobilistes, désormais soumis à des permis de circuler distribués au compte-gouttes.

Un tank de l'armée marocaine dans une rue de Salé, ville voisine de la capitale Rabat, le 24 mars 2020 (AFP - FADEL SENNA)
Un tank de l’armée dans une rue de Salé, le 24 mars 2020. Fadel Senna/AFP

Face au risque social, un conseil économique spécial récemment formé au Maroc a déjà adopté des mesures d’aide pour les entreprises, des primes mensuelles de 2.000 dirhams (environ 190 euros) pour les salariés affiliés à la sécurité sociale qui perdent leur emploi, ainsi que, pour tous, des reports d’échéance pour les crédits à la consommation.

Et “des mesures d’accompagnement pour les quelque quatre millions de ménages du secteur informel sont en cours de discussion” pour un déploiement prochain, assure à l’AFP Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Économie. Le tout financé par le fonds de gestion de la pandémie, doté de plus de 25 milliards de dirhams (2,4 milliards d’euros), alimenté à la fois par l’État et par les dons d’entreprises ou de privés.

Les familles maghrébines dans la douleur

La Tunisie, qui peine à répondre aux attentes sociales de sa population une décennie après la révolution, avec une inflation de 7 % et un chômage de masse, a également annoncé un plan d’aide aux entreprises et particuliers d’un montant total de 2,5 milliards de dinars (plus de 800 millions d’euros), dont 150 millions de dinars (environ 50 millions d’euros) d’aide sous forme de prime aux plus démunis.

Une rue de Tunis déserte et les commerces fermés, le 24 mars 2020, dans le cadre des mesures décrétées par les autorités face à la propagation du nouveau coronavirus (AFP - FETHI BELAID)
Une rue de Tunis déserte et les commerces fermés, le 24 mars 2020, dans le cadre des mesures décrétées par les autorités face à la propagation du nouveau coronavirus. Fethi Belaid/AFP

Mais “cela prendra du temps, et c’est en deçà des besoins réels”, souligne Abdeljelil Bedoui, membre du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG locale. Selon lui, les listes de familles démunies “sont bien en deçà de la réalité”, d’autant que les travailleurs indépendants et précaires n’y figurent pas.

En Algérie, où l’informel représenterait entre 40 et 50 % du PIB, la situation s’est tendue depuis la fermeture des cafés et des restaurants, la suspension des transports en commun et le confinement partiel décrété lundi 23 mars au soir à Alger et dans la région de Blida, la plus touchée par la pandémie.

Une rue déserte à Alger le 20 mars 2020. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a ordonné un confinement partiel à Alger, et total dans la région de Blida, au sud de la capitale, la plus touchée par la pandémie de nouveau coronavirus qui a fait 17 morts dans le pays. (AFP - RYAD KRAMDI )
Une rue déserte à Alger le 20 mars 2020. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a ordonné un confinement partiel à Alger, et total dans la région de Blida, au sud de la capitale, la plus touchée par la pandémie de nouveau coronavirus. Ryad Kramdi/AFP

Des internautes avertissent que beaucoup ne pourront supporter “un jour sans travail, car ils n’ont ni salaires ni économies”. “Qui va nous faire manger, qui va nous faire vivre ? Nous n’avons même pas de quoi acheter des masques ou du gel pour nous protéger”, se plaint Zohra.

Cette mère de famille de 50 ans, qui élève quatre enfants avec un mari au chômage, vend du pain, du couscous, des gâteaux secs dans la rue à Alger et redoute de devoir cesser son activité. Hayet, une femme de ménage et aide à domicile pour des personnes âgées, “prie pour qu’on s’en sorte vivant et que cette maladie de malheur s’en aille vite pour pouvoir travailler de nouveau”.

Lundi 23 mars était son dernier jour de travail. Faute de transport, elle ne peut plus se rendre chez ses employeurs. L’Algérie est le plus touché des trois pays par la pandémie, avec 230 cas officiellement recensés, dont 17 décès et 65 rémissions, selon les chiffres disponibles ce mercredi 25 mars au matin.