Abdelatif Benazzi: "Les personnes qui militent pour le rugby marocain sont esseulées"

C’est le 20 septembre que sera donné  le coup d’envoi de la Coupe du monde de rugby à XV au Japon. Si le Maroc ne participe pas à la compétition, un de ses citoyens en a toutefois marqué l’histoire. A ce jour, Abdelatif Benazzi reste la plus grande figure marocaine de la discipline, même s'il a surtout représenté... l'équipe de France. Dans cet entretien, il revient sur la pratique du rugby dans sa région natale de l’Oriental, son statut au sein de l’équipe de France et la compétition à venir.

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Abdelatif Benazzi. Ancien international de rugby et capitaine du XV de France. Crédit: AFP

Des stades surchauffés, de la solidarité, de la passion et l’amour des valeurs de l’ovalie. C’est cette ferveur qui devrait animer 11 stades à travers le Japon qui s’apprête à accueillir la 9e édition de la Coupe du monde de rugby dont le coup d’envoi sera donné le 20 septembre prochain. Une compétition que connaît Abdellatif Benazzi qui est l’un des acteurs principaux des épopées du rugby français au niveau mondial.

Natif d’Oujda, ce colosse de 1,97 mètre est un pur produit de la formation rugbystique de l’Oriental. Sa région natale est le point de départ d’un parcours hors norme qui le mènera d’abord en France où il sera repéré à l’âge de 19 ans par le club de Cahors. S’ensuivra une ascension fulgurante qui le propulsera au capitanat du XV de France en 1997 et à ce spectaculaire “tampon” désormais culte contre les All Blacks et leur légendaire Jonah Lomu en 1999.

Pour TelQuel, il livre son regard sur l’évolution de son sport au Maroc, ses souvenirs dans l’Oriental, mais aussi ses sélections internationales avec l’équipe de France… et celle du Maroc.

TelQuel: Comment avez-vous été initié au rugby ?

Abdelatif Benazzi: Comme dans tous les sports, c’est d’abord à l’école que j’ai découvert le rugby. J’avais des professeurs qui étaient à la fois enseignants et en même temps éducateurs en clubs. La transition s’est faite facilement. Cela permet d’avoir un mentor à la fois en classe et en club. Mais une fois que le rugby a été retiré des écoles, la décadence a débuté.

Le niveau du rugby marocain a-t-il baissé depuis votre enfance ?

Il faut prendre plusieurs paramètres en compte. Ce sport a été importé par les Français et il existait une grande proximité avec la France. Cela permettait à des clubs marocains d’avoir accès à des compétitions plus sélectives comme celles de la FIRA (l’association européenne de rugby, NDLR). C’était une vraie chance, et cela permettait au Maroc de se situer juste derrière l’Afrique du Sud et la Namibie en termes de niveau.

La première cause de la baisse de niveau est la disparation de ce sport des écoles. Il y a également eu une politisation des fédérations qui s’est faite au détriment du sportif. Aujourd’hui, des personnes veulent créer des clubs pour attirer des voix sans prendre en compte la formation des joueurs. Désormais, de nombreuses nations africaines ont pris l’ascendant sur le Maroc. Les personnes qui militent pour le rugby marocain sont esseulées et doivent financer eux-mêmes leurs projets pour continuer. Les moyens nécessaires ne sont pas mis à disposition et il n’y a pas une de volonté de faire décoller le rugby, que ce soit au niveau des ministères ou des fédérations.

De par votre expérience, n’auriez-vous pas justement pu jouer un rôle dans le développement de ce sport au Maroc ?

Je me suis toujours rendu disponible et je suis prêt à travailler de manière bénévole s’il y a un besoin en conseils. Mais je n’ai jamais été consulté par qui que ce soit. Mon lien avec le Maroc, malgré tout l’amour que j’ai pour mon pays, se limite à l’humanitaire à travers l’association Noor. Basée dans l’Oriental, elle vise à encadrer les jeunes par le biais du sport.

