Maroc - États-Unis, une histoire de familles

Si aucun président américain ne s’est rendu au Maroc dans le cadre d’une visite officielle depuis 60 ans, la Maison Blanche et le Palais ont su développer une forme de diplomatie parallèle à travers les Premières dames américaines. Album de famille.

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Hillary Clinton reçue par Hassan II au palais royal de Marrakech, le 31 mars 1999. Crédit: Mohamed MARADJI

En décembre 1959, le président américain Dwight Eisenhower faisait atterrir Air Force One pour la première, et dernière fois, à Casablanca. A l’invitation du roi Mohammed V, le chef d’État américain concluait une tournée au Moyen-Orient par un passage express au Maroc. L’occasion pour Mohammed V et Eisenhower de signer un accord autorisant l’armée américaine à se servir de bases aériennes marocaines dans le cadre de missions au Moyen-Orient et en Afrique.

Article initialement publié dans le numéro 879 de TelQuel paru le  8 novembre

Depuis, aucun locataire de la Maison Blanche ne s’est rendu dans le royaume dans le cadre d’une visite officielle. Pourtant, au crépuscule du règne de Hassan II, une nouvelle forme de diplomatie parallèle émerge entre le Maroc et les Etats-Unis. Car, durant les 20 dernières années, ce ne sont pas les présidents américains, mais plutôt leur Première dame, qui se chargent de représenter la Maison Blanche au Maroc.

Toutes le font dans le cadre d’un objectif commun: améliorer la situation des femmes marocaines. Une diplomatie parallèle qui s’affranchit du bipartisme américain, comme toujours quand il s’agit de politique étrangère.

Aux origines

En 1995, Hassan II se rend à Washington pour y rencontrer Bill Clinton qui occupe alors le Bureau ovale. Comme le veut la tradition dans les relations maroco-américaines, les deux chefs d’État évoquent les relations entre leurs deux pays ainsi que la situation au Moyen-Orient, alors que se négocient, dans le plus grand secret, les accords d’Oslo.

Fait notable, un couscous est servi à l’occasion du dîner offert par Bill Clinton au roi qui est alors accompagné par le prince Moulay Rachid et la princesse Lalla Meryem. Sur les images tournées par la télévision américaine, on peut d’ailleurs voir le prince et la princesse échanger de manière complice avec la Première dame, Hillary Clinton.

C’est le début d’une idylle entre la First lady et le Maroc. Un câble diplomatique américain, datant d’octobre 2009 et fuité par Wikileaks, rend compte d’un échange entre un diplomate américain et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri. Le document souligne qu’il y a eu un tournant majeur dans les relations entre le royaume et les Etats-Unis: la visite d’Hillary Clinton, alors Première dame, au Maroc en 1999.

“Notre tante d’Amérique”

Au printemps 1999, Hillary Clinton et sa fille Chelsea entament un périple de onze jours au Moyen-Orient qui les mène en Egypte, en Tunisie et au Maroc. Les deux femmes passent plus de la moitié, six jours, de leur “spring break” dans le royaume. Leur terrain de jeu: le sud du pays.

A Ouarzazate, Missour, Errachidia et Merzouga, mère et fille reçoivent un accueil digne d’un chef d’État. Le séjour marocain des Clinton se conclut à Marrakech où s’enchaînent réceptions princières et royales pour ce voyage initialement présenté comme “une visite privée”.

Hillary et Chelsea sont d’abord reçues par la princesse Lalla Meryem au Palais Badii avant de se voir offrir un dîner par le prince héritier, Sidi Mohammed. La visite marocaine se conclut par une réception organisée par Hassan II. A cette occasion, la Première dame apparaît vêtue d’un caftan rouge.

Il n’en faut pas plus pour que la presse marocaine tombe sous le charme. Dans un article consacré au périple des Clinton, Maroc Hebdo désigne la First lady comme “Notre tante d’Amérique”. L’hebdomadaire va même jusqu’à dire qu’ “Hillary Clinton a touché de près l’âme marocaine”.

Ce périple marocain a un tout autre écho auprès de la presse américaine. Alors que la rumeur concernant sa future candidature au Sénat prend du poids, le Washington Post voit dans ce voyage au Maroc la naissance d’une “Hillary Clinton diplomatique”. Dans un article consacré au voyage de la Première dame, celle-ci est décrite, de manière quasi prophétique, comme “une candidate au secrétariat d’État”.

