Les Algériens votent pour une présidentielle sous tension et contestée

Après pratiquement dix mois d’une contestation populaire massive et inédite ayant emporté le président Abdelaziz Bouteflika, les Algériens votent ce 12 décembre pour élire son successeur lors d’une présidentielle perçue comme une manœuvre de survie du régime.

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10 décembre : les protestations continuent à Alger. Crédit: Ryad Kramdi/AFP

Deux centres de vote ont été saccagés jeudi à Béjaïa, grande ville de la région algérienne frondeuse de Kabylie (nord), par des opposants au scrutin présidentiel qui a débuté dans la matinée, ont rapporté des habitants.

Ces opposants au scrutin, perçu par le mouvement de contestation qui agite l’Algérie depuis février comme une manœuvre du régime pour se régénérer, “ont saccagé des urnes et détruit une partie des listes électorales”, ont rapporté ces témoins, contactés par l’AFP depuis Alger.

Situation contrastée

Après pratiquement dix mois d’une contestation populaire massive et inédite, les Algériens votent ce jeudi 12 décembre pour élire le successeur de Abdelaziz Bouteflika. Les quelque 61 000 bureaux de vote ont ouvert à 8 heures (7 heures GMT) à travers le pays. La télévision nationale montre des images d’électeurs faisant la queue devant des bureaux dans plusieurs régions.

A Alger, la situation semble contrastée : à Bab el Oued, une centaine d’électeurs, dont de nombreux jeunes, se sont pressés dès l’ouverture, et contre toute attente, au principal bureau de vote de ce quartier populaire, a constaté une journaliste de l’AFP.

Mais l’affluence semble faible dans d’autres bureaux, comme au collège Pasteur du centre de la capitale, à l’école Mohamed Zekal du quartier Belouizdad (ex-Belcourt) ou dans les bureaux d’El Achour et Staouéli, banlieues ouest d’Alger, selon des journalistes de l’AFP.

Le “Hirak”, mouvement antirégime né le 22 février et ayant obtenu la démission en avril de Abdelaziz Bouteflika, reste farouchement opposé à ce scrutin que le pouvoir, aux mains de l’armée, veut organiser coûte que coûte.

Le mouvement dénonce une “mascarade électorale”, exige la fin du “système” au pouvoir depuis l’indépendance en 1962, et le départ de tous ceux qui ont soutenu ou pris part aux 20 ans de présidence de Bouteflika.

Enfants du “système”  

Les cinq candidats à la présidentielle sont tous considérés par la contestation comme des enfants de ce “système”, et accusés de lui servir de caution.

Vendredi 6 décembre, la dernière manifestation hebdomadaire avant l’élection a rassemblé une foule monstre, montrant l’étendue du rejet. Et, à moins de 24 heures du scrutin, des milliers de manifestants ont affiché, mercredi 11 décembre, leur détermination à Alger, en criant “Pas de vote!

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Les bureaux de vote doivent fermer à 19 heures (18 heures GMT), mais aucun chiffre ne devrait être disponible immédiatement. Lors des précédents scrutins, le taux de participation avait été annoncé tard dans la soirée, et les résultats le lendemain. En cas de second tour, il aura lieu dans les prochaines semaines.

Depuis plusieurs semaines, le pouvoir répète que la participation sera “massive”, contrairement aux observateurs qui s’attendent à une forte abstention. Faute de sondage, impossible d’évaluer combien des 24 millions d’électeurs prévoient d’aller voter, dans un pays où la participation était faible ces dernières années.

Les bureaux de vote des consulats algériens de l’étranger, où le scrutin a commencé samedi 7 décembre, ont donné une indication : des bureaux quasi vides, devant lesquels des manifestants conspuent les rares citoyens venus voter.

Le vote sera boycotté à une large échelle”, prévoit Anthony Skinner, directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord de la société d’analyse de risques Verisk Maplecroft.

Les cinq candidats à la présidentielle sont tous considérés par la contestation comme des enfants de ce “système” et accusés de lui servir de caution. © Ryad Kramdi/AFPCrédit: RYAD KRAMDI / AFP

Mercredi 11 décembre, des personnalités proches du “Hirak” ont averti du contexte de “vives tensions” dans lequel se déroule le scrutin, considérant le pouvoir “responsable de tout dérapage éventuel dans les jours à venir”.

Elles ont aussi exhorté les contestataires à “demeurer pacifiques en refusant de répondre aux provocations” et en veillant à “ne pas empêcher l’exercice par d’autres citoyens de leur droit à s’exprimer librement”.

Futur président sans “légitimité”

La campagne électorale a été compliquée pour les cinq candidats (Abdelaziz Belaïd, Ali Benflis, Abdelkader Bengrina, Azzedine Mihoubi et Abdelmajid Tebboune), régulièrement accueillis par des manifestants hostiles et qui ont peiné à remplir les salles.

Tous ont soutenu Bouteflika, voire ont travaillé avec lui : Tebboune et Benflis furent ses Premiers ministres et Mihoubi son ministre. “Comment faire confiance à ceux qui ont trahi le pays et aidé Bouteflika ?”, résumait le 11 décembre une pancarte brandie par une manifestante à Alger.

Pilier du régime, historiquement habitué aux coulisses, le haut commandement de l’armée assume ouvertement le pouvoir depuis la démission de Bouteflika. Après une première tentative d’élection avortée en juillet, il s’obstine à vouloir rapidement lui élire un successeur pour sortir de l’actuelle crise politico-institutionnelle, qui a aggravé une situation économique déjà compliquée.

Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et visage public de ce haut commandement, “ne veut pas être tenu responsable des perspectives économiques de plus en plus négatives”, estime Anthony Skinner. Il “préfère de loin avoir un président élu qui se retrouvera directement dans la ligne de mire (de la contestation) et aura la tâche peu enviable de réformer l’économie” du plus vaste pays du continent africain, fort de plus de 40 millions d’habitants.

L’absence de légitimité du futur président, qui succédera officiellement au chef de l’Etat par intérim Abdelkader Bensalah, est déjà donnée pour sûre par les observateurs. Ils prévoient une poursuite de la contestation.

 

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