Il y a 25 ans, le mystérieux crash de l'ATR-42 de la RAM

Le 21 août 1994, un avion de la RAM s'écrasait sur les montagnes de l'Atlas, provoquant la mort de 44 personnes. L'enquête conclura à un acte délibéré du pilote. Cette dernière n'a d'ailleurs, à ce jour, jamais été rendue publique, multipliant les doutes.

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Un quart de siècle plus tard, le puzzle reste incomplet. Le 21 août 1994, un avion de la Royal Air Maroc, lancé sur une liaison Agadir – Casablanca, s’écrasait près de Tizounine (région Souss-Massa), dans les montagnes de l’Atlas, une dizaine de minutes après son décollage. À son bord, une quarantaine de passagers dont aucun n’en réchappera. Plus que l’émotion suscitée, la raison du crash fera couler beaucoup d’encre.

Dépêchés sur place où gisent débris et corps, les enquêteurs finiront par conclure à une thèse aussi rare qu’invraisemblable après écoute de la boite noire de l’engin. “L’accident de l’ATR-42 de la RAM est dû à la volonté délibérée du commandant de bord de mettre fin à ses jours selon les premiers éléments de l’enquête”, déclarent-ils à la presse.

Manoeuvre(s) désespérée(s)

Mourir, mourir…”. Les dernières paroles prononcées par le pilote Younès Khayati avant de s’écraser sur le flanc des montagnes semblent limpides pour les autorités. La thèse du suicide est privilégiée pendant de longues années et même maintenant. Le 31 août 1994, le quotidien Al Bayane, publie les derniers propos échangés entre le commandant de bord et sa copilote, Sofia Figuigui. Des éléments qui, à eux seuls, ne permettent pas de tirer au clair les motifs réels du crash, mais apportent leur lot d’enseignements.

Commandant, qu’est-ce que vous faites ?”, s’écria la copilote à trois reprises moins d’une minute avant la collision. Younès Khayati avait alors coupé le pilotage automatique et commencé à précipiter l’appareil en direction du sol. Une première alarme est déclenchée, celle qui s’active lorsque l’angle d’incidence de l’appareil est trop élevé.

Puis une seconde, le Ground Proximity Warning System, introduit dans les années 60 et qui consiste en une voix préenregistrée annonçant la proximité avec le sol. Sofia Figuigui tente alors une manoeuvre désespérée, tirant sur son propre manche pour contrarier la descente. En vain, elle n’est pas assez forte, selon l’enquête. Désormais, dans les nouveaux avions, la simple pression d’un bouton permet d’obtenir la priorité des commandes et d’annuler automatiquement celles de son coéquipier.

31 secondes avant l’impact, elle tente également d’envoyer un message de détresse à la tour de contrôle : “Agadir Air Maroc 630 May Day, May Day, il y a le commandant qui est…”. Dans le même temps, la copilote s’alarme (“Au secours, au secours, le capitaine est en train de…”) et supplie le commandant de bord à mainte reprise de redresser l’engin, “Commandant, s’il vous plaît, s’il vous plaît”, répètera-t-elle.

Il est environ 18h50 et le vol 630 de la Royal Air Maroc (RAM) s’écrase. Quarante-quatre personnes trouvent la mort (quarante passagers et quatre membres de l’équipage). Parmi eux, vingt Marocains, huit ressortissants italiens, cinq Français, quatre Néerlandais, un Américain et deux Koweïtiens. Ces deux derniers n’étaient autres que le prince koweïtien Ali al-Mahmoud al Jabir al-Salah et son épouse.

Vie sentimentale trouble

La raison de l’acte du pilote, âgé de 32 ans, serait à rechercher du côté de “sa vie sentimentale”, confiera une source proche de l’enquête. Des déboires amoureux l’auraient plongé dans la dépression. Selon les enquêteurs, “le comportement du commandant de bord est d’autant plus imprévisible qu’il émane d’un pilote expérimenté (…) qui a régulièrement effectué ses visites médicales réglementaires annuelles au centre d’expertise médicale du personnel navigant, la dernière en date le 7 juillet dernier”.

C’est un acte hautement pathologique. C’est la seule explication du comportement du commandant”, déclarent à l’époque les professeurs Driss Moussaoui et Pierre Pichot, consultés lors de l’enquête. S’ils existent, les cas de suicides volontaires des pilotes restent assez rares à l’échelle de l’histoire de l’aviation.

Divorcé depuis quelques mois, le pilote était “pourtant sur le point de refaire sa vie”, d’après le témoignage d’un de ses collègues de la RAM au quotidien Le Monde, à l’époque. “Il allait très bien et préparait sa nouvelle demeure. C’était un bon vivant qui aimait la bonne chair et la bonne musique. Il vivait sa vie tranquillement”, poursuit la même source. 

L’hypothèse selon laquelle le pilote souffrait de troubles mentaux est contestée jusqu’à ce jour par l’Association marocaine des pilotes de ligne. Au sommet de l’Etat, la volonté était de communiquer sur les conclusions de l’enquête. Nos confrères de Medias24 expliquent que “dès que cette conclusion s’impose, elle est transmise à Hassan II. Quelqu’un suggère alors au roi une version moins gênante pour la compagnie que le suicide du pilote. Hassan II refuse et enjoint de communiquer la vérité”.

Des bribes de l’enquête sont alors relayées par la presse, mais le rapport de la commission d’enquête sur le crash n’a toujours pas été publié à ce jour. De quoi alimenter les doutes persistant sur les circonstances de l’accident.

Selon le document publié par Al Bayane, l’équipage a été confronté, avant le décollage, à un problème lié au verrouillage de la porte de soute. Déjà, les pilotes marocains, dont certains ont entendu l’enregistrement, avaient émis l’hypothèse d’un crash causé par l’ouverture en vol de la porte de soute. Cette dernière aurait pu être à l’origine d’une perte de contrôle de l’avion par l’équipage. “On ne doit pas décoller avec la porte ouverte”, aurait déclaré la copilote Sofia Figuigui avant le décollage. Pour seule réponse, Younès Khayati aurait fait remarquer que la porte en question était “en panne de signalisation”. C’est ainsi qu’il aurait décidé de prendre les airs, persuadé que la soute était verrouillée.

Cet incident technique survenu avant le décollage suscite également des interrogations de la part des pilotes marocains, mais aussi de l’opinion publique. Dans un article publié en 1997, Maroc Hebdo affirme que “la reconstitution des dernières paroles échangées entre le pilote et Sophia Figuigui la copilote n’avait pas apporté de preuve convaincante à la thèse officielle. Les citoyens avaient tous eu le sentiment que l’enquête avait été ‘un peu’ bâclée. Ou même qu’elle avait été orientée pour les besoins d’on ne sait quelle cause”.