Car durant son passage à Marrakech, Hillary Clinton s’étend sur les sujets qui font l’actualité internationale du moment, comme les frappes menées par l’OTAN en Yougoslavie ou le processus de paix au Moyen-Orient.

Le président Bill Clinton, sa femme Hillary et leur fille Chelsea assistent aux funérailles de Hassan II, au mausolée Mohammed V 
à Rabat le 25 juillet 1999.Crédit: MANOOCHER DEGHATI / AFP

En famille

Visiblement charmée par son périple au Maroc, Hillary Clinton revient deux mois plus tard. Début juin 1999, elle se rend à Fès pour y inaugurer une maternité financée par les aides américaines. Le lendemain, elle prend la direction d’Ifrane pour prononcer un discours devant la première promotion de l’Université Al Akhawayn dont elle est officiellement la marraine.

Sous les regards des lauréats, la Première dame livre un discours dans lequel elle met en avant, comme celles qui passeront après elle, la nécessité d’inclusion des femmes et la promotion de leurs droits. A Ifrane, elle inaugure également le Hillary Clinton Center, qui vise à améliorer l’autonomisation des femmes dans la région à travers la mise en place de coopératives.

“Le roi Hassan II nous considérait comme des membres de sa famille”

Bill Clinton

Hillary Clinton est de retour au Maroc près d’un mois plus tard, où elle assiste, en juillet 1999, avec l’ensemble de la famille Clinton, aux funérailles du roi Hassan II. L’occasion pour le président Clinton de prononcer un discours devant les citoyens américains rassemblés à l’ambassade américaine à Rabat où il témoigne de l’attachement d’Hillary Clinton pour le Maroc: “Hillary est venue deux fois, voire plus, au Maroc et je pense qu’elle envisage de déménager au Maroc”. Il évoque également la proximité que la famille Clinton entretient avec le Palais: “Le roi Hassan II, lorsque notre famille venait au Maroc, ne nous a pas fait seulement sentir chez nous, mais nous considérait comme des membres de sa famille. Et j’ai dit au roi Mohammed VI que nous serions honorés s’il se sentait comme un membre de notre famille.”

Les fruits d’une relation

Le Palais cultive ses liens avec la famille Clinton, qui le lui rend bien. Dans son livre intitulé The Final Days, consacré à la fin de la présidence de Bill Clinton, la journaliste Barbara Olson révèle que le souverain a offert cinq caftans à la Première dame américaine. Même lorsque le président Clinton quitte la Maison Blanche, les liens sont maintenus.

Tout comme la famille Chirac, Bill et sa fille Chelsea font partie des convives au mariage de Mohammed VI avec Lalla Salma. L’occasion pour les Clinton d’offrir une peinture de l’artiste américaine d’origine arabe, Helen Zughaib, au souverain et une paire de boucles d’oreille en or à la mariée, comme le révèle un documentaire consacré à la vie de Bill et Hillary hors de la Maison Blanche.

Après huit ans passés au Sénat, entre 2001 et 2009, Hillary Clinton se porte candidate à la fonction suprême américaine. Elle sera finalement défaite par la sensation Barack Obama. Mais le Maroc peut tout de même tirer les fruits de ses relations étroites avec Hillary puisqu’elle est choisie par le nouveau président pour diriger la diplomatie américaine.

Durant ses quatre ans à la tête du secrétariat d’État, Hillary Clinton contribue au renforcement des relations Maroc-Etats-Unis. Elle fera ainsi partie des personnalités présentes lors de la présentation du Plan solaire marocain, cher à Mohammed VI. Des clichés pris lors de l’évènement témoignent de la complicité entre le roi et la diplomate, que l’on voit rire de bon cœur lors de la présentation.

L’“amitié” entre Mohammed VI et Hillary Clinton est d’ailleurs évoquée dans certains échanges diplomatiques officieux entre le Maroc et les Etats-Unis. C’est également sous son égide que sera mis en place le dialogue stratégique Maroc-Etats-Unis, une plateforme d’échange entre les deux pays voulue par le royaume, qui en est aujourd’hui à sa quatrième édition.

