“Monsieur Wahid” : itinéraire d'un miraculé faiseur de miracles

Vahid Halilhodzic a officiellement été nommé nouveau sélectionneur des Lions de l'Atlas. Le Bosnien revient au Maroc 22 ans après l'avoir quitté en héros. Itinéraire d’un tacticien rigoureux forgé par la guerre. 

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Vahid Halilhodžić, anicien sélectionneur de l'équipe nationale. Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Durant les 22 années qui le séparent de son premier passage au Maroc, Vahid Halilhodzic a su se forger une belle réputation d’entraîneur. Une deuxième carrière, après celle de joueur, riche en rebondissements, et durant laquelle le technicien bosnien s’est affirmé comme un entraîneur rigoureux également considéré comme un bâtisseur d’équipe. Un talent qu’il s’apprête à mettre à contribution chez les Lions de l’Atlas, comme il l’a fait il y a 22 ans au Raja de Casablanca, alors que la sélection se prépare à entamer une transition générationnelle. Le destin du coach bosnien aurait pu être tout autre. Retour sur le parcours d’un survivant.

Miraculé

A l’issue d’une honnête carrière de footballeur qui le mène au FC Nantes – avec lequel il remporte le championnat de France en 1983 aux côtés d’un certain Henri Michel –, mais aussi au Paris Saint Germain, Vahid Halilhodzic décide de regagner la Bosnie lorsqu’il raccroche les crampons en mai 1987. Il rallie alors sa ville natale de Jablanica (au centre du pays) avec sa femme et ses enfants. La Bosnie-Herzégovine fait alors encore partie de la République fédérale de Yougoslavie. Il s’établit ensuite dans la ville où il s’est fait connaître pour ses talents de footballeur, Mostar. Pendant cinq ans, Valid Halilhodzic profite de sa retraite de footballeur et de ses économies pour se faire bâtir une maison. Il ouvre également un bar qu’il baptise sobrement “Chez Vaha”.

Mais en 1991, la dislocation de la Yougoslavie débute. Les tensions ethniques qui s’apprêtent à déchirer le pays commencent à faire surface. Et pour la première fois, Vahid Halilhodzic frôle la mort. “Au rond-point, avant d’arriver chez moi, je pile. Des voitures de police sont arrêtées sur le côté et j’entends des tirs. Je demande à la police : ‘Que faites-vous là ? Vous allez tuer mes enfants !’. ‘C’est pas nous, Vaha, c’est eux qui tirent’, me dit l’un des policiers en montrant une ligne d’arbres. Un soldat à la barbe bien taillée derrière un énorme platane me dit : ‘Approche-toi’. Je lui réponds : ‘Approche-toi de quoi, espèce de fasciste de merde! Qu’est-ce que vous faites là ? Laissez-nous tranquilles’. Je continue à marcher vers lui et là, j’entends sa voix calme : ‘Encore un pas et vous serez tué’. Ils sont vingt ou trente soldats des commandos spéciaux serbes venus de la ville de Nis. Je suis à 10 mètres du premier fusil et je vois le regard de ce garçon blond de 25 ans qui me vise entre les deux yeux. Je lis sur son visage qu’il peut tirer. Je reste complètement bloqué. Un policier me crie : ‘Casse-toi, Vaha, ils vont te tuer !’”, raconte-t-il dans un article qui lui est consacré dans Paris Match en 2003.

Après ce premier incident, Vahid Halilhodzic, soucieux de préserver sa famille, envoie sa femme et ses enfants en France. Il décide de rester alors que le conflit yougoslave s’enlise, et intègre les rangs de ce qu’il appelle “une armée de résistance”. Depuis le sud de la Bosnie, il vient en aide à ceux dans le besoin et organise “plus de 10.000 évacuations de femmes et d’enfants vers l’Adriatique” alors que les bombes tombent sur Sarajevo.

Il frôle même une deuxième fois la mort au cours de cette période : “Un samedi, à l’aube, deux groupes de vingt soldats croates sont venus me chercher pour me couper la tête parce que j’étais musulman et parce qu’ils voulaient faire peur aux autres. Mais j’étais parti. Deux jours avant, le club de Beauvais m’avait appelé pour que j’entraîne son équipe […] Je n’aurais jamais imaginé que des gens pouvaient tuer parce que tu es d’une autre religion. D’ailleurs je ne peux toujours pas le comprendre”.

C’est en 1994 que Vahid Halilhodzic prend les rênes de l’AS Beauvais. Pour sa première expérience sur le banc, le Bosnien divise déjà. Ses méthodes de travail ne font pas l’unanimité même si les résultats plaident pour lui. Après une première saison vécue dans le ventre mou de la deuxième division, Halilhodzic décide de démissionner, frustré par le manque d’ambition du club.

