Derby Casablancais : en 2015, un match en dehors du terrain

A quelques jours d’une confrontation au sommet entre le Raja et le Wydad pour le compte de la coupe Mohammed VI, TelQuel a sélectionné les cinq derbys les plus marquants. Pour ce deuxième voyage dans le temps, focus sur un match qui s’est joué partout, sauf sur le terrain.

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Le stade Mohammed-V de Casablanca.

Juin 2015, Casablanca est en transe. Ain Diab vibre à coups de klaxon, véhicules ornés de drapeaux rouges, supporters dans les coffres ou hurlant à travers les vitres. C’est l’extase pour une partie des Casablancais : le Wydad est champion du Maroc après avoir vécu dans l’ombre de son rival, et du Moghreb de Tétouan pendant un peu plus de trois saisons. En règle générale, les derbys qui suivent le sacre de l’un des deux clubs casablancais ont un arrière-goût de revanche. Pour les supporters, c’est l’occasion ou jamais de mettre un terme aux festivités adverses… autant dire qu’avant le derby de décembre 2015, la tension était à son comble.

Le contexte

Début de saison différent pour les deux rivaux. Le Wydad compte défendre son titre à tout prix, les hommes de John Toshack ont entamé la nouvelle saison comme ils ont conclu la précédente, avec des victoires et un système de jeu bien huilé. Leader du championnat, le Wydad entame ce derby plein de confiance, alors que les Verts se cherchent toujours, malgré un mercato coûteux, où plus de 15 millions de dirhams ont été dépensés pour remettre l’équipe sur les bons rails.

Rachid Taoussi débarque sur le banc du Raja avec le défi de mêler les bons résultats au spectacle, la marque de fabrique du club. Après quelques bons matchs, le derby était l’occasion de le confirmer.

Une fois sur le terrain, le niveau de jeu est médiocre. Le rythme est pénible pour les amoureux du football, les derniers gestes sont ratés, offrant aux 60 000 supporters présents un florilège d’occasions manquées par les deux camps. La déception était palpable en tribune.

Encore un vieux match nul ?” se demandait un sexagénaire, bonnet vert sur la tête et maillot du Raja acheté au marché, floqué d’un numéro 5 à peine visible de Metouali, qui avait pourtant quitté le club deux saisons auparavant. Il faut dire que le sixième sens de cet homme ne l’a pas trompé, les deux équipes ont rendu une copie bien pâle. Au bout des 90 minutes de jeu, le Raja et le Wydad n’ont pas pu faire mieux qu’un “vieux” match nul 0-0.

Pourquoi c’est l’un de nos derbys mythiques

Ce n’est ni le premier ni le plus spectaculaire des derbys casablancais. Mais l’ambiance qui a accompagné la semaine du match, la tension, les tacles à la gorge et les duels musclés des joueurs sur le terrain sont mémorables. Stade plein à craquer deux heures avant le coup d’envoi qui a été avancé à 14 h pour des raisons de sécurité. Au mois de décembre 2015, le soleil se couchait à 17 h 50, pas question pour les forces de l’ordre de gérer 60 000 supporters déchaînés en fin de journée.

C’était le derby à ne pas perdre pour les supporters. Surtout du côté des Verts, qui n’ont eu ni un été tranquille ni un début de saison réconfortant. Quand c’est le match de l’année pour l’un, c’est aussi le cas pour l’autre. Quoi de mieux que de gagner un derby en enfonçant son éternel rival dans la crise ?

C’est aussi l’un des derbys les plus marquants parce qu’il a failli mettre définitivement un terme au mouvement ultra marocain, suite à quelques incidents de violences qui ont marqué la fin de match.

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Dans un derby sous haute tension, il serait sévère de dire que les joueurs n’ont pas été au niveau. L’envie de gagner y était, mais la pression se ressentait dans l’imprécision des derniers gestes. Le spectacle n’était pas dans le rectangle vert, mais en tribunes.

2015 marque le 10e anniversaire des deux groupes ultras qui s’occupaient de l’animation du 119e derby. Les Winners face aux Green Boys, c’est un classique. Un duel entre pionniers du mouvement ultra au Maroc. Faute de spectacle sur le terrain, les deux rivaux ont fait de leur mieux pour l’assurer dans les gradins. Au menu, deux tifos géants pour chaque virage avant le coup d’envoi, des centaines de fumigènes craqués et des milliers de gorges nouées, qui chantent tout de même en l’honneur de leurs clubs.

Pour ce match, Ultras World a fait le déplacement. Site de référence pour le mouvement, les reporters ont pu obtenir l’accord pour filmer quelques interviews et images de préparation des Winners, tandis que les Green Boys ont décliné la demande du site qui a pu vivre, au plus près, l’ambiance du derby le plus chaud du continent.

En tribunes, le 7e art était à l’honneur. Les Rouges choisissent le mythique film de Michael Curtiz, Casablanca (1942). De l’autre côté, les Verts parlent de renaissance — Rebirth — après quelques saisons difficiles. Quelques minutes plus tard, les premiers tifos descendent, place au clash. Lorsque les Rouges dévoilent leur tifo vert pour l’occasion, c’est pour qualifier leurs rivaux de “Pinocchios”. Du côté adverse, une animation laisse paraître un autre titre de film : Idiocracy, un classique de Charlie Chaplin, avec une flèche pointant le côté nord du stade. Le ton est donné, surtout lorsque les Rouges dévoilent une troisième animation où la Magana (virage des Verts) est qualifiée de “Zoo”.

La deuxième période ne manque pas de surprise. Lorsque les Winners commémorent une histoire de “vol de bâche” — contestée par les Green Boys — qui remonte à 2006, les rivaux rappliquent en ressortant la bâche en question. Il n’en fallait pas plus pour faire monter la tension d’un cran. Qui dit derby, dit rivalité. Dans le football, il suffit d’une provocation de trop ou d’un geste de travers pour transformer cette rivalité en haine, voire en violence en une fraction de seconde. C’est exactement ce qui s’est passé en cette fin de match. Les yeux des supporters n’étaient plus braqués sur le terrain, mais plutôt vers le toit du stade.

Deux supporters du Raja se faufilent et étendent leur drapeau au-dessus des Rouges. Ces derniers montent à leur tour, en plus grand nombre, l’histoire se passe devant les forces de l’ordre qui n’avaient aucun moyen d’atteindre les bagarreurs, perchés sur le toit du stade Mohammed V. Les deux camps se sont échangé les coups plus de 10 minutes, avant que ces incidents ne dépassent les limites du stade pour atteindre les rues de la ville, causant plusieurs dégâts aux biens publics.

Au total, en marge du 119e derby, c’est une trentaine de personnes qui ont été arrêtées, dont une quinzaine de mineurs. Trois voitures de police et quatre bus de transport urbain ont été endommagés et 25 policiers blessés à différents degrés. Bâches, tifos, banderoles et autres accessoires d’ultras ont été interdits dans les stades marocains pendant plus d’un an.

 

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