Malgré sa présence à la tête du secrétariat d’État, Hillary Clinton n’a pas su infléchir le changement de ton voulu par la Maison Blanche sur le dossier du Sahara. Alors que sous l’administration Bush le plan d’autonomie marocain avait été salué, celui-ci n’est plus mentionné dans le discours officiel américain. Hillary Clinton finira par présenter sa démission du secrétariat d’Etat en février 2013. Quelques mois plus tard, Mohammed VI se rend à New York pour rencontrer l’ancienne diplomate. L’entrevue entre le souverain et celle qui n’est pas encore candidate à la présidence des États-Unis fait l’objet d’un communiqué officiel du cabinet royal.

La First lady Michelle Obama est accueillie par la princesse Lalla Salma à l’aéroport de Marrakech, le 28 juin 2016.Crédit: FADEL SENNA / AFP

Michelle à défaut de Barack

Lorsque Hillary Clinton quitte la tête de la diplomatie américaine, elle est remplacée par John Kerry. Les États-Unis adoptent alors un ton qui diverge de la position marocaine. Washington s’attire même les foudres de Rabat en suggérant l’ajout d’un mécanisme de surveillance des droits de l’homme au mandat de la Mission des Nations Unies pour le Sahara (Minurso). Mohammed VI est reçu par Barack Obama sans doute dans une volonté de rapprocher les vues. Et alors que sa présidence touche à sa fin, son épouse Michelle et leurs deux filles débarquent dans le royaume dans le cadre d’une tournée internationale.

Michelle Obama, en tant que Première dame, est là pour promouvoir la condition de la femme. A travers son initiative Let Girls Talk, elle finance, aux côtés de Millenium Challenge Corporation, des programmes visant à créer des activités extrascolaires, fournir des stages et mettre en place des formations sur l’égalité des genres pour les enseignants, entre autres. Le voyage fera l’objet d’un film documentaire, sans pour autant contribuer à un changement dans la relation entre l’administration Obama et le Maroc.

Mohammed VI offre un ftour en l’honneur de Jared Kushner, conseiller principal et gendre du président Donald Trump, le 28 mai 2019.Crédit: MAP

Trump, sa fille et son gendre

Au printemps 2015, Hillary Clinton annonce son entrée en lice pour une nouvelle candidature à la fonction suprême américaine. Quelques semaines plus tard, Bill Clinton se rend à Marrakech avec leur fille Chelsea pour prendre part à la Clinton Global Initiative, évènement annuel organisé par la Clinton Foundation.

Une participation qui fait les choux gras de la presse américaine lorsque fuitent des mails attribués à l’équipe de Hillary Clinton. Au cœur de la polémique, un don de l’OCP à la fondation pilotée par le couple Clinton. Une controverse qui finit par être exploitée par son concurrent, Donald Trump, futur vainqueur dans la course à la Maison Blanche.

La tradition de diplomatie parallèle menée par les familles de présidents américains se poursuit après l’élection de Donald Trump. En témoignent les visites effectuées par son conseiller et gendre, Jared Kushner. Soucieux de promouvoir son plan de paix pour le Moyen-Orient, le mari d’Ivanka Trump se rend au Maroc pour y rencontrer Mohammed VI, qui préside le comité Al Qods. Si, officiellement, le sujet n’a pas été évoqué, ce déplacement prend néanmoins une connotation sentimentale pour le gendre de Donald Trump.

Sur place, et accompagné du ministre Mohcine Jazouli, il se rend sur la tombe du tsadik (dignitaire juif) et kabbaliste Haïm Pinto, dirigeant respecté et juge rabbinique vénéré dans la communauté juive d’Essaouira, où une synagogue porte encore son nom.

Le défunt n’est autre que le grand-père du rabbin David Hanania Pinto, qui a conseillé le clan Trump durant la campagne présidentielle américaine de 2016. David Hanania Pinto a également joué un rôle clé dans la réconciliation entre Jared Kushner et Ivanka Trump quand le couple traversait une phase difficile, indique Aomar Boum, auteur et professeur à UCLA, dans son essai Un Kabbaliste à la Maison Blanche.

La fille du président américain est en visite au Maroc pour améliorer la condition des femmes, comme Hillary Clinton et Michelle Obama avant elle. Mais pas que. Elle est auréolée d’une image de First lady officieuse, en raison de son implication dans les politiques publiques de l’administration Trump. Ivanka Trump perpétue ainsi la tradition de diplomatie parallèle et familiale entre les chefs d’État américains et le Maroc.

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