Ses principes, ses grandes ambitions, et sa soif de challenges lui font vivre une traversée du désert qui va durer trois ans. Une période dont il profite pour améliorer ses connaissances par des stages au sein de clubs alors considérés comme des sommités : l’Ajax Amsterdam, le FC Barcelone et la Juventus Turin. Mais en 1997, le Bosnien reçoit un appel qui allait changer son destin en provenance du…Maroc.

Faiseur de miracles

Au moment de signer au Raja, il passait encore ses diplômes, mais il a apporté un nouveau souffle”, se souvient encore Mohamad Oulhak, responsable administratif au Raja depuis plus de 25 ans. Comme ce fut le cas à Beauvais, les formules et les méthodes de celui qu’on appelle alors “Wahid” marchent. “Vahid c’est un professionnel qui vit pour son travail. Il a forgé un groupe en nous inculquant des principes. Il nous a beaucoup apporté, car il ne laisse rien au hasard”, se remémore son ancien capitaine au Raja, Abdelilah Fahmi.

Vahid c’était un pari qui a bien marché. Heureusement. Je garde un très beau souvenir de son passage au Raja. C’est un homme de principes, intègre, qui ne cache jamais ses sentiments et ne laisse personne l’influencer dans ses choix. Le jour où il a débarqué au Raja, plusieurs choses ont changé et quelques-uns des principes qu’il a inculqués perdurent jusqu’à aujourd’hui”, nous raconte Oulhak Mohamad, qui souligne que c’est sur conseil d’Henri Michel, sélectionneur du Maroc à l’époque, qu’Abdelilah Ghallam, alors président du Raja, a décidé de faire confiance à Halilhodzic.

Dans un groupe de joueurs peu habitué à la rigueur du football professionnel, le coach détonne comme en témoigne cette scène lors d’un déplacement du Raja à Fès. “On s’est arrêtés pour la pause café. Au moment où Vahid nous rejoint, il trouve Reda Riyahi, l’une des vedettes de l’équipe, avec un bol de harira entre les mains. Il était scandalisé. Il nous a fait une leçon sur l’hygiène de vie des sportifs de haut niveau, qui va de pair avec la rigueur qu’il prône”, raconte l’ancien portier du Raja, Mustapha Chadli.

“Wahid” est également soucieux d’imposer une discipline au sein de son équipe. Pour le coach, une chose est claire : l’entraîneur se situe au-dessus des joueurs. “Lors d’un déplacement, il a réveillé toute l’équipe à 5h parce qu’une recrue lui avait manqué de respect. Il l’a affiché devant tout le groupe pour que ses coéquipiers jugent ses propos. Il s’est excusé, mais Vahid ne voulait rien savoir. Il a fallu l’intervention de plusieurs joueurs-cadres pour que les choses rentrent dans l’ordre”, se souvient Mustapha Chadli.

Au jeu très offensif d’un Raja alors dominant (6 titres de champion consécutifs), la discipline et la rigueur tactique qu’ajoute Vahid Halilhodzic au groupe permettent au club casablancais de réaliser de très bonnes performances. Après avoir remporté la Ligue des champions 1997, il remporte le championnat en 1998 avec 14 points d’avance sur le Kawkab de Marrakech.

Mais comme ce fut le cas à Beauvais, c’est pour une question de principe que Vahid Halilhodzic finit par quitter le Raja.  En effet, “Wahid” décide de mettre un terme à son aventure casablancaise lorsque le président du club, Ahmed Ammor, remet en cause le choix du coach de garder l’une des stars de l’équipe sur le banc lors d’une défaite (2-0) à domicile face à l’ASEC Abidjan.

Les lignes rajoutées à son palmarès à l’issue de son passage au Raja permettent à Halilhodzic de taper dans l’œil de certaines écuries européennes. “Champion d’Afrique et champion du Maroc, c’est un peu ma carte visite. J’étais jeune, je venais de débuter et quand vous gagnez des titres, les gens s’intéressent à vous”, confiait le coach dans un documentaire qui lui a été consacré par France 3 quelque temps après son retour en France.

Un sélectionneur en réussite

C’est à Lille que le technicien décide de poser ses valises lorsqu’il quitte le Maroc en 1998. Lorsqu’il prend les commandes des Dogues, ils évoluent alors  en Ligue 2. Une saison plus tard, le club du nord de la France jouait les premiers rôles de Ligue 1. Avec les moyens du bord, il a fait tenir tête aux géants du championnat pour finalement réussir à qualifier ce club en Ligue des champions pour la première fois de son histoire. A Lille (1998-2002), Halilhodzic ne semble pas avoir oublié son passage au Maroc, puisqu’il recrute l’attaquant Salaheddine Bassir et son ancien capitaine au Raja, Abdelilah Fahmi.

Après un court passage à Rennes (2002-2003), il rejoint le Paris Saint-Germain où il termine 2e du championnat et remporte la Coupe de France dès sa première saison. Mais au milieu d’une seconde année parisienne en demi-teinte, il finit par être démis de ses fonctions par ses dirigeants. S’enchainent ensuite des passages en Turquie et en Arabie Saoudite où le coach ne marque pas les esprits.

