Vers une pénurie de masques sanitaires au Maroc ?

Alors que la propagation du Covid-19 (coronavirus) se poursuit à travers le monde, la vente de masques de protection explose un peu partout, provoquant ruptures de stock et spéculations. Le Maroc n’est pas épargné.

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Des passagers munis de masques de protection arrivent à la gare de Pékin, le 24 janvier 2020. Crédit: AFP

Si le Maroc n’a jusqu’à présent enregistré aucun cas de contamination au coronavirus, la crainte provoquée par la progression rapide de l’épidémie au niveau mondial entraîne une rupture de stock des masques sanitaires dans les pharmacies.

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“Au début de l’épidémie, il y avait encore des masques, mais là il y a des ruptures au niveau de toutes les officines et le prix a doublé voire triplé. Il y a une vraie psychose autour de la question, et pas mal de spéculation”, indique à TelQuel Oualid Amri, président de la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc (FNSPM). “Est-ce de la faute des importateurs ? Des distributeurs ? Je ne sais pas mais le ministère de la Santé devrait taper du poing sur la table pour arrêter ces pratiques mafieuses”, estime-t-il.

Même son de cloche chez Hamza Guedira, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP) : “Très peu de stock circule, et il y a une augmentation exponentielle des prix. Le ministère de la Santé doit prendre en considération cette situation et fournir à la population de l’information de qualité pour éviter que la panique grandisse”.

Flambée des prix

“Parler de pénurie, pour le moment, c’est spéculatif, parce qu’il n’y a pas encore d’usage massif de ces masques au niveau national”, nuance Anouar Yadini, président de l’Association marocaine des professionnels des dispositifs médicaux (AMPDM). Selon lui, il n’y a pas d’épuisement des stocks mais “une demande spéculative de la part des commerçants qui ne travaillent pas dans le secteur et qui essaient de profiter de l’occasion pour se procurer des masques et les revendre à des prix plus élevés”.

Une bonne partie des masques qui circulent sur le marché ne proviendrait donc pas du circuit officiel de distribution des dispositifs médicaux. “Malheureusement, la contrebande existe en la matière”, déplore-t-il. Si les prix des masques sur le marché noir flambent, ceux des sociétés opérant dans le circuit officiel de distribution ont également augmenté.

Avant la propagation du virus, selon la marque, le modèle et le niveau de filtration du masque, les prix variaient entre 30 et 100 dirhams pour une boîte de 50. “Maintenant, le prix maximum qu’on a recensé, c’est 150 dirhams la boîte”, explique le président de l’AMPDM.

Il faut dire que la majorité des masques vendus sur le marché marocain provenaient… de Chine, principal foyer de l’épidémie, qui est elle-même en rupture de stock et a dû racheter ses propres stocks dans les pays où elle les avait exportés. “Le Maroc n’était pas à l’abri, il y a malheureusement des spéculateurs qui sont entrés pour racheter les stockset les revendre à la Chine”, indique Yadani.

“Avant, le Maroc produisait environ 15 à 20 % de ses besoins locaux en masques. Sur les 80 % de masques importés, 50 à 60 % provenaient de Chine, et le reste de pays tels que l’Italie, l’Egypte, la Tunisie… La qualité était parfois supérieure mais les prix plus élevés”, ajoute-t-il. Conséquence : les usines de production de ces masques au Maroc travaillent aujourd’hui “à plein régime” pour essayer d’assurer un stock de sécurité.

Loi du marché

“On n’a pas mis les bouchées doubles mais les bouchées triples !”, admet Hassan Ziyat, directeur général de Pharcomedic, une des seules usines de fabrication de masques chirurgicaux au Maroc, quitourne désormais 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 pour garantir une production suffisante.

“Nous assurons les exports qui étaient déjà confirmés depuis le mois de janvier, quand l’épidémie ne touchait que les pays asiatiques, mais maintenant nous allons fournir en priorité le marché marocain”, précise Ziyat, qui assure que les cliniques privées et les revendeurs au Maroc sont servis.

Interrogé sur la flambée des prix, le manager explique que la loi de l’offre et de la demande a eu un impact sur la matière première, généralement pourvue par des fournisseurs européens qui ont augmenté leurs prix. “Le coût de la main-d’œuvre a également augmenté”, souligne-t-il.

“La loi du marché est claire même s’il s’agit de produits vitaux, l’offre et la demande régissent les prix et la disponibilité. Le coronavirus s’est propagé très rapidement, donc il n’y a pas eu de temps pour les processus commerciaux classiques, à savoir les prévisions, l’importation puis la distribution”, estime pour sa part WailTouigui, pharmacien à Marrakech.

“La deuxième cause de cette pénurie de masques est le lancement, par des services publics et des structures sanitaires privées, d’appels d’offres pour des dizaines de milliers de masques ce qui a créé un grand problème de disponibilité. La troisième et dernière cause est l’esprit spéculatif et opportuniste de certains professionnels de la santé qui ont vu venir une occasion en or pour décupler les prix”.

Lenteur des procédures

Donnée importante : les masques produits par Pharcomedic “ne protègent pas contre le coronavirus”, tient à préciser Ziyat. Ce sont des masques classiques dits “chirurgicaux”, avec un faible niveau de filtration des bactéries, différents des masques FFP2 qui ont un très haut niveau de filtration et sont généralement utilisés par les professionnels de santé en contact direct avec des patients.

Pour garantir des stocks suffisants de masques vendus comme dispositifs médicaux, le Maroc pourrait donc se tourner vers d’autres pays importateurs mais cela nécessite que les produits importés soient enregistrés au préalable auprès de la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP).

Or, cette procédure prend, en temps normal, entre quatre et six mois pour que les sociétés importatrices obtiennent le certificat d’enregistrement. “Du coup, pour répondre aux besoins du marché et pour qu’il n’y ait pas de spéculation, on a demandé au ministère de la Santé une autorisation spécifique pour pouvoir importer ces masques-là et accomplir les procédures en parallèle”, indique le président de l’Association marocaine des professionnels des dispositifs médicaux (AMPDM). “On va tenir avec eux une réunion la semaine prochaine pour trouver le meilleur moyen d’alimenter le marché national en masques tout en garantissant leur traçabilité”.