Libertés individuelles : le collectif "hors-la-loi" s'organise

Lancé à la suite de l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni en septembre dernier, le manifeste Hors-la-loi compte déjà près de 12 000 signatures. Le collectif qui le porte veut à présent se constituer en mouvement et ouvrir le débat sur la durée. 

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Le 2 octobre dernier, sit-in devant le Parlement, à Rabat, en protestation aux lourdes peines de l'affaire Hajar Raissouni. Crédit: Yassine Toumi / TELQUEL

Au début, nous étions deux, ensuite nous sommes devenus 5, 10, 200, 490 et aujourd’hui nous sommes déjà à presque 12 000 signataires”, se félicite l’écrivaine marocaine Sonia Terrab. Le 23 septembre dernier, elle a publié avec la Franco-Marocaine Leila Slimani un manifeste qu’elles ont appelé “Hors-la-loi” dénonçant les lois “liberticides” du Code pénal et appelant à l’ouverture d’un “débat national sur les libertés individuelles”. L’initiative avait été lancée après l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni condamnée plus tard à un an de prison ferme pour “avortement” et “relations sexuelles hors mariage”. “Dès que nous avons vu que les signatures se mettaient à pleuvoir et que nous avons atteint 2 000 signataires les premiers jours, nous nous sommes dit : tiens, c’est vraiment en train de prendre ! Ça a touché les gens ! Plus les signatures avançaient, plus nous nous sentions responsables”, nous explique-t-elle à la sortie de la conférence de presse que le désormais collectif “Hors-la-loi a tenue le 14 septembre, au siège du Parti socialiste unifié (PSU), à Casablanca.

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Un nouveau cap franchi

L’objectif de cette conférence était de centraliser notre parole et notre message pour que nous ne soyons plus dispersés”, poursuit Sonia Terrab, pour qui un “nouveau cap” a été franchi. Quelques heures avant la conférence, le collectif avait diffusé un communiqué dans lequel il annonçait l’envoi d’une lettre au procureur général du roi près la Cour de cassation et président du ministère public, Mohamed Abdennabaoui, “l’invitant à suivre une politique pénale plus conforme à l’esprit de la Constitution marocaine et de la charte internationale des droits humains, en suspendant immédiatement l’application de ces lois liberticides”. Les membres du collectif demandent aussi l’abandon des poursuites et de l’exécution des peines relatives aux “relations sexuelles consentantes hors mariage entre adultes, à l’avortement et à l’adultère”.

La Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) et les médias publics devraient également recevoir un courrier de la part du collectif, les exhortant à consacrer un “créneau dans leurs programmes” et “sur la durée” au débat sur les libertés individuelles. “Nous allons bientôt publier ces lettres sur le site web du collectif et sur les réseaux sociaux. Nous utiliserons tous les outils mis à notre disposition par la Constitution pour déposer une pétition, puis une motion auprès du Parlement, et obliger les députés à débattre sur cette question, tout en continuant à leur mettre de la pression”, détaille Sonia Terrab.

Les libertés individuelles au Parlement

Justement, le jour même, lors de la première session des questions orales de la nouvelle année législative, le ministre d’Etat chargé des Droits de l’Homme et des relations avec le Parlement, Mustapha Ramid, a été interpellé sur le sujet par le groupe PAM. Il a notamment soutenu que la “Constitution garantit les libertés individuelles et collectives”, mais que toutefois “c’est au Parlement d’abroger toute disposition qui ne peut les garantir”. “Avant tout, c’est une question de timing. Je pense qu’il est bon, mais peut-être que j’ai tort. Je pense qu’aujourd’hui la société marocaine et surtout la jeunesse et les femmes, en a marre. Pour eux, on ne va pas baisser les bras”, nous confie Sonia Terrab.

L’ex-salafiste Mohammed Abdelwahab Rafiqi (Abou Hafs), qui était parmi des premiers signataires, est du même avis. “La défense des libertés individuelles est aujourd’hui une revendication essentielle”, estime-t-il, à l’issue de la conférence de presse. “Premièrement, les lois qui s’immiscent dans la vie privée des gens sont des lois archaïques. Deuxièmement, elles ne sont pas en phase avec les transformations et changements que connaît la société marocaine”, poursuit le chercheur en études islamiques. D’autant plus que “les comportements que ces lois combattent sont pratiqués chaque jour au Maroc et ne représentent aucun danger pour les autres”. Pour Abou Hafs, qui défend la réforme de plusieurs articles du Code pénal, la religion n’a non plus rien à faire dans ce débat. “Je n’ai pas hésité à défendre ce sujet parce que la majorité de ceux qui s’y opposent se justifie par la religion et le référentiel islamiques”, déplore-t-il, alors qu’“en réalité, la religion n’a rien à voir avec le sujet”.

Également présent à la conférence de presse du collectif, l’avocat Omar Benjelloun estime lui qu’il y a une “hypocrisie normative” autour du sujet au Maroc. “Les gens n’attendent pas qu’il y ait une loi qui encadre le besoin d’intimité ou celui d’aller vers l’autre, de l’aimer”, défend-il, appelant à “faire en sorte que le droit se conforme au fait social et non le contraire”. “Aujourd’hui, il est temps de changer cela”, poursuit l’avocat au barreau de Casablanca.

Mobiliser autrement

En attendant la réouverture du débat au Parlement, le collectif veut collecter plus de signatures. “Notre collectif est en train de se transformer en mouvement, un mouvement de la jeunesse, un mouvement citoyen porté par des voix féminines et masculines, celles qui feront le Maroc de demain”, lit-on dans le communiqué. Si la mobilisation reste aujourd’hui plus présente sur le web que sur le terrain, la cofondatrice du collectif n’écarte pas la possibilité d’organiser une marche dans le futur. “Aujourd’hui, ce que nous avons voulu montrer, c’est qu’il y a d’autres moyens de se mobiliser. Les sit-in ne marchent pas et ça n’a jamais marché. Si nous sortons dans la rue et que nous ne sommes que 100 ou 200 personnes, ça n’en vaut pas la peine. S’il n’y a pas des milliers de personnes dans la rue, je préfère continuer de mobiliser sur les réseaux sociaux”, estime Sonia Terrab, pour qui la jeunesse marocaine est plus que jamais” déconnectée avec la réalité” et en parallèle “plus connectée sur le web”.

 

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