C’est en 2008 que le destin sourit de nouveau à Vahid Halilhodzic lorsque ce dernier est nommé sélectionneur d’une équipe de Côte d’Ivoire remplie de talents. C’est le début d’une série d’expériences en sélection. Des expériences marquées par la réussite, même si son caractère lui a joué des tours et causé ses malheurs.

Il est ainsi l’unique entraîneur à avoir réussi à qualifier 3 sélections différentes en Coupe du Monde, pour finalement en disputer une seule édition, en 2014. Après avoir réussi à qualifier la Côte d’Ivoire de Didier Drogba au Mondial 2010, il est limogé à quelques semaines de la compétition pour des raisons qu’il ignore toujours. “Je l’ai su par fax”, déclarait-il aux médias français, à la veille du Mondial sud-africain.

Alors qu’il avait juré de ne plus jamais poser les pieds sur le continent africain, il cède aux sirènes de l’Algérie en 2011, pour succéder à Abdelhak Benchikha, après le “séisme de Marrakech” et la défaite des Fennecs 4-0 face aux Lions de l’Atlas de Gerets. C’est bien Vahid qui a porté le flambeau du changement.

Avec les Fennecs, qu’il qualifie pour le Mondial 2014, il atteint les huitièmes de finale au Brésil, ne s’inclinant qu’en prolongations face au futur vainqueur allemand. Il quittera les voisins de l’Est à l’issue de la compétition, malgré l’insistance de l’ex-président, Abdelaziz Bouteflika, qui voulait convaincre le Bosnien de rempiler. En Algérie, plusieurs spécialistes considèrent que ce sont les méthodes impulsées lors du passage d’Halilhodzic qui ont permis à l’Algérie de remporter la Coupe d’Afrique des nations 2019.

Après sa séparation des Fennecs, son nom circulait déjà dans les couloirs de la FRMF, mais les dirigeants ont préféré engager Hervé Renard. “C’est un homme qui connaît le pays et qui sait gérer les égos pour obtenir le meilleur de son groupe”, estime son ancien capitaine Abdelilah Fahmi.

Après un court passage en Turquie (Trabzonspor, 2014), il accepte de prendre en charge la sélection du Japon qui voulait également se qualifier pour la Coupe du Monde 2018. Il permet aux Samouraïs de décrocher leur ticket pour la Russie, mais son caractère bien trempé divise encore. Les stars se révoltent, Vahid Halilhodzic est limogé (encore) à quelques semaines du Mondial. En larmes avec son traducteur à l’aéroport de Tokyo, il parle du “moment le plus difficile de sa carrière”. Etonnamment, il ne cachera pas ses émotions cette fois-ci. Sans doute parce que son caractère venait encore une fois de le priver d’un Mondial.

Héritier d’Henri Michel

Ce caractère bien trempé, façonné par la guerre en Yougoslavie, Vahid Halilhodzic a voulu le montrer dès sa présentation aux médias marocains en tant que sélectionneur. “Vous savez, j’ai connu la guerre. Un jour j’étais riche, le lendemain j’étais pauvre. Je n’avais plus rien et je l’ai bien vécu. Donc l’argent n’a pas beaucoup d’importance pour moi. Je le répète, je ne suis pas là pour l’argent”, a-t-il déclaré lors de sa première rencontre avec la presse marocaine, le 15 août au siège de la FRMF à Rabat.

En parlant sans complexe du volet financier de son contrat, Halilhodzic a brisé la glace pour sortir vainqueur de son premier face à face avec les médias marocains. Fidèle à lui-même, il a évoqué les principes que les supporters du Raja ont découverts avec “Monsieur Wahid”, lors d’une saison 97-98 historique. Les mêmes valeurs que les Marocains ont ensuite redécouvertes lorsqu’ils ont suivi les exploits de ses Fennecs en Coupe du Monde 2014.

Pour moi c’est un retour aux sources, j’ai passé un an ici. J’ai gardé pendant plus de 20 ans beaucoup d’amis ici, j’ai toujours le contact avec certains. Je n’ai jamais oublié mon passage ici et j’y venais souvent pour me reposer un peu. Mais avoir l’équipe nationale, c’est vraiment énorme pour moi. C’est un grand honneur et surtout une grande responsabilité”, confie le nouveau sélectionneur national, un brin nostalgique.

Comme un clin d’oeil du destin, 21 ans plus tard, il récupère le siège de l’ancien sélectionneur Henri Michel décédé en avril 2018. Réussira-t-il à faire aussi bien que son ami et acolyte du FC Nantes qui avait qualifié les Lions pour le Mondial en 1998? Son caractère si particulier sera-t-il un obstacle? Personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que l’homme vient avec beaucoup de bonne volonté pour compléter le travail entamé par son prédécesseur, avec un zeste de rigueur et d’audace en plus.