A la nouvelle piscine de Rabat, la difficile quête de détente des Marocaines

Récemment ouverte, la nouvelle piscine  municipale de Rabat fait office de havre de paix pour les femmes souhaitant échapper au harcèlement dont elles sont victimes sur les plages du Royaume. Reportage.

Par

AFP

Ici, il n’y a pas de harcèlement! » Comme des milliers de Marocaines, Sanae est venue chercher à la nouvelle piscine de Rabat la détente qu’elle ne trouve plus sur les plages, mais n’échappe pas aux regards insistants ou désapprobateurs. « Se baigner à la plage n’est plus un loisir pour une femme: j’ai été harcelée juste parce que je portais un maillot de bain, heureusement que mon mari était là« , soupire cette mère de famille de 36 ans qui a fait 150 kilomètres pour profiter de la piscine publique inaugurée début juillet.

« Les plages sont devenues désagréables« , renchérit Amal, lunettes noires et paréo gris, venue avec des amies, sans escorte masculine. Cette étudiante de 18 ans espère que « les femmes récupèrent un jour leur place sur le sable et le droit de porter ce qu’elles veulent« . « Le phénomène est apparu sur certaines plages de Casablanca dans les années 90 (…), l’opinion publique (…) n’a pas réagi« , constate la sociologue Soumaya Naamane Guessous. Pour elle, « c’est une régression principalement liée à la propagation des idées salafistes importées de l’étranger« .

Même si elles se sentent en sécurité beaucoup de femmes renoncent à se baigner.Crédit: AFP

Face à cette évolution, une campagne avait été lancée l’été dernier sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Soisunefemmelibre: une salve de photos de « résistantes » en maillot avait répondu à une page Facebook appelant les hommes à « interdire à leurs femmes de sortir en tenue indécente« .

Les femmes interrogées par l’AFP disent avoir choisi la Grande piscine de Rabat car elles s’y sentent plus en sécurité, même si, pour beaucoup, elles renoncent à se baigner. Une soixantaine de vigiles et de policiers en civil veillent à la tranquillité de chacun – et surtout de chacune. Image de plus en plus rare, des jeunes filles barbotent avec joie au milieu des garçons tandis que les hauts parleurs diffusent à plein tube une musique populaire.

Des milliers de personnes ont afflué dans ce nouvel espace de mixité offert par le bassin artificiel creusé dans les falaises rocheuses de la corniche urbaine, dans le cadre d’un vaste projet d’aménagement baptisé « Rabat, ville lumière ». Si comme Sanae, beaucoup de femmes se sentent « plus libres » ici qu’à la plage, elles préfèrent tout de même rester habillées.

Cette mère de famille dit avoir opté pour le short/débardeur « parce qu’il y a beaucoup de voyeurs« . Elle réserve son une-pièce « pour les plages sauvages du Maroc ou pour l’étranger« . Leïla, une fonctionnaire de 36 ans, est restée en jeans. Son amie Khadija, 50 ans, salariée dans un centre commercial en France venue passer ses vacances au Maroc, a gardé sa robe blanche.

Pour se baigner en toute tranquillité, loin de tout harcèlement, il faut se lever tôt, fréquenter des sites isolés ou payer un droit d’accès à des espaces privés sélectifs. Venu à la Grande piscine de Rabat avec sa femme voilée et sa fille, Anouar, 32 ans, estime que ce sont les femmes « en tenue irrespectueuse qui harcèlent les hommes et les familles« .

« La tendance est devenue si conservatrice et si banale que les femmes en maillot de bain subissent des regards critiques ou même des commentaires dégradants d’autres femmes« , regrette Soumaya Naamane Guessous. « Ce sont les mentalités qu’il faut changer« , estime cette militante féministe en soulignant que ce phénomène « touche l’espace public en général » au Maroc.

A rebours de sa réputation de tolérance dont le pays jouit au sein du monde arabo-musulman, une étude de l’ONU-Femmes avait montré en 2017 que, pour les Marocains, « une femme habillée de façon provocante mérite d’être harcelée« , les avis féminins (78%) dépassant ceux des hommes (72%). Une loi contre les violences faites aux femmes mentionnant pour la première fois le harcèlement a été adoptée en février 2018 mais les sanctions restent rares. Début août, des images de jeunes bénévoles belges travaillant en short dans le sud du pays ont suscité les foudres d’un député PJD, tandis que la police arrêtait un instituteur ayant appelé à les décapiter sur sa page Facebook.