En parlant de l’Oriental, c’est la zone où le rugby s’est le plus enraciné au Maroc. Y a-t-il une explication à cela?

Il faut relativiser, car il y a également de grands clubs à Casablanca et Rabat. A Oujda, plusieurs éducateurs ont insisté sur la promotion du rugby. Le développement du sport a peut-être été favorisé par le tempérament des gens de la région. Nous étions loin de tout et il fallait être fort pour pouvoir exister. Si vous regardez la Nouvelle-Zélande, on parle d’un pays de 5 millions d’habitants perdu dans le Pacifique. Il y a une similitude en termes d’acharnement, de persévérance. D’ailleurs, les meilleurs joueurs de la région sont partis en Europe.

C’est d’ailleurs votre cas. Comment avez-vous vécu le départ ?

Lorsqu’on est passionné, on voit d’abord ça comme une opportunité. Quand je suis devenu international marocain, j’ai eu la chance d’être contacté par un club français qui m’a donné les moyens d’étudier et de m’entraîner alors que je n’avais que 19 ans.

Vous avez justement disputé un match avec l’équipe du Maroc. Pouvez-vous nous raconter cette rencontre ?

J’en ai disputé une douzaine ! Mais il ne s’agissait pas de matches officiels, comme des qualifications pour la Coupe du monde. J’ai des souvenirs impérissables de matches face aux Pays-Bas, la Belgique et la Roumanie. Il existait une solidarité énorme au sein de cet effectif même si avec nos accents d’Oujda, certains camarades et moi n’étions pas toujours compris par nos coéquipiers. Nous découvrions de nouvelles contrées, de nouveaux paysages… Ce sont des souvenirs magnifiques. Mais ce qui reste gravé dans ma mémoire c’est la fraternité, une ambiance hors du commun et un respect mutuel entre joueurs et éducateurs.

En 1997, vous devenez le premier Français d’origine étrangère à être désigné capitaine du XV de France. Quelques mois seulement avant la déferlante “Black, blanc, beur” de la Coupe du monde de football de 1998…

Sur le moment, je l’ai vécu le plus naturellement possible. Quand vous êtes intégré dans une équipe professionnelle ou nationale, vous devenez membre d’un collectif. Point. On ne regarde pas la race ni la religion. Vous êtes là pour le même but. Tout le monde se bat et tout le monde progresse. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. On ne m’a jamais critiqué sur quoi que ce soit. Je pense que le leadership vient naturellement avec l’expérience et le travail. J’avais ma place, je répondais présent, je marquais des essais, j’étais parmi les meilleurs joueurs.

Ensuite, je pense que la presse française aime bien rappeler les origines des uns et des autres. Moi, ça ne me disait rien. Mais à un moment donné, forcément, je me devais de jouer un rôle social, car il est difficile de rester insensible à des gens qui vous sollicitent, à des implications dans des commissions comme le Haut Conseil d’intégration qui m’a été proposé. Vous apportez des solutions pour les autres, vous faites de votre mieux.

La Coupe du monde de Rugby commence pour sa 9e édition au Japon cette semaine. Allez-vous assister à des rencontres ?

Je dois partir au Japon 15 jours début octobre pour cette Coupe du monde. C’est un événement planétaire. L’un des plus importants après le Mondial de football et les Jeux olympiques. Comme c’est la première fois que cela se passe en Asie, c’est très intéressant pour le développement de ce sport sur ce continent-là. En espérant qu’un jour ce sera organisé en Afrique du Nord.

Le continent a d’ailleurs une carte à jouer sur le Rugby à 7 ou à 13. À titre indicatif, l’équipe kényane de rugby à 7 qui n’existait pas quand je jouais est désormais une des meilleures équipes du monde dans cette catégorie. Cela devrait faire tilt dans la tête de certains responsables marocains pour montrer qu’il y a de quoi faire. Malheureusement, quand on parle avec les joueurs, ils souffrent toujours du même mal. Il y a toujours moins de moyens pour pouvoir progresser.